Sur l’écran de mon ordinateur, les lignes noires s’étendent comme des veines au cœur de la forêt tropicale du bassin du Congo, le plus grand puits de carbone de la planète surnommé le « poumon de l’Afrique ». Je venais de commencer un doctorat à l’Université norvégienne des sciences de la vie (NMBU), espérant identifier certaines des menaces pesant sur cet écosystème vital et ainsi contribuer à l’Étude comparative mondiale du Centre de recherche forestière internationale et du Centre international de recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF) sur la REDD+ — un programme soutenu par les Nations Unies visant à réduire les émissions de carbone dues à la déforestation et à la dégradation forestière.
Quelques mois après le début de ce travail, j’avais parcouru la documentation disponible sur les facteurs favorisant la déforestation et commencé à développer des idées pour mes premiers projets de recherche. Les lignes noires sur mon écran, représentant les réseaux routiers, faisaient partie de la réalisation de ces projets : j’espérais qu’elles m’aideraient à analyser l’effet de l’essor des voies routières induite par l’exploitation minière sur la déforestation en République démocratique du Congo (RDC).
À peine deux mois plus tard, je me retrouve sur le bord de l’une de ces routes dans le Sud-Kivu, à l’est de la RDC. Mais la ligne marquée comme route nationale sur la carte de mon ordinateur ne ressemblait que de loin à son idéal. En réalité, un canyon, assez profond pour engloutir des voitures entières, coupait la surface là où je m’attendais à trouver de l’asphalte, des embouteillages et l’odeur de l’essence. Même les motos, un moyen de transport pourtant courant dans le pays, avaient du mal à circuler sur ce terrain cahoteux. Et ce n’était que la saison sèche, il était difficile d’imaginer comment quelqu’un pourrait la traverser lorsque les pluies commenceraient à tomber.
Ce travail de terrain a constitué une opportunité inattendue lorsqu’un professeur de mon université m’a invité à la rejoindre dans l’est de la RDC. Avec peu de temps de préparation, un niveau de français élémentaire et une enquête dans mes valises, je suis arrivé dans la ville animée de Bukavu, au Sud-Kivu, où j’allais passer le mois suivant à apprendre et collecter des données sur l’exploitation minière dans les paysages forestiers de la région.
J’ai découvert que dans cette partie de la RDC l’exploitation minière est principalement informelle et artisanale. En effet, des hommes majoritairement jeunes, à la recherche d’un revenu, quittent leur village et, à l’aide de marteaux et de pelles, extraient des minerais à petite échelle. Si certains mineurs migrent et s’installent à proximité des mines, d’autres utilisent cette activité comme une source de revenus saisonnière et retournent chez eux après quelques semaines ou mois de travail. Contrairement à mon hypothèse de départ, le transport des minerais depuis les mines situées au cœur de la forêt n’est pas facilité par des routes spécialement construites à cet effet, mais plutôt organisé par des personnes portant des sacs à dos qui traversent l’épaisse forêt tropicale sur de petits sentiers.
Peu de temps après mon arrivée à Bukavu, nous avons entamé le premier voyage d’une série de plusieurs jours dans les forêts autour du Parc national de Kahuzi-Biega et de la réserve naturelle d’Itombwe, accompagnés d’une équipe composée d’un guide et d’un chercheur de l’université de Bukavu qui ont aidé à mener des entretiens dans la langue locale. Notre voyage, mouvementé et poussiéreux, s’est terminé dans un village, d’où nous avons poursuivi une randonnée de cinq heures jusqu’à la lisière de la forêt.
Dès le début de la randonnée, nous avons croisé des jeunes hommes qui tenaient en équilibre sur leur tête d’énormes planches de bois fraîchement coupées. On nous a dit que ces hommes travaillaient pour un salaire d’un dollar par jour. Ces planches de bois sont transportées jusqu’à une hutte au bord de la route la plus proche, d’où elles sont échangées contre une marge bénéficiaire quasi nulle avant de rejoindre la ville la plus proche pour être vendues plusieurs fois leur prix. Alors que nous montions vers l’épaisse ligne d’arbres à l’horizon qui délimite le début de la forêt tropicale, les planches ont continué à nous dépasser jusqu’à ce que nous atteignions la maison du prêtre. C’est là que nous allions nous installer, tout en menant des entretiens dans les villages environnants au cours des jours suivants.
Avant de quitter la Norvège, j’ai dû préparer les questions d’enquête que je poserais dans les villages. Ces questions devaient m’aider à mieux comprendre comment les habitants du Sud-Kivu intègrent les activités minières dans leurs stratégies de subsistance, tout en étudiant leurs conséquences sur la forêt. Au fur et à mesure que la date des entretiens s’approchait, mon inquiétude montait : parviendrions-nous à trouver des mineurs dans le village ? Si oui, seraient-ils prêts à partager leurs expériences ? Les réponses aux questions nous donneraient-elles les informations que nous recherchions ?
Heureusement au lendemain de notre voyage, nous avons constaté que de nombreux ménages dans les villages visités étaient impliqués dans l’exploitation minière. Beaucoup d’entre eux, ont volontiers partagé leurs témoignages et abordés les difficultés économiques, les déplacements et les conditions de travail difficiles dans les mines.
Dans la littérature, la plus grande menace qui pèse sur la forêt tropicale du bassin du Congo serait l’expansion continue de l’agriculture paysanne dans la forêt. Nous nous sommes donc intéressés aux liens entre l’exploitation minière et l’agriculture. Dans les villages visités, nous avons appris que l’exploitation minière se substituait rarement à l’agriculture, mais qu’elle la complétait dans le cadre d’une diversification des revenus. La production agricole dépend des saisons et des précipitations, et lorsque les conditions de culture sont mauvaises, l’exploitation minière devient une opportunité d’obtenir un revenu temporaire. Cette stratégie est également adoptée lorsque les ménages font face à des catastrophes inattendues, tels que des conditions météorologiques défavorables, des ravageurs de cultures, voire des déplacements de populations dus à des conflits.
Contrairement aux mineurs qui utilisent cette activité en attendant de trouver de meilleures opportunités, d’autres personnes en font leur moyen de subsistance et se déplacent lorsque de nouveaux gisements miniers sont découverts. Alors que de plus en plus de personnes viennent travailler dans les mines et construisent souvent de petites habitations à proximité, la déforestation résultant d’activités telles que la construction de logements et l’agriculture s’ajoute à l’empreinte forestière de l’exploitation minière, dépassant de loin la zone déboisée pour l’extraction.
De retour en Norvège, grâce aux données collectées lors de l’enquête, j’analyserai les liens entre l’exploitation minière artisanale et les moyens de subsistance des habitants du Sud-Kivu. Un autre chapitre de la thèse étudiera directement l’impact de l’exploitation minière sur les forêts et la manière dont l’exploitation minière artisanale déclenche d’autres facteurs de déforestation dans les environs.
En tant que doctorant, cette opportunité de travailler sur le terrain a été une expérience inestimable. En effet, en plus d’avoir compris que les données ne sont pas aussi claires que je le supposais lorsque je rassemblais des cartes sur mon ordinateur, le fait d’avoir écouté les témoignages des communautés locales a enrichi ma compréhension du contexte local complexe du Sud-Kivu ainsi que de la configuration multiple des facteurs qui se cachent derrière le récit dominant d’une déforestation causée par les petits exploitants.
Deux articles sur cette recherche seront prochainement publiés. Pour plus d’informations à ce sujet, veuillez bien vouloir contacter Malte Ladewig à l’adresse suivante : malte.ladewig@nmbu.no.
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Remerciements
Cette recherche de terrain fait partie de l’Étude comparative mondiale du CIFOR sur la REDD+. Les partenaires financiers qui ont soutenu cette recherche sont l’Agence norvégienne de coopération pour le développement (Norad), l’Initiative internationale pour le climat (IKI) du ministère fédéral allemand de l’Environnement, de la Protection de la nature, de la Sécurité nucléaire et de la Protection des consommateurs (BMUV), et le Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (CRP‑FTA) avec le soutien financier des bailleurs de fonds du Fonds du CGIAR.
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Nous adressons des remerciements particuliers à tous les participants qui ont accepté de partager leurs témoignages avec nous, à l’équipe de guides et de chercheurs qui ont joué un rôle essentiel dans ce travail, ainsi qu’au professeur Aida Cuni‑Sanchez pour tout le soutien apporté avant, pendant et après ce travail de terrain.
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