Comment généraliser l’agroécologie?

Les partisans de l’agroécologie rapportent les progrès réalisés au niveau des indicateurs, des outils numériques, des mécanismes incitatifs et des investissements
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Des agriculteurs à Pará (Brésil) participent à un atelier sur l’agroécologie. Photo par Solidaridad Latinoamérica

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La transition vers l’agroécologie a pris de l’ampleur ces dernières années, ses multiples avantages pour le climat, la biodiversité et la sécurité alimentaire devenant de plus en plus évidents.

En parallèle, les développements technologiques que représentent notamment l’agriculture de précision soutenue par l’utilisation des GPS, des drones et de l’imagerie satellite, l’analyse des mégadonnées et les algorithmes de l’IA qui analysent de grands ensembles de données pour générer des informations sur la santé des cultures, ainsi que la technologie blockchain améliorant la transparence et la traçabilité, peuvent aider les acteurs du secteur agricole à prendre des décisions plus informées sur l’utilisation des terres en faveur d’une productivité et d’une durabilité à plus grande échelle.

Malgré l’essor et le potentiel de l’agroécologie, « sa généralisation se heurte encore à de nombreux obstacles », déplore Viviane Filippi, experte en développement international au Fonds international de développement agricole (FIDA). Elle a notamment cité les politiques qui favorisent des pratiques utilisées dans l’agriculture conventionnelle à l’instar du subventionnement des intrants chimiques, l’absence de soutien institutionnel et de services de vulgarisation, un accès limité au marché, la résistance au changement opposée par les communautés agricoles et la réticence des consommateurs à payer plus cher pour des biens produits par l’agroécologie, ce qui dissuade parfois les agriculteurs de passer à des pratiques durables.

Ces commentaires sont tirés de son intervention lors d’un webinaire organisé le 8 février dernier qui présentait les grands axes du programme « Transitions agroécologiques pour des systèmes agricoles et alimentaires résilients et inclusifs (TRANSITIONS) ».

Le programme TRANSITIONS a pour but de favoriser à grande échelle des transitions agroécologiques fondées sur le climat par les agriculteurs dans les pays à revenu intermédiaire inférieur (PRITI) à travers trois différents projets axés sur : le développement et l’utilisation d’indicateurs holistiques des performances des systèmes alimentaires et agricoles ; des outils numériques inclusifs ; et des mécanismes incitatifs traçables dans les secteurs public et privé pour les systèmes alimentaires.

David Mills, ingénieur principal responsable des données chez Statistics for Sustainable Development (Stats4SD), est chargé de la base de données des indicateurs et des flux de données de la bibliothèque du projet Metrics. « Ce que nous mesurons à propos d’un système va venir éclairer notre avis sur celui-ci, donc si nous voulons susciter un changement, il faut d’abord changer ce que nous mesurons », explique-t-il. « Nous voulons aider les gens à mesurer ce qui compte et à adopter une approche holistique pour évaluer et donc comprendre ces systèmes ». À cet égard, un document de travail portant sur les évaluations holistiques des systèmes agricoles a récemment été publié afin d’aider les utilisateurs d’indicateurs à mieux utiliser les outils et cadres disponibles en proposant une approche pas-à-pas pour élaborer des évaluations holistiques contextualisées.

Mills a également expliqué ce qui pourrait résulter d’une expansion de l’agroécologie. « D’après moi, l’agroécologie consiste à changer de perspective, et ce n’est pas quelque chose qui apparaît d’un coup, c’est plutôt une façon de diffuser des idées en s’appuyant sur beaucoup de systèmes différents », dit-il. « Je pense que nos outils vont contribuer à faciliter ce changement en passant par des petits projets, mais aussi par l’humain, tout en enseignant différents moyens de mesurer les performances d’un système et en faisant comprendre aux utilisateurs qu’ils peuvent adopter un point de vue légèrement différent sur leur système. Peut-être comprendront-ils que tout n’est pas qu’une question de rendement ou de maximisation de telle ou telle chose comme ils ont toujours essayé de faire. C’est en fait la succession d’une multitude de petits changements ».

S’agissant du volet du programme sur les outils numériques inclusifs, Violaine Laurens, directrice régionale pour les solutions numériques chez Solidaridad Latinoamérica nous partage son point de vue en tant que partenaire exécutive. Elle nous fait le récit des expériences vécues dans le cadre d’un projet au Brésil qui vise à promouvoir les innovations liées à des outils numériques qui renforcent l’inclusivité et favorisent une transition agroécologique fondée sur le climat, à grande échelle.

Solidaridad est une organisation présente dans trois municipalités de l’État amazonien de Pará où ses membres œuvrent en collaboration avec 1 200 familles d’agriculteurs pour instaurer un modèle de production associant des systèmes d’agroforesterie cacaoyère avec de l’élevage de bétail et la préservation de la forêt, le but étant d’améliorer les revenus des familles tout en favorisant une durabilité agroécologique en passant notamment par la réduction des émissions de CO2 et de la déforestation.

Là-bas, Solidaridad a mis au point, entre autres innovations, une interface mobile baptisée Solis qui a été intégrée à Extension Solution, un outil déjà utilisé par le personnel technique. Solis aide les agriculteurs à générer des informations sur les pratiques locales et à les partager avec d’autres agriculteurs ainsi qu’avec des conseillers agricoles et des experts locaux qui se chargent ensuite de créer du contenu selon les principes de l’agroécologie. « Nous avons décelé une formidable opportunité d’aller au-delà de l’approche conventionnelle dite « descendante » de la vulgarisation agricole et d’utiliser l’innovation numérique pour renforcer la capacité d’action des agriculteurs », a résumé Violaine Laurens. « L’utilisation de Solis permettra aux agriculteurs de cocréer des pratiques en collaboration avec le personnel chargé de la vulgarisation et de faciliter le développement d’une communauté axée sur l’apprentissage numérique visant à généraliser les pratiques agroécologiques. »

S’agissant de la traçabilité, Sébastien Balmisse, responsable de la qualité et du programme cacao chez KAOKA, fabricant français de chocolat biologique et équitable, travaille sur les mécanismes incitatifs et les investissements dont il est question dans TRANSITIONS. Il partage les efforts déployés par son entreprise pour mettre au point un outil numérique de traçabilité qui permettra aux acteurs concernés de réaliser le suivi des produits issus du cacao depuis la plantation jusqu’au magasin, tout en collectant divers indicateurs agroécologiques.

« Nous savons pertinemment qu’il ne suffit pas d’avoir des productions biologiques et équitables pour répondre aux crises actuelles, mais si nous voulons que les agriculteurs s’investissent véritablement dans des actions de conservation et de régénération de leurs ressources naturelles, nous devons trouver des mécanismes incitatifs générant des externalités positives », a-t-il affirmé. « Nous sommes convaincus que ce projet nous aidera à évaluer ces externalités, un premier pas vers la recherche de solutions pour les financer ».

Marion Michaud, travaillant au sein de l’unité F3 (agriculture et pêche durables) rattachée au service des Partenariats internationaux (INTPA) de la Commission européenne qui finance le programme, a exprimé son accord avec les points de vue exprimés lors du webinaire. « Il y a consensus sur la nécessité et l’urgence d’opérer un changement de paradigme dans la façon dont nous produisons, commercialisons et consommons la nourriture, mais les avis divergent sur la façon dont nous devons appliquer les changements systémiques nécessaires à la transformation des systèmes agroalimentaires, le but étant de réaliser les ODD et de relever les défis auxquels nous sommes confrontés partout dans le monde », a-t-elle constaté. « À l’INTPA.F.3, nous croyons fermement au potentiel de l’agroécologie pour mener à bien une telle transformation ».

Le point de vue de l’INTPA.F.3 sur l’agroécologie converge avec les principes du programme TRANSITIONS, a-t-elle ajouté, parce qu’il favorise des solutions locales en plaçant la participation des acteurs et les connaissances contextuelles au cœur des projets tout en impliquant les agriculteurs dans leur élaboration ; reconnaît la nécessité de créer des innovations responsables ; reconnaît l’importance des chaînes de valeur et des marchés ; se base sur les avancées scientifiques ou les nouvelles technologies ; et incite à la poursuite des investissements dans la recherche fondée sur des connaissances scientifiques et locales. Le programme nécessite par essence le développement de nouveaux indicateurs capables de tenir compte des synergies et des interactions dans les différents aspects de la durabilité.

Lini Wollenberg, enseignante-chercheure à l’Université du Vermont et Chargée des politiques d’action climatique et des institutions au sein de Alliance of Bioversity and CIAT, a constaté que « pour obtenir des résultats à grande échelle, il va falloir combiner l’agroécologie avec d’autres approches durables ». Elle a précisé que les méthodes conventionnelles de mise à l’échelle comme les investissements par le secteur privé et les outils numériques « peuvent être adaptés aux résultats agroécologiques, tant que nous tenons compte des agriculteurs ainsi que de leur capacité d’action, et que nous incluons des garde-fous ». Enfin, elle a insisté sur « le rôle essentiel des indicateurs centrés sur l’utilisateur dans ces systèmes généralisés, non pas seulement au niveau de l’agriculteur ou de l’exploitation, mais aussi au niveau des systèmes alimentaires et des paysages afin de pouvoir les intégrer dans les systèmes agricoles et écologiques. »

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Remerciements

Le programme TRANSITIONS programme est mis en œuvre par Alliance of Bioversity and CIAT, CIFOR-ICRAF, IRRI, IWMI, la Transformative Partnership Platform on Agroecology, et l’Université du Vermont. Il bénéficie de la généreuse contribution financière de l’Union européenne et est dirigé par IFAD.

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Principaux contacts du programme :

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