Bogor, Indonésie – Cette semaine marque le premier anniversaire de la Déclaration de New York sur les Forêts. L’an dernier à pareille date, lors du Sommet des Nations unies sur le Climat, une pléiade d’acteurs ont adopté cette Déclaration, dont les ambitieux objectifs se traduisaient par la réduction de la déforestation de moitié d’ici 2020 et son élimination complète pour 2030.
Un an plus tard, où en est la situation? Quelles sont les avancées? Que peut-on améliorer? Quel chemin reste-il à parcourir? Nous nous sommes entretenus avec Romain Pirard, scientifique senior au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
Faisons le point.
Que pensez-vous des progrès réalisés jusqu’à maintenant? Y a-t-il de nouveaux programmes ou de nouvelles politiques en place?
La Déclaration de New York en septembre 2014 a représenté un jalon important dans les efforts de lutte contre la déforestation tropicale, à un moment où la pression s’exerce sur le secteur privé. Certes, cette Déclaration est signée par un ensemble varié d’acteurs gouvernementaux, du secteur privé et issus de la société civile. Mais elle ne peut être sortie d’un contexte où les campagnes menées par les ONG ont incité de très nombreux groupes ou compagnies privées à s’engager à ne plus contribuer à la déforestation tropicale : producteurs de commodités agricoles, usines de transformation, producteurs de biens de consommation final ou distributeurs, et jusqu’aux financiers. À son tour, cette Déclaration a aussi stimulé de nombreux nouveaux engagements privés, et en cela, on peut éventuellement considérer qu’elle a généré de nouveaux programmes ou de nouvelles politiques, mais du côté du secteur privé en grande majorité. On voit donc que le mouvement s’exerce dans les deux sens et que les différentes initiatives plus ou moins publiques et privées s’auto-entretiennent.
Comment pourrait-on mesurer l’impact de ces nouveaux engagements?
C’est difficile à évaluer puisque nous sommes actuellement encore dans une phase de balbutiements. Sans vouloir généraliser à outrance, on peut affirmer aujourd’hui que ces engagements privés relèvent plus de déclarations d’intention que de changements concrets mis en œuvre sur le terrain. Cela peut se comprendre puisque ces acteurs sont dispersés tout au long de la chaine d’approvisionnement qui va des producteurs de commodités agricoles – huile de palme, soja, bétail, pâte à papier – jusqu’aux distributeurs de détail. On pourrait donc difficilement espérer que l’ensemble de la chaine change du jour au lendemain, ne serait-ce que parce que la question de la traçabilité n’est pas évidente à résoudre.
Sans vouloir généraliser, ces engagements privés relèvent plus de déclarations d’intention que de changements concrets mis en œuvre sur le terrain
L’évaluation pourrait néanmoins se faire, à terme, sur une base individuelle : telle compagnie a-t-elle réellement éliminé tout évènement de déforestation le long de sa chaine d’approvisionnement ? Ceci est possible, bien que parfois délicat en raison de chaines complexes. Par exemple, on peut le voir en Indonésie avec le palmier à huile et la part croissante de petits producteurs qui ne sont pas toujours enregistrés formellement. Parfois c’est plus simple, comme avec le secteur des pâtes et papiers qui est plus concentré et intégré verticalement : le producteur de produits papetiers finis et prêts à être distribués auprès des consommateurs peut également faire partie du même groupe que la plantation forestière elle-même.
Mais cette évaluation sur une base individuelle ne doit pas occulter le problème des effets indirects. En effet, le problème peut tout à fait être simplement déplacé vers d’autres acteurs et producteurs, soit pour le même secteur soit pour d’autres produits. Dans le premier cas, le risque est celui d’une fragmentation des marchés avec une partie de la production écoulée dans des zones géographiques moins exigeantes en matière de standards environnementaux (ex. la Chine ou l’Inde). Dans le second cas, le risque est que les zones forestières non exploitées le soient finalement pour la production d’autres commodités agricoles, alors que la demande mondiale tend à augmenter sur le long terme malgré des fluctuations à plus court terme.
À l’heure actuelle, quels sont les principaux défis et quels en sont les acteurs majeurs? Comment peut-on aborder ces défis ?
Ce ne sont pas les défis qui manquent et nul ne peut certifier aujourd’hui que ce mouvement ne suivra pas une voie semblable aux déboires de REDD+, qui avait suscité tant d’attentes au début des négociations. Certains espèrent que le rôle prépondérant joué par le secteur privé dans le cadre des engagements zéro-déforestation permettra de faire bouger les lignes et d’atteindre des résultats concrets plus probants. Rien n’est moins sûr. Il faut tout d’abord différencier les secteurs et les zones géographiques. Prenez l’exemple du Brésil et de l’Indonésie : le premier a vu ses efforts récompensés avec des initiatives dans les secteurs du soja et de la viande de bœuf. Les acteurs privés ont joué le jeu et ont obtenu des résultats spectaculaires. Quant a l’Indonésie, les progrès réalisés par le palmier à huile restent indécis et aléatoires malgré le déluge d’annonces, alors que les deux grands groupes papetiers semblent en passe de tenir leurs promesses ambitieuses quant à l’arrêt total de conversion forestière sur la base d’évaluations des zones de forets à haute valeur de conservation.
Ce non-alignement entre public et privé en matière d’objectifs et de vision du développement et de la durabilité reste un obstacle majeur
La leçon principale, et extrêmement importante, à retenir de ces diverses expérimentations est que non seulement la structure du secteur influe sur les résultats – le secteur papetier en Indonésie à l’avantage d’être intégré verticalement et concentré, à l’inverse de l’huile de palme aux filières complexes – mais que rien ne se fera sans des politiques publiques appropriées. Le cas brésilien en montre les aspects positifs, alors que l’Indonésie semble en montrer les aspects négatifs avec des controverses virulentes sur les engagements pris par les groupes actifs dans le secteur du palmier à huile. Pour le moment, ce non-alignement entre public et privé en matière d’objectifs et de vision du développement et de la durabilité reste un obstacle majeur.
Les négociations qui se tiendront à Paris, en décembre, et les possibles accords qui en découleront sont-ils susceptibles d’avoir un impact sur la Déclaration?
Il est difficile d’en juger à ce stade. On peut cependant imaginer que ces accords pourront réaffirmer les engagements contenus dans la Déclaration de New York et continuer à mettre la pression sur les gouvernements pour agir, ne serait-ce que pour respecter des engagements en termes d’émissions, si tant est que ceux-ci soient pris. Par ailleurs, si des progrès intervenaient dans la mise en œuvre du mécanisme REDD+, il est clair que cela aiderait également. Ceci concerne le volet gouvernemental de la Déclaration. Quant aux acteurs privés et leurs engagements zéro-déforestation, on peut penser qu’ils restent relativement déconnectés de ces négociations et pourront continuer à mener une existence relativement autonome. En effet, ces engagements participent d’un large mouvement de la société civile et sont pris en réponse à des menaces concrètes sur les marchés (des pays de l’OCDE globalement).
La Déclaration garde un rôle symbolique et pourrait inspirer d’autres initiatives plus tangibles
L’an dernier, à l’annonce des objectifs de la Déclaration, plusieurs les ont jugés hautement ambitieux. Un an plus tard, quel constat peut-on faire à propos de ces objectifs?
Je considère personnellement que la Déclaration de New York dans l’ensemble n’engage pas à grand-chose pour une raison simple : les objectifs sont collectifs et il est donc toujours possible de blâmer le voisin s’ils ne sont pas atteints. Mais elle garde un rôle symbolique et pourrait inspirer d’autres initiatives plus tangibles. C’est en cela que les engagements du secteur privé ont plus de potentiel d’impact sur le papier, ils obéissent à une autre logique avec, espérons-le, l’élaboration de moyens suffisants de surveillance et vérification afin de s’assurer de leur bonne mise en œuvre.
Romain Pirard est scientifique senior au CIFOR, vous pouvez le joindre à l’adresse suivante: r.pirard@cgiar.org.
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