En septembre 2015, des grands incendies ont ravagé les forêts, les terres dégradées et les tourbières à Kalimantan central, au sud de Sumatra et dans d’autres parties de l’Indonésie. Aujourd’hui encore, des feux sont déclenchés.
Fin octobre, plus de 115 000 incendies ont été signalés dans la majeure partie de l’archipel. Ils se concentrent surtout dans les provinces de Riau et Jambi sur l’île de Sumatra, ainsi qu’à Kalimantan central et dans l’ouest de Bornéo.
Selon le ministre indonésien de l’Environnement et des Forêts, les incendies ont brûlé environ 1,7 millions d’hectares de terres à Sumatra et à Bornéo.
Les incendies sont un événement annuel habituel dans les tourbières et les forêts de l’Indonésie avec un pic autour de septembre ou octobre. Toutefois, la déforestation et les incendies répétés ont rendu les paysages considérablement plus vulnérables face au feu.
Les feux de cette année sont aggravés par un épisode d’El Niño exceptionnellement intense, qui, selon les prévisions, persistera jusqu’en début 2016.
Cependant, les recherches du CIFOR indiquent que les grands événements de pollution de l’air ne sont plus limités aux années de sécheresse, puisque la déforestation des tourbières et la dégradation continue des terres rendent des vastes zones de plus en plus sensibles face aux incendies.
Cependant, les coûts des incendies et de la fumée continuent à croître. Les causes sous-jacentes sont complexes. Parvenir à des solutions à long terme pour prévenir des incendies futurs nécessitera du temps, de la coordination ainsi que des preuves solides.
Chiffrer le coût des incendies et de la fumée
- Durant les années 1997-1998 l’épisode d’El Niño était également particulièrement fort. A cette époque, des feux ont brûlé sur plus de 6 millions d’hectares en Indonésie. Ils ont causé au moins 8,5 milliards de dollars de dommages, principalement à la foresterie et à l’agriculture.
- Dans l’ensemble de la région, on estime que la fumée des incendies de 1997-98 a engendré une perte d’environ 4,5 milliards de dollars pour le secteur touristique ainsi qu’en terme de coûts sanitaires à court terme.
- Les deux estimations ci-dessus incluent des estimations très prudentes du coût du carbone. En 1997-98, les émissions de carbone étaient suffisamment élevées pour placer l’Indonésie parmi les plus grands pollueurs mondiaux.
- Les études plus récentes du CIFOR indiquent que 1,45 milliards de tonnes de dioxyde de carbone ont été émises durant les incendies de 1997-98, ce qui représente une valeur marchande d’environ 3,6 milliards de dollars en 2005. Étant donné que le prix du carbone est susceptible d’augmenter à long terme, les incendies futurs pourraient coûter beaucoup plus chers.
- Certains rapportsaffirment que les incendies ont coûté jusqu’à présent 30 milliards de dollars au gouvernement indonésien.
Comment les incendies commencent-ils en Indonésie et pourquoi persistent-ils ?
- Les incendies dans les tourbières sont extrêmement difficiles à éteindre, ils fument souvent pendant plusieurs jours ou semaines, menaçant de renflammer le paysage. Seules les fortes précipitations de la saison des pluies peuvent les éteindre correctement.
- La tourbe est un mélange de sol et de végétation partiellement décomposée, formée dans les zones humides bordant les côtes de l’archipel indonésien.
- Le déboisement expose la tourbe sous les arbres et assèche, avec le drainage, la matière. Le défrichage et les incendies répétés favorisent également la croissance de fougères et d’arbustes qui brûlent facilement.
- Le feu est un moyen facile et pas cher pour les petits agriculteurs et les grandes entreprises de défricher des terres afin d’y planter des cultures telles que le palmier à huile.
- Traditionnellement, les agriculteurs locaux utilisent des techniques d’agriculture sur brûlis dans le but de défricher des petites parcelles de forêt tropicale pour les cultures et le bétail.
- Les développements à grande échelle contribuent à l’expansion de l’utilisation du feux par les communautés, puisque ces développements attirent des migrants et améliorent l’accès aux zones anciennement reculées.
- La faiblesse de la gouvernance et de la planification de l’aménagement du territoire permettent aux spéculateurs fonciers et autres investisseurs de prendre part.
- Le régime foncier imprécis ou inappliqué ouvre la voie aux conflits entre les petits exploitants locaux, migrants, organismes gouvernementaux, communautés et entreprises. Le feu est souvent utilisé pour faire valoir les revendications.
- Bien que les observations satellitaires montrent qu’environ 1 feux sur 5 commence au sein d’une concessions de palmiers à huile, des recherches récentes du CIFOR suggèrent que les faits sont plus compliqués ; les communautés locales occupent également des terres à l’intérieur des concessions et les incendies allumés à l’extérieur peuvent se propager dans les concessions.
- L’industrie indonésienne de l’huile de palme est encouragée par la demande mondiale et l’investissement des entreprises malaisiennes et singapouriennes, parmi d’autres. En 2014, l’Indonésie a fourni environ 52 pourcent de l’huile de palme du monde. Cette huile est utilisée dans une large gamme de produits : allant des chips aux cosmétiques, en passant par l’huile de cuisson et le dentifrice.
- L’huile de palme est un élément majeur de la croissance économique de l’Indonésie et de la région. Au total, environ 11 millions d’hectares de plantations de palmiers à huile produisent 33 millions de tonnes d’huile, en générant 21 milliards de dollars en 2014.
Le bilan humain des incendies et de la fumée
- Les fumées engendrées par les incendies de cette année semblent être les pires depuis celles de 1997-98, qui sont estimées avoir nui à la santé, aux biens et aux moyens de subsistance d’environ 75 millions de personnes en Indonésie et dans la région.
- Les feux et la fumée engendrent divers problèmes directs et indirects de santé.
- Le Conseil national indonésien de gestion des catastrophes (BNPB) aurait estimé que 500 000 personnes ont développé des symptômes respiratoires à cause de la fumée dégagée par les incendies de cette année.
- La fumée toxique issue des feux de forêt et de tourbe est un mélange de suie (matière particulaire ou MP) et de diverses composantes chimiques dangereuses, y compris le monoxyde de carbone, l’ammoniac, le cyanure, l’acide formique, le formaldéhyde, parmi beaucoup d’autres.
- Les effets immédiats de la fumée sur la santé comprennent des maux de tête, des nausées, l’insomnie, la confusion et la fatigue ; tous peuvent réduire considérablement la productivité et aggraver d’autres maladies.
- Les risques pour la santé à long terme sont moins clairs, mais on pense qu’ils augmentent avec l’intensité de la fumée et la durée de l’exposition.
- Une étude en 2013 estime que la fumée de 1997-1998 aurait entraîné la mort prématurée d’environ 11 000 adultes par le déclenchement de maladies cardiovasculaires. La mortalité des enfants (qui représentent plus de la moitié de la population de la région) n’a pas été estimée, mais on pense qu’elle a été particulièrement élevée.
- En Kalimantan Central, à la mi-octobre 2015, le CIFOR a mesuré des niveaux de monoxyde de carbone 30 fois plus élevés que la normale, à l’intérieur et à plus de 30 kilomètres de l’incendie le plus proche.
- L’Agence indonésienne de météorologie, de climatologie et de géophysique (BMKG) aurait déclaré qu’au moins 43 millions de personnes à Sumatra et au Kalimantan ont été exposées à la fumée toxique.
Feux et changements climatiques sont étroitement liés
- Sous conditions naturelles, le carbone libéré par les feux de forêt est extrait de l’atmosphère lorsque la végétation repousse. Si les forêts sont déboisées ou les tourbières brûlées, on constate toutefois une augmentation nette de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
- Les recherches du CIFOR indiquent qu’en 2013, une semaine d’incendies, pour la plupart confinés à Sumatra, a engendré des émissions de gaz à effet de serre équivalentes à 5 – 10 pourcent des émissions annuelles moyennes de l’Indonésie pour la période 2000-05.
- En 2005, les feux de tourbières ont représenté environ 40 pourcent des émissions de gaz à effet de serre de l’Indonésie.
- Une analyse récente de la Base de données des émissions mondiales des incendies suggère que, depuis le début de septembre 2015, les émissions quotidiennes des feux de tourbières ont dépassé à de nombreuses reprises les émissions quotidiennes des États-Unis.
- Le risque d’incendies a tendance à s’aggraver lors des années de sécheresse. Il est aggravé par les phénomènes climatiques ayant lieu dans les océans Indien et Pacifique.
- Le phénomène d’El Niño diminue, par exemple, généralement les précipitations dans le Pacifique occidental. Selon les dernières prévisions, la situation d’El Niño va persister jusqu’en début 2016, ce qui aggrave davantage le risque d’incendies.
- Sans contrôle, le réchauffement climatique risque d’augmenter considérablement la fréquence des épisodes d’El Niño.
- Les recherches menées par le CIFOR indiquent que les grands événements de pollution de l’air ne sont plus limités aux années de sécheresse, puisque la déforestation et la dégradation continues des terres augmentent la sensibilité de vastes zones face aux incendies.
- Des estimations récentes suggèrent que les incendies pourraient ajouter plus de 1 milliard de tonnes de carbone à la charge des émissions de l’Indonésie. Ceci a des implications importantes pour les prochaines négociations sur le climat de l’ONU à Paris et pour l’objectif de l’Indonésie de réduire d’ici 2030 les émissions provenant du secteur terrestre de 29 pourcent par rapport au taux habituel.
Les conséquences des feux et de la fumée pour la faune sauvage
- La déforestation et la dégradation des terres et des forêts menacent déjà de nombreuses espèces végétales et animales, y compris les populations restantes d’orangs-outans.
- Des centaines d’incendies ont été signalés à l’intérieur de refuges et de parcs nationaux sur l’île de Bornéo, qui constituent un habitat crucial pour environ un tiers des orangs-outans sauvages de la planète.
- Selon des organismes de sauvegarde de la faune, les orangs-outans émergeant de la forêt pour échapper aux incendies sont exposés aux risques de contact direct avec les humains.
- Les orangs-outans de Bornéo sont considérés comme espèce menacée par l’Union internationale pour la conservation de la nature.
- Les conséquences pour les insectes pollinisateurs sont probablement très lourdes.
Les restrictions légales concernant les incendies sont rarement efficaces
- Faire respecter les restrictions juridiques par les grandes entreprises s’est avéré difficile, en partie parce que la responsabilité n’est pas clairement définie entre les différents niveaux du gouvernement et du système judiciaire.
- Rassembler les preuves nécessaires pour étayer des poursuites judiciaires est onéreux. Dans les rares affaires judiciaires ayant tenté de poursuivre les cas d’incendies présumés illégaux, la responsabilité pénale ainsi que la responsabilité civile ont été difficiles à prouver.
- Les institutions locales ne disposent souvent pas des capacités, des ressources ou de la volonté politique pour appliquer les lois ; pour les fonctionnaires régionaux, faire respecter l’interdiction des feux équivaudrait à un « suicide politique ».
- Le moratoire de l’Indonésie sur les forêts interdit aux autorités de délivrer de nouveaux permis pour le développement sur des zones de tourbières. Toutefois, la conversion en plantations de palmiers à huile peut aller de l’avant pour les concessions déjà attribuées, dont certaines se situent sur des tourbières.
L’autorégulation des entreprises a un succès mitigé
- Les entreprises productrices d’huile de palme, ainsi que de pâte et de papier, prennent de nouveaux engagements concernant la durabilité de l’environnement. En outre, les nouvelles technologies de cartographie augmentent les capacités de surveillance par des tiers.
- Bien que plusieurs grandes entreprises d’huile de palme aient pris des engagements relatifs à des pratiques plus durables, les actions du personnel et des sous-traitants sur le terrain peuvent saper les engagements de l’entreprise.
- Les recherches des années antérieures révèlent que certaines grandes entreprises seraient prêtes à risquer une amende, plutôt que de payer pour des mesures préventives.
Aborder les causes sous-jacentes complexes des incendies
- Les racines du problème des incendies en Indonésie se trouvent dans la pauvreté et la mauvaise gouvernance. Dans un premier temps, il ne s’agit pas d’enjeux environnementaux mais humains.
- Les incendies n’ont pas qu’une seule cause. Ils sont le résultat des activités d’un réseau d’acteurs divers appartenant aux communautés, au gouvernement, au secteur non-gouvernemental ainsi qu’au secteur privé.
- Ces groupements sont actifs dans divers types de terres: les concessions des entreprises, les terres étatiques et les terres privées / communales. Dans de nombreux cas, les droits fonciers ne sont pas clairement établis.
À la recherche de solutions à long terme : de la répression à la prévention
- Les dizaines de milliers de personnes mobilisées pour combattre les incendies ont été incapables de les contrôler. Les pompiers sont souvent sous-équipés et mal coordonnés.
- Le développement de solutions à long terme nécessitera du temps. Les points importants consistent notamment à éviter la conversion des forêts, à réduire la dépendance du feu et à éviter de cultiver les zones de tourbières. Il est crucial de comprendre l’économie politique des incendies en Indonésie.
- De nos jours, de nombreuses personnes bénéficient amplement des incendies, y compris des agriculteurs, des décideurs politiques, des hommes d’affaires, des fonctionnaires du gouvernement et même des universitaires. Cela signifie que les incitations financières pour évoluer vers des utilisations alternatives des terres doivent être considérables.
- La répression des feux est importante, mais elle risque effectivement d’entraver les solutions à long terme, car elle est très visible, crée des emplois locaux et attire des fonds et du matériel.
- Pas tous les incendies causent des dommages et sont non désirés ; de nombreux petits exploitants dépendent de l’agriculture itinérante sur brûlis pour leur subsistance.
Ces recherches ont été financées par le Département britannique pour le développement international, par le biais du projet KnowFor et de USAID.
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