L’innovation en foresterie : Où se produit-elle ? Pourquoi est-elle importante ?

Identifier le potentiel de changement progressif, transformateur et disruptif
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Un technicien installe du matériel sur la tour Congoflux, qui surveille en continu les échanges de gaz à effet de serre dans l’atmosphère/écosystème du paysage d’engagement de Yangambi, province de la Tshopo, en RDC. Photo par Fiston Wasanga/CIFOR-ICRAF.

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Cette année, le thème de la Journée internationale des forêts « Forêts et Innovation : de nouvelles solutions pour un monde meilleur » sera certainement provocateur : le secteur forestier n’est pas considéré comme l’un des plus innovants au monde. En effet, beaucoup ont l’impression qu’il reste encore un secteur conservateur et opaque.

Pourtant, il est urgent de changer cette impression et d’inciter les gouvernements, les bailleurs de fonds et les investisseurs à se mobiliser derrière les innovations qui peuvent permettre de créer un changement positif dans le secteur forestier mais aussi dans d’autres secteurs. En effet, nos vies dépendent littéralement des forêts : il est impossible d’échapper à l’évolution rapide du contexte climatique et aux conséquences catastrophiques des crises climatiques, alimentaires et de la biodiversité sans réussir à s’adapter et à innover pour mieux protéger, restaurer et gérer les forêts mondiales.

Mais qu’entend-on par innovation ? En réalité, le terme ne désigne pas seulement les nouvelles technologies, mais couvre aussi les nouvelles politiques publiques, institutions et formes de gouvernance. Par ailleurs, il existe trois formes d’innovations principales à considérer : les innovations incrémentales, les innovations transformatrices et les innovations disruptives.

L’innovation incrémentale consiste à ajouter des atouts aux produits existants, à développer des processus plus efficaces et/ou à s’étendre sur de nouveaux marchés. Cette forme d’innovation est facile à planifier et prévoir, résulte souvent de processus améliorés ou d’une connaissance du marché, et est généralement un processus linéaire. Dans le secteur forestier, cela peut inclure l’exploitation à faible impact (EFI), une sensibilisation accrue à la nécessité de conserver les forêts à haut stock de carbone (HSC) ou à haute valeur de conservation (HVC), une sélection rigoureuse pour rendre les plantations forestières plus productives et durables, et le recours à la « foresterie de précision »  qui utilise des technologies de pointe pour améliorer la gestion forestière.

L’innovation transformatrice conduit à de nouveaux produits, chaînes de valeur ou façons d’entreprendre, créant ainsi un nouveau contexte socio-économique. En revanche, l’innovation disruptive se produit lorsqu’une innovation transformatrice est si radicale qu’elle bouleverse des acteurs établis ou des technologies bien connues. Ces deux dernières formes d’innovation, contrairement à celles incrémentales, ne sont pas linéaires : elles progressent à pas de géant et leurs résultats finaux ne peuvent pas être entièrement connus à l’avance.

En ce qui concerne la foresterie, l’innovation transformatrice provient souvent d’autres secteurs et nécessite plus de temps et d’efforts pour être adoptée et adaptée à des utilisations en foresterie. Cela nécessite également la réunion de plusieurs conditions : la polyvalence de l’innovation (peut-elle être utilisée en dehors du domaine pour lequel elle a été initialement créée ?) ; l’existence de la technologie et/ou d’un environnement favorable pour développer l’utilisation de l’innovation ; et une demande forte, mais inconnue, pour les produits de cette innovation — cette dernière étant la condition pour que l’innovation transformatrice devienne disruptive.

À l’heure actuelle, il existe plusieurs exemples d’innovations potentiellement disruptives dans le secteur forestier que ce que la plupart des gens pourrait penser.

Par exemple, les progrès en biotechnologie sont utilisés pour adapter les arbres dans les plantations, notamment en réduisant la quantité de lignine dans le bois afin d’améliorer le rendement de la pâte à papier ou en l’augmentant pour produire de la biomasse énergie, et en augmentant la quantité de sucres dérivés de la cellulose pour les bioplastiques ou les biocarburants. L’apprentissage automatique est utilisé pour identifier les espèces sauvages dans les pièges photographiques beaucoup plus rapidement et à moindre coût que les méthodes manuelles, ainsi que pour prédire les comportements des animaux et des braconniers dans les parcs nationaux. De plus, les drones équipés de capteurs avancés (comme les capteurs LIDAR) sont utilisés pour la surveillance de la gestion forestière, la détection des incendies et le signalement de l’exploitation forestière illégale — et recèlent un énorme potentiel d’économies et de protection des ressources.

Parallèlement, repenser la propriété et la gestion des forêts, des plantations et des produits forestiers par les individus et les communautés (plutôt que de suivre le modèle classique de propriété industrielle des concessions forestières) s’avère déterminant pour développer la couverture forestière — y compris l’agroforesterie — sur les terres privées et communautaires, afin de mieux valoriser les produits forestiers (notamment ceux non ligneux), et ainsi promouvoir la diversification de meilleurs moyens de subsistance pour les habitants des zones rurales.

Des politiques publiques comme celles de l’Inde qui permettent aux agriculteurs d’utiliser les produits des arbres qui appartenaient auparavant à l’État (créant une incitation clé pour prendre soin de ces arbres), et celles du Pérou qui formalisent la production de bois des petits exploitants sur les jachères agricoles, ont le potentiel — si elles sont effectivement mises en pratique — de générer un changement considérable des moyens de subsistance et de l’environnement. L’innovation peut ainsi se produire grâce aux propositions des législateurs forestiers.

Les exemples précédents sont déjà utilisés dans certains pays et pourraient être adoptés à plus grande échelle et avoir un impact plus significatif. D’autres innovations ont un potentiel transformateur et disruptif encore plus grand, mais n’ont pas encore été appliquées à une échelle significative dans le secteur et nécessitent souvent une technologie spécifique associée à une plateforme. Toutefois, elles ont le potentiel de révolutionner le travail du forestier de demain.

L’autre innovation est le numérique : les drones équipés de nouveaux capteurs, combinés à des données satellitaires accessibles, précises et avec un stockage de plus en plus abordable, des capacités de calcul distribuées ainsi que la réalité virtuelle permettront de gérer les forêts et les plantations avec des données disponibles en temps réel, de croiser des informations à différentes échelles sur la santé et la productivité des peuplements forestiers, les services écosystémiques, etc.

La blockchain et d’autres technologies financières, soutenues par des applications mobiles, possèdent également un potentiel inouï pour sécuriser les droits fonciers et les transactions, et accroître la transparence des opérations forestières — bien qu’elles aient été créées pour un but tout autre.

Pourtant, l’innovation ne suffira pas à elle seule pour nous sauver : nous devons aussi résoudre les défis les plus élémentaires. Pour profiter pleinement et équitablement de l’innovation incrémentale, transformatrice et disruptive, les forêts, les plantations et les arbres doivent être gérés durablement par des personnes correctement formées et rémunérées dignement. Nous devons également veiller à ce que ces innovations profitent non seulement aux innovateurs, mais avant tout aux communautés et aux acteurs qui s’en serviront.

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Robert Nasi est le Directeur des opérations du CIFOR-ICRAF et le Directeur général du Centre de recherche forestière internationale. Pour plus d’informations, vous pouvez le contacter en lui écrivant à l’adresse suivante : r.nasi@cifor-icraf.org.

 

 

 

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