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Située sur la route cahoteuse qui relie le vétuste aéroport international de Bangoka et la ville de Kisangani en République démocratique du Congo (RDC), la scierie de la Compagnie forestière et de transformation (CFT) est un exemple de changement positif.

Une visite aux installations de cette société d’exploitation forestière révèle une entreprise engagée vers la durabilité de ses activités. Dans un pays marqué par une gouvernance défaillante, si le secteur privé prenait ses responsabilités, cela pourrait changer la donne en matière de gestion des forêts.

J’accompagne un petit groupe de scientifiques du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) en Belgique qui sont venus constater sur place les résultats de leur collaboration avec la CFT.

Nous avons comme guide Cécile Lubwilu Lolo, Congolaise qui connaît bien ses dossiers et est responsable de la cellule d’aménagement de la CFT. À notre droite, de l’eau fraîche est disponible pour des employés de la scierie. À notre gauche, des panneaux en français, swahili et lingala énoncent les règles de sécurité pour les visiteurs. Lors de la visite de la scierie, nous voyons des hommes et des femmes bien équipés et outillés qui produisent des sciages aux dimensions parfaites, ce qui est loin d’être courant dans un pays qui exporte encore majoritairement des grumes non transformées.

   La plupart des bois exportés par la RDC sont des grumes, qui ne subissent aucune transformation. Axel Fassio/CIFOR
   La scierie de la CFT à Kisangani. Axel Fassio/CIFOR

Selon C. Lubwilu, la CFT est l’une des premières entreprises d’exploitation forestière de la RDC à s’être engagée dans une démarche de développement durable à long terme et à avoir obtenu une attestation de légalité de ses opérations : « Nous ne scions que du bois provenant de nos concessions forestières et nous respectons toutes les réglementations congolaises, mais nous avons voulu aller plus loin. Nous avons donc entamé une démarche de vérification indépendante, et en mai 2019, nous avons obtenu notre attestation NEPCon LegalSource », précise-t-elle.

La CFT avait de bonnes raisons de vouloir cette certification puisqu’elle permet à l’entreprise de répondre aux exigences de légalité des acheteurs internationaux et de se conformer aux réglementations de divers pays importateurs.

« Le marché international du bois devient plus exigeant depuis quelques années », explique Paolo Cerutti, scientifique senior et spécialiste forestier au CIFOR ; « si les entreprises d’exploitation forestière de la RDC veulent garder leurs clients et étendre leurs réseaux de vente, elles doivent accroître la transparence, assurer la légalité de leurs approvisionnements et s’engager dans une démarche d’amélioration permanente pour gérer durablement leurs concessions. »

   Transformation du bois à la CFT. Axel Fassio/CIFOR

Des arbres pour l’avenir

De l’autre côté de la route, C. Lubwilu nous invite à la suivre sur une grande parcelle où la CFT mène ses premières expériences sylvicoles en collaboration avec le CIFOR, dans le cadre du projet FORETS (Formation, recherche et environnement dans la Tshopo). À côté d’un petit étang bordé de plantations d’ananas, un abri en chaume protège des dizaines de plantules du soleil brûlant.

La pépinière comprend des spécimens figurant parmi les essences forestières de la RDC qui sont les plus intéressantes sur le plan commercial : ébène, afrormosia, wengé et iroko. Selon C. Lubwilu, l’objectif est de comprendre les modalités de reproduction et de croissance de ces essences afin que la CFT puisse adopter des pratiques sylvicoles adaptées dans ses futures concessions.

   Cécile Lubwilu Lolo dirige la cellule d’aménagement de la CFT. Axel Fassio/CIFOR
   Dans la pépinière de la CFT, voici des plantules qui comptent parmi les essences les plus précieuses de la RDC. Axel Fassio/CIFOR

À l’heure actuelle, rares sont les entreprises en RDC qui investissent dans la production de connaissances utiles pour le reboisement et la sélection des arbres à exploiter. « C’est une logique court-termiste qui prévaut malheureusement dans toute l’Afrique subsaharienne », explique P. Cerutti ; « pour qu’une démarche développement durable soit fructueuse, il faut comprendre quelles sont les essences à planter, mais aussi où et à quel moment il convient de le faire. Ces connaissances sont essentielles pour la prospérité de la filière à long terme. »

Selon Nils Bourland, scientifique spécialisé dans la biologie du bois au MRAC, toutes les entreprises d’exploitation forestière ayant des activités en RDC sont tenues de payer une taxe dite de « reboisement » : « la plupart d’entre elles disent qu’elles ont fait leur part quand elles ont payé cette taxe. Mais en pratique, les recettes publiques sont rarement réinvesties dans des activités liées à la sylviculture. »

C’est pourquoi le secteur privé doit changer sa manière de penser, reconnaît C. Lubwilu : « nous devons investir dans la recherche pour mieux comprendre comment minimiser notre impact sur l’environnement et exploiter les ressources forestières sans mettre en péril les espèces. »

Investir dans la science

Derrière la pépinière, N. Bourland et Hulda Hatakiwe, une ingénieure forestière congolaise qui travaille pour le CIFOR, sont absorbés par l’étude de la croissance de l’afrormosia. Cette essence feuillue originaire de l’Afrique centrale et de l’Ouest est l’une des essences les plus exploitées et les plus chères en RDC, en raison de ses qualités recherchées par les ébénistes et les architectes d’intérieur.

N. Bourland et H. Hatakiwe mettent en œuvre actuellement une étude en utilisant des dispositifs Nelder, dans lequel les plants sont disposés en cercles concentriques. Minimal au centre du cercle, l’espacement entre les arbres augmente progressivement vers la périphérie, selon un plan soigneusement élaboré. Cette expérience permet d’étudier l’effet de l’espacement à la plantation sur la croissance des arbres. L’identification et l’enregistrement de chaque plant permettent de mieux comprendre les facteurs qui influencent la reproduction.

   Un employé de la CFT formé par le projet FORETS est chargé de prendre soin des 648 arbres plantés. Axel Fassio/CIFOR

« Nous avons planté ces arbres il y a 18 mois, et nous constatons déjà des différences de croissance », observe H. Hatakiwe ;  « les arbres au centre sont plus grands tandis que ceux à la périphérie sont plus petits, avec des tiges plus grosses et déjà plus de branches. »

Selon H. Hatakiwe, ces différences sont dues au fait que les arbres au centre se font concurrence pour la lumière. Certains mourront sans doute pendant leur croissance. « C’est quelque chose que l’on observe dans la nature. Lorsque l’on coupe un afrormosia, ses voisins peuvent mieux pousser », ajoute C. Lubwilu.

L’afrormosia est une essence très sensible, dont la régénération naturelle est difficile dans les forêts à couvert fermé de l’Afrique centrale. Elle est de plus en plus exploitée par les scieurs artisanaux, dont les activités échappent au contrôle des autorités, ce qui compromet la survie de l’espèce.

Classée espèce menacée, elle est inscrite sur la Liste rouge de l’UICN. De plus, les échanges commerciaux dont elle fait l’objet sont réglementés par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). « En étudiant les facteurs qui favorisent sa reproduction, nous pourrons contribuer à sa protection, et même sauver l’espèce de la surexploitation », poursuit H. Hatakiwe.

Ce type d’étude est très importante pour l’industrie forestière. Si par exemple, la CFT se lance dans la régénération artificielle, ces données peuvent être utilisées pour déterminer l’espacement à la plantation qu’il faut adopter dans le cas d’arbres voués à la production de bois. « Les arbres élancés ne sont pas idéaux pour le sciage. Avec des arbres plus petits à tronc plus épais et sans branches basses, on obtiendrait des planches de plus grandes dimensions, donc de plus grande valeur ». explique N. Bourland ; « ces connaissances pourraient aussi servir à mieux cibler les coupes sélectives, c’est-à-dire le fait de ne couper que certains arbres et de laisser les autres sur pied pour qu’ils continuent leur croissance. »

   H. Hatakiwe explique aux visiteurs l’état d’avancement de l’étude. Axel Fassio/CIFOR
   Au centre de la parcelle, l’espacement entre les arbres est minimal. Axel Fassio/CIFOR

L’engagement sur le long terme de la CFT est déterminant pour le suivi de cette expérience. Il incombe à la CFT de s’occuper des 648 arbres qui ont été plantés. C’est une énorme responsabilité puisque les arbres ont une croissance très faible : l’afrormosia doit pousser pendant une soixantaine d’années avant qu’il soit intéressant de l’abattre. Cette parcelle de terrain devra donc servir uniquement à l’expérience en cours, et ce à long terme.

« La volonté de la CFT d’investir des ressources et du personnel est cruciale pour nos recherches ; si elle n’avait pas fait ce choix, nous ne pourrions pas réaliser une expérience si longue et si coûteuse », affirme H. Hatakiwe 

« Nous sommes convaincus que la mobilisation du secteur privé en faveur du développement durable est essentielle pour l’avenir des forêts de la RDC », intervient P. Cerutti ; « nous essayons donc de diversifier et d’approfondir notre collaboration avec la CFT et d’inciter plus d’entreprises progressistes à travailler avec nous. »

Par exemple, dans le cadre du projet FORETS, des stages à la CFT sont proposés aux étudiants de master. Par ailleurs, un doctorant mène des recherches génétiques en étudiant les arbres de la pépinière.

« Nous aimerions voir d’autres entreprises emboîter le pas à la CFT », observe N. Bourland ; « la RDC, c’est 60 % du bassin du Congo, c’est-à-dire la forêt tropicale la plus importante de l’Afrique. Et pourtant, sa filière bois est à la traîne par rapport à celle des autres pays de la région pour ce qui est de la durabilité… il faut que cela change. »

Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière Union européenne.
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