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Le bois de chauffe, un lourd fardeau pour les femmes dans les sites de réfugiés

Les défis liés à l'épuisement des ressources en Afrique centrale
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Des femmes portant des fagots de bois près de Gado-Badzéré, au Cameroun. Photo : Arnauld Chyngwa/CIFOR

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La responsabilité de nourrir une famille pèse lourdement sur les femmes dans la région de l’Est du Cameroun, où un afflux massif de réfugiés provenant de la République centrafricaine a accru la concurrence pour l’accès aux ressources naturelles, rendant plus difficile la recherche de bois de chauffe pour satisfaire leurs besoins énergétiques.

Plus de 26 500 réfugiés se sont installés dans un camp à Gado-Badzéré, et beaucoup d’autres se sont intégrés dans les villages et villes voisins comme celle de Garoua-Boulaï, un point d’entrée pour les réfugiés ayant fui les conflits et l’insécurité après le déclenchement de la guerre civile centrafricaine en décembre 2012. Les communautés locales et les réfugiés dépendent du bois énergie pour cuisiner et faire bouillir l’eau, ce qui génère une concurrence pour l’accès aux ressources. Dans la plupart des cas, c’est à la femme que revient la responsabilité de veiller à ce que ces besoins soient satisfaits.

Selon Martin Azia, chef traditionnel de Gado-Badzéré, les femmes pouvaient au départ récolter ce dont elles avaient besoin dans les champs et les brousses voisins. Néanmoins, l’épuisement des ressources les amènent aujourd’hui à marcher jusqu’à huit kilomètres par jour pour récolter du bois de chauffe.

Sur le chemin, elles sont confrontées à de nombreux risques. D’après l’ONU Femmes, le fait de parcourir de longues distances les rend plus vulnérables aux agressions. De plus, pendant la saison des pluies, pour accéder aux arbres, elles marchent dans la boue et dans l’épaisse végétation. Lorsqu’un feu de brousse se déclenche, elles passent au travers des cendres et des bâtons affilés pour trouver ce qu’il reste. En outre, des tensions peuvent éclater entre les femmes réfugiées et les habitantes locales, car elles se disputent les mêmes ressources qui s’amenuisent ; les deux côtés pourraient avoir recours à piller du bois de l’autre.

Aujourd’hui, le Centre de recherche forestière internationale et le Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF) s’engagent avec ces femmes à Gado-Badzéré et Garoua-Boulaï dans le cadre du projet « Gouverner les paysages multifonctionnels en Afrique subsaharienne » (GML), qui vise à trouver des solutions conjointes pour des paysages durables et des communautés mobilisées. Les points de vue et les témoignages de ces femmes sont fondamentaux pour comprendre ce qui peut être fait pour conserver les ressources naturelles tout en augmentant l’approvisionnement en bois énergie et en limitant les conflits entre les communautés d’accueil et les réfugiés.

Quatre réfugiées et deux femmes camerounaises ont parlé à Arnauld Chyngwa (CIFOR) de leurs expériences pour surmonter les difficultés liées à l’accès au bois énergie. À travers leurs témoignages, ces femmes font preuve de résilience et de créativité pour trouver des moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Bouba Maïmouna. CIFOR/Arnauld Chyngwa

Maïmouna Bouba : Un homme a prétendu que mon bois de chauffe lui appartenait

Depuis son arrivée à Gado-Badzéré il y’a sept ans, Maïmouna Bouba a fait l’expérience d’une lutte quotidienne pour récolter du bois afin de cuisiner et se laver. Aujourd’hui, le bois est devenu plus rare qu’auparavant.

« Nous [femmes réfugiées] devons parfois marcher très loin », dit-elle. « Nous ne possédons pas de champs où nous pouvons récolter du bois, donc nous devons aller en brousse et nous salir ».

La tâche déjà « salissante » le devient encore plus après les feux de brousse, car les cendres tachent les corps et les vêtements des femmes qui continuent de se déplacer pour les récoltes.

C’est aussi un défi pendant la saison des pluies, car le bois de chauffe devient humide et couve lorsqu’il est allumé, au lieu de s’enflammer : « Nous allumons le feu avec beaucoup de difficulté ; nous l’attisons au point que nos yeux rougissent », a déclaré M. Bouba.

La récolte du bois est également risquée, même si elle est effectuée en groupe. Les femmes rencontrent souvent des problèmes avec les hommes et les propriétaires fonciers. Une fois, M. Bouba marchait avec un groupe de dix autres femmes, chacune portant un fagot de bois. Elles ont été arrêtées par un homme qui les somma de lui donner tout leur bois, prétendant qu’elles l’avaient récolté dans son champ, donc qu’il lui appartenait.

Laissant le bois à l’homme, les femmes sont rentrées chez elles les mains vides. Elles sont ensuite allées se plaindre auprès du chef local et ont proposées de payer son déplacement pour qu’il puisse rencontrer l’homme et vérifier les faits.

« Nous sommes allées chez l’homme et le chef lui a expliqué que nous étions des réfugiées et que nous voulions du bois afin de cuisiner pour nos enfants », a déclaré Bouba. « J’ai dit à l’homme que je n’avais pas les moyens d’acheter du bois de chauffe ou du charbon de bois ; j’ai besoin du bois que la nature offre dans la brousse afin de cuisiner pour mes enfants. »

Heureusement, le chef s’est rallié du côté de M. Bouba et les autres femmes, et l’homme a accepté de leur restituer leur bois. Depuis lors, elles ne sont toujours pas retournées dans cet endroit pour chercher du bois.

Pour les femmes réfugiées, de tels conflits rendent difficile la satisfaction de leurs besoins fondamentaux sans mettre en péril leur sécurité et leur bien-être.

Angeline Nandoe. CIFOR/Arnauld Chyngwa

Angeline Nandoe : Les femmes réfugiées prennent notre bois de chauffe

Environ quatre fois par semaine, Angeline Nandoe va en brousse avec ses amies pour récolter du bois pour sa famille. En tant que camerounaise d’origine, A. Nandoe a toujours compté sur la récolte du bois pour cuisiner sur son foyer à trois pierres. Mais depuis quelques années, « trouver du bois n’est pas facile, car les réfugiées viennent aux mêmes endroits ». Angeline et d’autres femmes doivent alors parcourir des distances de plus en plus longues pour trouver ce dont elles ont besoin.

Transporter le bois d’aussi loin constitue un autre problème. Bien souvent, les femmes doivent se contenter de ramasser moins que ce dont elles ont besoin, car il est difficile de transporter la lourde charge jusqu’à leur maison. Il est possible d’en laisser une partie dans la brousse pour le lendemain, « mais parfois, quand nous revenons, nous constatons que des femmes [réfugiées] l’ont déjà pris », précise-t-elle.

En sillonnant les routes, il est souvent possible de rattraper les femmes qui ont pris le bois, mais cela « conduit à une toute autre affaire ». En effet, pour résoudre le conflit, il faut se rendre auprès du chef local et nommer les personnes qui ont volé le bois, mais il faut d’abord savoir leurs noms. Le chef local pourra alors trancher le litige.

A. Nandoe pense que l’accès au transport constitue la meilleure solution pour s’assurer que le bois qu’elle récolte puisse arriver chez elle le jour même.

Hdidjatou Boboi. CIFOR/Arnauld Chyngwa

Hadidjatou Boboï : Nous devons parfois sauter des repas

Debout devant un mur de béton peint en blanc, Hadidjatou Boboï a répondu immédiatement et sans détour aux questions : « Oui. J’ai beaucoup de difficulté avec le bois, parce que quand je vais le chercher, je n’en trouve pas assez et je dois marcher très loin », a-t-elle expliqué.

Depuis que H. Boboï, 20 ans, est arrivée à Gado-Badzéré avec sa mère et son beau-père il y’a six ans, la récolte du bois est devenue une lutte quotidienne. En effet, elle est parfois chassée et trouve si peu de bois qu’elle en vient à se priver de cuisiner le déjeuner pour économiser du bois de chauffe.

« Il est déjà arrivé que je me sente menacée lorsque je vais chercher du bois, ou que des personnes pillent mon bois de chauffe et que je rentre les mains vides. Parfois, on nous vole même nos machettes », a-t-elle ajouté.

Lorsque des objets ont été pillés, elle ne se plaint que rarement au chef local, car elle sait que ces choses arrivent souvent ici ; la situation est difficile pour tout le monde, mais les personnes peuvent s’en sortir.

Une fois rentrée à la maison, H. Boboï cuisine en utilisant un foyer composé de trois briques disposées en forme de triangle sur le sol. Néanmoins, ce type de foyer consomme très vite le bois : « J’ai besoin de quatre morceaux de bois pour préparer un repas », a-t-elle déclaré.

H. Boboï nous a confié être volontaire pour planter des arbres si cela permettrait d’avoir du bois plus près de chez elle plutôt que de parcourir de longues distances et risquer d’être pillée, ou pire encore.

Fadimatou Souaïbou. CIFOR/Arnauld Chyngwa

Fadimatou Souaïbou : J’achète du bois pour éviter les conflits

À 65 ans, Fadimatou Souaïbou vend du manioc et des légumes pour gagner suffisamment d’argent afin de payer l’équivalent d’un jour de bois de chauffe, soit 100 francs CFA (0.20 $). Avec le bois de chauffe, elle peut préparer ses repas et chauffer de l’eau pour faire sa toilette.

Bien que l’achat de bois de chauffe soit coûteux, F. Souaïbou le préfère à la récolte de son propre bois. En effet, en dehors de la sécurité relative du camp et des villages, les femmes qui récolte le bois de chauffe sont souvent menacées ou se font piller leur bois.

En tant que réfugiée ayant fui les violences en République centrafricaine et vivant à Gado-Badzéré depuis cinq ans, F. Souaïbou préfère vivre aussi pacifiquement que possible avec ses voisins.

Lorsqu’on lui demande si elle a rencontré des difficultés avec les membres de la communauté d’accueil pour des questions de terres et de ressources, elle agite le doigt : « Non, pas du tout. J’évite de chercher les problèmes. Si je demande quelque chose à quelqu’un et qu’il n’y donne pas suite, je garde mon calme ; c’est la meilleure façon d’être ».

Cela étant, F. Souaïbou reconnaît qu’il existe plusieurs façons d’améliorer l’accès au bois énergie dans le paysage. Par exemple, des foyers améliorés permettraient de réduire la consommation de bois. « Il serait aussi utile d’augmenter le nombre d’arbres à branches multiples avoisinants que nous pouvons couper sans les endommager de façon permanente », a-t-elle souligné.

Haoua Housseini. CIFOR/Arnauld Chyngwa

Haoua Housseini : J’ai été pourchassée et j’ai dû abandonner mon bois

Haoua Housseini compte sur le bois de chauffe pour cuisiner chaque repas. Chaque jour, cette réfugiée centrafricaine âgée de 44 ans prépare du couscous ou du riz avec de la sauce. Lorsqu’elle a un peu d’argent supplémentaire, elle achète de la viande et des légumes.

H. Housseini quitte souvent sa maison de Gado-Badzéré pour aller chercher du bois, mais cela s’avère périlleux : « Je ramasse parfois du bois que je dois ensuite laisser parce que je suis pourchassée. Ce sont des hommes qui nous pourchassent, nous, des femmes et des filles. Que pouvons-nous faire ? » Elle rit pendant qu’elle observe attentivement le sol. « Bien sûr, je prends la fuite. »

Pendant la saison des pluies, il est encore plus difficile de récolter du bois à cause de la boue et de la végétation dense qui se développe, rendant l’accès aux arbres difficile. Quand c’est le cas, H. Housseini préfère acheter un fagot de bois pour 100 francs. Cependant, chaque fagot ne contient que cinq ou six morceaux de bois — juste assez pour préparer un repas.

La vie quotidienne de H. Housseini serait plus sûre et beaucoup plus pratique si des foyers fiables et efficaces, ainsi que des arbres pour le bois se trouvaient à proximité.

Marie Claire Zockneri. CIFOR/Arnauld Chyngwa

Marie Claire Zockneri : Le bois a disparu

Depuis 35 ans, Marie Claire Zockneri vit à Garoua-Boulaï. Sa famille, tout comme les réfugiés, dépend également du bois énergie pour la préparation de leurs repas quotidiens, composés notamment de manioc, de feuilles de manioc moulues et d’okra (connu localement sous le nom de gombo).

En temps normal, M.C. Zockneri va chercher du bois dans le champ familial, une tâche déjà difficile, car celui-ci est loin. Toutefois, lorsqu’elle parvient à s’y rendre, trouver du bois constitue désormais un problème majeur, car les réfugiées s’y sont déjà rendues en premier : « Je suis parfois obligée d’acheter du bois de chauffe, car en me rendant sur place, je découvre que les réfugiées ont déjà tout pris », explique-t-elle.

En dépit de ces difficultés, M.C. Zockneri explique ne pas avoir été impliquée dans des conflits avec les réfugiées. La situation pour les deux groupes est de plus en plus difficile, car la population croissante génère une pression sur l’accès aux ressources naturelles de première nécessité comme le bois.

Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière de l'Union européenne
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