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Pour les 45 millions de personnes qui vivent dans les zones rurales de la République démocratique du Congo (RDC), il existe peu d’opportunités en ce qui concerne les moyens de subsistance, à part l’exploitation des ressources forestières. Ces populations rurales luttent tous les jours pour survivre dans une situation de pauvreté générale, d’insécurité alimentaire récurrente, d’instabilité postconflit et de chômage endémique qui les pousse à exploiter de manière non durable l’immense capital naturel de leur pays, qui devrait, en principe, améliorer leur qualité de vie et être le moteur de leur développement.

Cette réalité très contrastée représente une véritable menace pour la plus vaste forêt tropicale humide de l’Afrique : le bassin du Congo. Cet écosystème unique, dont 60 % se trouve sur le territoire de la RDC, contribue à la conservation de la biodiversité et au stockage du carbone, en atténuant les effets du changement climatique. Et même quand il reste en grande partie intact, il s’érode lentement sous l’action d’une population qui ne cesse de croître et de demander de ressources naturelles et de terres à cultiver.

Tentant de remédier à ces problèmes, le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) travaille avec le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) et l’entreprise Resources and Synergies Development (R&SD) pour créer des plantations d’arbres dans des zones précédemment déboisées dans la province de la Tshopo, au Nord de la RDC. Ces plantations produiront de la biomasse pour fournir de l’électricité aux communautés avoisinantes, créer de nouvelles opportunités économiques et offrir des emplois pour la population locale.

« C’est une initiative gagnant-gagnant pour la population et l’environnement », déclare Nils Bourland, scientifique senior au MRAC. « Nous soutenons l’économie locale en utilisant des terres dégradées pour répondre à la demande en énergie et soulager la pression exercée sur les forêts primaires. »

« Nous avons commencé en récoltant des graines, puis en faisant pousser les arbres en pépinière en 2017. La première transplantation a eu lieu en 2018 », explique Martin Van Hulle, qui coordonne le projet de plantations pour R&SD. Il fait remarquer que 30 hectares ont été plantés jusqu’ici, soit environ 80 000 arbres, mais que l’équipe espère pouvoir planter environ 300 hectares par an à partir de 2019. « Nous avons déjà formé des ouvriers locaux et développé un système qui fonctionne, et nous sommes prêts à passer à l’échelle supérieure. »

Les terres servant à ces plantations appartiennent en majorité à une institution congolaise, l’Institut National pour l’Étude et la Recherche Agronomiques (INERA), et lors de la période coloniale étaient utilisées pour des cultures tropicales. « Au milieu du siècle dernier, Yangambi produisait du caoutchouc, du café, des bananes et de l’huile de palme, entre autres », poursuit N. Bourland. « Cependant, ces terres et leurs anciennes plantations n’ont pas été exploitées depuis plusieurs dizaines d’années et ne sont plus productives. » Conformément au projet de l’INERA de réhabiliter ces espaces, cela en fait le lieu idéal pour produire de la biomasse, assure-t-il.

Cette activité fait partie du projet FORETS, une initiative de 27 millions d’euros financée par l’Union européenne pour promouvoir le développement intégré de la Réserve de biosphère de Yangambi. Son objectif est de favoriser la gestion durable de la biodiversité en créant des opportunités économiques sur une superficie d’environ 400 000 hectares.

   Les plantations dépendent des cycles naturels des précipitations, ce qui les rend vulnérables aux caprices de la météo. Ahtziri Gonzalez/CIFOR

LE PROBLÈME DE L’ÉLECTRICITÉ

La RDC a l’un des taux d’électrification les plus faibles du monde, et seulement 1 % des ménages ruraux disposent de l’électricité. La plupart des familles compte plutôt sur le bois de chauffe et le charbon de bois pour répondre à leurs besoins en énergie domestique.

« Le makala, comme on appelle le charbon de bois localement, sert pratiquement à tous les ménages ruraux pour la cuisson des aliments », explique N. Bourland. « Le problème, c’est que cela exerce une pression énorme sur les forêts ». En fait, la Banque mondiale estime qu’environ 84 % du bois récolté dans le pays est utilisé pour la production d’énergie domestique, et il est prévu que la demande augmente compte tenu de la croissance démographique.

Si l’accès pour tous à une énergie moderne, abordable, fiable et durable figure en haut des priorités du développement international, et si c’est l’un des objectifs de développement durable, ce n’est guère une entreprise facile en RDC. En raison de l’insuffisance des infrastructures et de leur mauvais état, comme de l’incurie généralisée des services publics, la meilleure solution pour avancer passe par des solutions locales.

« Pendant 18 mois, nous avons réalisé diverses études pour déterminer la meilleure alternative afin de fournir de l’électricité dans ce paysage », indique N. Bourland. « Les résultats obtenus ont montré que la biomasse était une solution viable pour répondre aux besoins locaux, et la plus efficiente. » Les études en question révèlent que d’autres sources d’énergie, comme l’éolien ou l’hydroélectricité, ne seraient pas possibles dans ce contexte. Et si les panneaux solaires pourraient fournir une énergie supplémentaire intéressante, les produits de bonne qualité sont rares dans la région. De plus, le taux élevé d’humidité et l’intensité des précipitations raccourciraient le cycle de vie des panneaux, dont la réparation serait très compliquée à cause de la difficulté d’accéder à Yangambi.

Selon les scientifiques, les autres avantages de la biomasse sont l’investissement relativement faible du départ, ainsi que l’abondance de matières premières à Yangambi. « Il y a des plantations d’hévéas et de palmiers à huile abandonnées que nous envisageons d’utiliser pour commencer à produire de l’énergie cette année », ajoute N. Bourland. « Ensuite, nos plantations seront prêtes à prendre le relais avec les premières récoltes prévues en 2025 ou 2026. »

La plupart des arbres plantés sont des acacias (Acacia auriculiformis), espèce à croissance rapide qui offre une valeur calorifique remarquable. « Il est prouvé que cette espèce est très efficiente pour les projets de biomasse dans le monde entier », affirme N. Bourland. Pour le reste des arbres, ce sont des espèces locales qui présentent aussi un potentiel pour la production d’énergie, comme l’Albizia adianthifolia à la couronne plate caractéristique, et l’ilomba (Pycnanthus angolensis). Certaines de ces espèces pourraient aussi être utilisées pour leur bois.

La production de biomasse aura lieu dans les zones de Yangambi et de Ngazi, deux communautés distantes d’une centaine de kilomètres de la ville de Kisangani, dont les anciens sites industriels seront réhabilités pour ce projet.

DES ARBRES AU BÉNÉFICE DE TOUS

La production d’électricité sera la principale vocation de ces plantations, mais tous les arbres ne serviront pas cet objectif. La communauté locale pourra aussi en utiliser certains comme bois de chauffe et réduire ainsi la pression sur les forêts. « Même s’ils disposent de l’électricité, certains ménages continueront à utiliser le makala pour la cuisine », remarque M. Van Hulle. « Ainsi, si on récolte le bois des plantations, nous pouvons éviter la surexploitation de la Réserve de biosphère de Yangambi. »

Par ailleurs, les plantations intégrent des systèmes agroforestiers, donc les familles cultiveront la terre entre les rangées d’arbres, ce qui devrait restaurer la fertilité du sol. Les chenilles et le miel seront récoltés sur certains arbres, ce qui permettra d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition des communautés locales.

   Deux femmes travaillent dans la pépinière du projet FORETS à Yangambi en RDC. Axel Fassio/CIFOR

OPPORTUNITÉS D’AVENIR

Le bénéfice le plus important de ce projet est peut-être la création d’emplois pour la population locale. Des décennies d’instabilité politique ont conduit la plupart des industries de la région à fermer et il reste très peu d’emplois formels.

De la récolte des graines à la plantation et à l’entretien des arbres, ces plantations exigent de la main-d’œuvre à tous les niveaux. « Nous avons embauché des gardes de sécurité, des journaliers, des chauffeurs, des techniciens locaux et bien d’autres personnes », signale M. Van Hulle. « Environ 180 hommes et femmes sont déjà employés, et nous prévoyons d’en embaucher encore 220 d’ici 2021. » Ces chiffres ne concernent que les plantations et il est prévu que la production d’électricité créera davantage d’emplois, précise-t-il.

« Le démarrage de ce projet n’a pas été simple », mentionne N. Bourland. « Notre première difficulté était l’absence de main-d’œuvre qualifiée. » Si auparavant les personnes d’ici avaient l’expérience des plantations industrielles, la génération actuelle n’est pas formée à la plupart des emplois nécessaires. « Nous avons dû les former », dit M. Van Hulle, « mais les résultats sont très satisfaisants, ils sont très motivés et contents d’avoir gagné de l’argent à la fin de la journée. »

Cependant, même si le moral y est, quelques problèmes subsistent. L’un des plus importants est de s’occuper des arbres dans des conditions imprévisibles. « Les plantations dépendent du cycle naturel des précipitations, et pour être sûrs qu’il y ait assez d’eau pour la croissance des arbres, nous avons deux saisons de plantation par an », explique M. Van Hulle. « Cependant l’an dernier, les pluies étaient en retard et nos arbres ont failli périr. » L’agriculture itinérante sur brûlis pose aussi le risque de feux non maîtrisés, ce qui signifie que les plantations doivent être protégées.

De plus, si l’accès à l’électricité et la création d’emplois sont essentiels au développement rural, l’économie de la région reste précaire et des infrastructures insuffisantes et en mauvais état limitent son potentiel. C’est la raison pour laquelle le projet FORETS travaille pour attirer des investissements privés et publics et pour lancer d’autres activités lucratives dans les domaines de l’agriculture, de la pêche et de l’exploitation forestière. « Ces plantations sont la première étape vers un avenir meilleur à Yangambi. Mais nous avons encore beaucoup à faire », conclut N. Bourland.

Pour plus d'informations sur ce sujet, veuillez contacter Paolo Cerutti à l'adresse courriel suivante p.cerutti@cgiar.org.
Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière Union européenne.
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