De nombreuses communautés traditionnelles autochtones, généralement des chasseurs-cueilleurs nomades dispersés dans les forêts tropicales denses d’Afrique centrale, ont été délogées de leurs terres coutumières et poussées dans des installations précaires le long des routes, vers un mode de vie plus sédentaire.
Les moyens de subsistance de ces populations du bassin du Congo, environ un million de personnes communément dénommées « Pygmées », un terme controversé d’origine coloniale qui n’a pas trouvé de substitut faisant l’unanimité, sont menacés par l’insécurité alimentaire, une nutrition inadéquate, l’absence de soins de santé, les conflits armés, les litiges fonciers et les incursions des activités d’extraction de ressources.
L’espérance de vie de 35 ans des peuples Pygmées s’explique par une pauvreté extrême, de la malnutrition et l’absence de soins médicaux. À titre de comparaison, les populations Bantous vivent environ 22 ans de plus.
Les Pygmées mesurent 1,55 m en moyenne, ce qui en fait un peuple d’une taille relativement petite. Deux nouvelles études publiées dans la revue Human Ecology, l’une portant sur les enfants et l’autre sur les adultes, indiquent un indice de masse corporelle (IMC), systématiquement inférieur. L’IMC, la mesure de la masse graisseuse d’une personne rapportée à sa hauteur et son poids, est un indicateur utilisé par l’Organisation mondiale de la santé pour déterminer une situation de malnutrition.
Or, sur le sujet de la taille des Pygmées, il est difficile de déterminer la part attribuable à une prédisposition génétique et celle due à un retard de croissance, conséquence possible d’une nutrition inadaptée pendant l’enfance. Le défaut de l’indicateur universel IMC-pour-l’âge est qu’il n’arrive pas à tenir précisément compte de la stature plus petite de ces populations.
Ces conclusions sont tirées d’une recherche menée sur un panel sans précédent de plus de mille enfants issus des communautés Pygmées Baka au sud-est du Cameroun.
Les données ont été collectées par une équipe internationale composée de scientifiques venant de la Manchester Metropolitan University (MMU) britannique, du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et de l’organisation non gouvernementale espagnole Zerca y Lejos, en partenariat avec le Ministère camerounais des Forêts et de la Faune (MINFOF). Le projet a été financé par l’initiative Darwin, un programme de subventions du Gouvernement britannique, et soutenu par l’Agence des États-Unis pour le développement international, dans le cadre de l’Initiative sur la viande de brousse du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
« On utilise l’indicateur du retard de croissance pour déterminer un état de malnutrition d’une personne et mesurer sa prévalence à l’échelle d’une population. Mais l’incapacité à faire la distinction entre l’expression génétique d’une petite taille et un problème de croissance lié à la nutrition fait de cet indicateur un outil de diagnostic inadéquat », indique Stephan Funk, auteur principal, directeur de la société de conseil Nature Heritage et ancien professeur à l’Universidad de la Frontera du Chili.
S. Funk et ses collaborateurs, qui ont axé le projet de recherche sur l’utilisation des produits de la forêt, l’agriculture de subsistance et la santé humaine pour mieux comprendre les connexions qui relient la malnutrition, la maladie et l’alimentation, avancent l’hypothèse que cette mortalité précoce est probablement imputable à la malnutrition et à une tendance générale à la maigreur qui commencerait dès l’enfance. Mais en raison des limitations intrinsèques d’un IMC inadapté, la courbe de croissance ne peut être mesurée avec précision.
« Les Pygmées ne sont pas petits uniquement parce qu’ils sont sous-alimentés, nous devons donc tenir compte de leur taille pour évaluer la malnutrition », explique John E. Fa, expert scientifique associé au CIFOR et professeur à la MMU. « Leur IMC diminue avec l’âge, ce qui ne se retrouve dans aucun autre groupe. »
Ce défaut pose un problème considérable pour l’élaboration de politiques alimentaires et nutritionnelles pouvant répondre aux besoins des populations Pygmées. Actuellement, les recherches menées sur le terrain au sein de ces communautés révèlent qu’elles vivent principalement de la consommation et la vente de viande sauvage, pour laquelle elles gagnent une somme dérisoire de cinq à 80 centimes par jour.
Le coronavirus complique la situation
À l’heure où le COVID-19 déferle sur le continent africain, la situation sanitaire des Baka et des autres populations Pygmées n’est pas seulement sous la menace d’une épidémie qui ne faiblit pas, mais aussi d’un manque d’accès aux soins et de difficultés liées à la distanciation sociale et aux stratégies potentielles de vaccination future.
De plus, leur unique source de protéines alimentaires est maintenant remise en question par les autorités publiques qui envisagent d’interdire la viande sauvage, avec l’appui d’associations de conservation. Le SARS-COV2 est une zoonose dont l’origine serait un pangolin, une chauve-souris ou un félidé, présents sur un marché d’animaux vivants à Wuhan en Chine, et qui aurait servi de vecteur avant d’infecter les humains.
« La population Pygmée d’Afrique pourrait potentiellement endurer une double peine », continue J. Fa.
« La solution la plus à même de répondre à cette problématique doit tenir compte des dangers potentiels de la pandémie de COVID-19 pour permettre une prise de conscience de la pression sans précédent qui repose sur les peuples Pygmées, et agir en conséquence. »
Le bien-être animal, la sécurité alimentaire, le risque sanitaire et les droits traditionnels doivent être pris en considération, ajoute-t-il.
La sédentarisation n’a pas fait reculer les niveaux de malnutrition, car les populations Pygmées sont dépourvues de terres sur lesquelles cultiver leur propre nourriture, ce qui, selon les chercheurs, pourrait aider à réduire l’écart nutritionnel que les ressources naturelles ne comblent pas.
J. Fa conclut : « Une meilleure production alimentaire indigène couplée à une aide permettant de puiser dans les ressources d’animaux et de plantes sauvages de manière durable améliorerait l’état de santé général des populations locales ».
L’Initiative Darwin est financée par le Département britannique de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales et le Département du développement international. Ce travail a également été soutenu par le Bureau des forêts et de la biodiversité de l’Agence des États-Unis pour le développement international.
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