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Au Kenya, aucun progrès sur le quota progressif de 30%

Les systèmes de valeurs traditionnels entravent l'équité entre les sexes dans la gestion des ressources.
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Membres d’une association de forêt communautaire (CFA) et d’une association d’utilisateurs de ressources en eau (WRUA) dans la forêt de Mau au Kenya. Photo CIFOR / Patrick Shepherd

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Parler de gestion des ressources locales dans le contexte des communautés rurales africaines sous-entend de parler du rôle spécifique des femmes et de la différenciation entre les sexes en matière les droits et les responsabilités liés aux ressources. Cela englobe des aspects en matière de contrôle et d’accès aux ressources, les différents types d’utilisation des ressources, les répartitions des responsabilités, la participation au leadership local et les connaissances environnementales.

Afin de lutter contre de potentiels déséquilibres sociaux, qui désavantagent souvent les femmes, le Kenya a introduit un nouveau quota hommes-femmes dans sa constitution en 2010 stipulant que « pas plus de deux tiers des membres des organes électifs ou nominatifs seront du même sexe » (GOK 2010, page 25). Dans le cadre du projet de recherche actuel du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) financé par le Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), j’ai participé à l’étude des effets de ce quota ainsi que de la différenciation entre les sexes de manière plus générale sur la performance des associations forestières communautaires (CFA), des associations d’usagers des ressources en eau (WRUA) et de l’utilisation des ressources locales.

Nous avons constaté que, en raison des normes culturelles et des systèmes de valeurs traditionnels, le quota n’a pas encore été mis en œuvre et l’inégalité entre les sexes en matière de leadership, d’accès aux bénéfices financiers et de partage des bénéfices persiste.

Dans le cadre de notre étude de cas, nous avons sélectionné les deux communautés de Londiani et de Kipkelion adjacentes au Complexe de la forêt de Mau – la plus grande forêt alpestre d’Afrique de l’Est – le domicile de la CFA de Londiani ainsi que de la WRUA de Kipchorian. Les femmes et les hommes de chaque groupe ont été interrogés séparément dans le cadre d’entretiens de groupe sur les aspects susmentionnés de la différenciation entre les sexes. En approfondissant les différentes origines et raisons du statu quo actuel, d’autres entretiens ont été menés avec des acteurs clés de pouvoir dans la gestion des forêts et de l’eau dans la zone de recherche. Ensemble, ceux-ci ont révélé les mythes et les théories courants en matière de genre, comme exposés ci-dessous.

Progrès de l’équité versus stagnation des normes sociales

En tant que gagne-pains de la famille, les femmes sont responsables au quotidien de l’eau, du bois de chauffage, de la nourriture et de leur conservation, tandis que les hommes utilisent généralement les ressources naturelles à des fins commerciales (vente de produits forestiers). Cela est enraciné dans une longue tradition de division du travail, qui reste inchangée jusqu’à aujourd’hui.

De plus, il semble qu’il n’y ait pas d’équilibre entre les sexes dans le leadership dans l’une ou l’autre des deux associations communautaires. Les responsabilités des femmes les empêchent souvent d’avoir le temps d’accomplir leurs tâches en tant que leaders potentiels. Certaines des femmes interrogées ont également souligné leur manque d’éducation par rapport aux hommes, et ne se voient donc pas dans des positions de leadership. D’autres femmes ne veulent pas diriger, car elles pensent qu’un leader doit être physiquement fort et énergique pour protéger les ressources des menaces potentielles. De plus, les membres de la communauté ont révélé que beaucoup de femmes ont besoin de la permission de leur mari pour assumer le leadership.

De similaires déséquilibres sociaux peuvent être trouvés dans le régime foncier lié au sexe. Malgré le fait que l’égalité des sexes et l’accès aux ressources soient désormais entérinés dans la nouvelle constitution kenyane (c’est-à-dire la suppression de la discrimination liée au genre en droit), les entretiens auprès d’experts révèlent que, du fait des aspects culturels, la propriété foncière au Kenya appartient toujours aux hommes.

Ce mode d’occupation des terres fait qu’il est difficile pour les femmes de s’impliquer convenablement dans des activités génératrices de revenus, étant donné que les hommes doivent leur fournir des terres. De plus, les femmes interrogées ont révélé que les profits tirés de la récolte et de la vente de produits agricoles – tels que l’apiculture ou les pépinières – appartiennent au chef de famille, qui est généralement un homme.

Pourtant, les femmes interrogées ont déclaré qu’elles étaient satisfaites de leurs chances de participer. Elles se sentent inclues dans les processus de prise de décision et ont de solides occasions d’élire leurs dirigeants dans le cadre d’une procédure équitable et démocratique. Même si elles peuvent être en désaccord avec leurs dirigeants ou rencontrer des problèmes dans la gestion des ressources, elles peuvent convoquer une réunion et exprimer leurs préoccupations.

« Nous avons essayé d’inclure les femmes. Mais ces femmes sont heureuses de laisser les choses comme elles sont, en raison de leur niveau d’éducation et des aspects culturels qui jouent un rôle », a déclaré Boniface Mulwu du Service kenyan des forêts (KFS).

En ce qui concerne la différenciation entre les sexes en matière de leadership, de responsabilités et de régime foncier, les représentants interrogés des bureaux régionaux de KFS et de l’Autorité nationale des ressources en eau (WRA) plaident en faveur d’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. Mais ni le KFS ni la WRA n’ont encore fourni de programmes pour l’émancipation des femmes.

Concepts ascendants versus instructions descendantes

L’état de la différenciation entre les sexes dans la gestion des ressources dans la forêt de Londiani est attribuable à différentes causes.

Premièrement, le contexte culturel et le droit coutumier jouent un rôle important dans la vie quotidienne des Kenyans ruraux, ce qui se traduit par la perpétuité de traditions qui empêchent les habitants de s’adapter aux systèmes de valeurs kenyans plus modernes. Vivant conformément aux valeurs traditionnelles, aucune des femmes interrogées n’a exprimé de mécontentement quant à leur statut comparativement inférieur à celui des hommes.

Deuxièmement, le manque d’éducation empêche beaucoup de femmes d’obtenir un emploi autre que celui qui leur a été légué par leur famille et leur communauté. Elles semblent également ignorer leurs droits dans la constitution kenyane.

Troisièmement, il est urgent que les hommes soient plus sensibles à l’égalité des sexes. Les hommes ont encore beaucoup de pouvoir sur les femmes, et en particulier leurs femmes. Des recherches antérieures ont montré que de nombreux programmes d’émancipation des femmes exacerbaient les tensions existantes entre les hommes et les femmes, telles que le régime foncier, l’allocation des revenus ou le fait que les femmes requièrent la permission de leur mari pour participer à certaines activités (comme le leadership).

En outre, il existe un manque absolu de programmes soutenant l’émancipation des femmes. Tous les experts interrogés sont conscients des déséquilibres entre les sexes et plaident en faveur de l’émancipation des femmes. Par ailleurs, ils ont tous déclaré avoir essayé d’appliquer le quota de 30% de la Constitution, mais les déséquilibres subsistants montrent que ce quota ne peut être la seule solution, prouvant que les réformes législatives ne sont pas accompagnées de changements dans les réalités sociales et économiques pouvant permettre aux femmes de bénéficier de nouvelles lois. Une promulgation de loi nationale telle que le quota ne change pas la structure formelle des arrangements sociaux au niveau local.

Une meilleure solution consiste, peut-être, à modifier progressivement les systèmes de valeurs et de coutumes d’une population locale par des efforts tels que des programmes éducatifs. Les femmes dirigeantes pourraient, sans aucun doute, soutenir ce processus, mais la réalisation d’un quota hommes-femmes ne remédie pas nécessairement à toutes les inégalités qui existent actuellement au niveau local. Par conséquent, l’accent devrait être mis moins sur un quota fixe et plus sur l’éducation autour des déséquilibres sociaux. Au lieu de travailler à partir d’instruction descendante, il faut ajouter un processus ascendant pour voir les efforts mis en œuvre avec succès.

Pour de plus amples recherches, les enquêtes auprès des ménages devraient être considérées en complément des entrevues de groupes afin d’inclure l’opinion des femmes qui n’ont pas pu participer aux groupes de discussion pour plusieurs raisons. En outre, pour obtenir une image plus représentative de la différenciation entre les sexes en général et pour parvenir à une gestion plus efficace des ressources, il est important d’interroger ceux qui s’abstiennent de participer à des groupes d’utilisateurs quoiqu’ils utilisent aussi les ressources locales.

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