BOGOR, Indonésie — Quelle est la place des forêts dans les programmes pour le climat et ceux pour le développement ? Quand et comment la promesse de la REDD+ sera-t-elle réalisée ? Que valent les engagements en faveur d’une déforestation zéro ?
Voici quelques-unes des questions les plus urgentes pour les forêts en 2015. A l’occasion de la Journée internationale des forêts (21 mars), trois experts du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) en discutent.
21 mars 2015 : Journée internationale des forêts
- Retrouvez l’intégralité de la conversation dans la vidéo située en bas de l’article.
- Reportage spécial (en anglais) : Objectifs de développement durable et foresterie : leçons à tirer du Pérou
- Reportage spécial (en anglais) : C’est une forêt, pas un musée : réalités du développement durable sous les tropiques
PLACE DES FORÊTS DANS LES PROGRAMMES CLIMAT ET DÉVELOPPEMENT
Bimbika Sijapati Basnett, scientifique au CIFOR : Cette année, la communauté internationale se prononcera sur le nouveau cadre de l’accord climatique et décidera aussi des Objectifs de développement durable. Comment décririez-vous le rôle des forêts dans ces programmes ?
Peter Holmgren, directeur général du CIFOR : La foresterie est vraiment très importante pour le développement. Cette année, nous avons l’occasion de faire valoir qu’il ne s’agit pas seulement d’environnement : la foresterie peut par exemple contribuer à la lutte contre la pauvreté, à la sécurité alimentaire, à la prospérité par une économie verte, à l’énergie et à la stabilité.
Louis Verchot, directeur du programme Forêts et environnement du CIFOR : Je suis d’accord avec Peter. La foresterie représente avant tout une activité économique. Actuellement, elle contribue de manière significative à la subsistance des populations rurales. Elle contribue au développement durable. De plus, comme nous l’avons constaté avec les négociations sur le changement climatique, la foresterie est l’un des domaines qui progresse au niveau mondial.
1,7 milliard de personnes n’ont pas d’accès à l’électricité dans le monde. 2,7 milliards utilisent des combustibles à base de bois et du fumier dans des conditions sanitaires précaires. La façon dont ils cuisinent, la combustion de ces carburants, cause des maladies respiratoires. Le soutien de la foresterie en faveur de sources énergétiques plus durables, pour favoriser le développement rural pour les populations rurales, aura un impact sur la santé des femmes et des enfants. Cela renforcera capacité à faire évoluer les choses dans ces paysages et à soutenir le développement.
RÉDUCTION DES ÉMISSIONS ISSUES DE LA DÉFORESTATION ET DE LA DÉGRADATION DES FORÊTS (REDD+)
Mme Basnett : Qu’en est-il du programme de REDD+ ? Il a été lancé en 2005 pour atténuer le changement climatique. 10 ans plus tard, la mise en œuvre n’a pas vraiment commencé. Comment évaluez-vous les progrès réalisés dans le cadre de la REDD+ ?
M. Verchot : Au début, la REDD+ a été très idéaliste et très irréaliste. Je pense qu’on s’attendait à ce qu’elle garantisse une solution facile et économique pour le système climatique. Ceux qui travaillent dans le domaine de la foresterie tropicale depuis des décennies n’ont pas vraiment adhéré à cet argument. Au fur et à mesure que la communauté internationale s’est impliquée dans le développement de la REDD+ … elle a découvert une réalité de ces paysages que les forestiers tropicaux connaissent depuis longtemps : il y a des populations qui vivent dans les forêts, qui dépendent de ces forêts. … Ces paysages ruraux ne sont pas des lieux que nous pouvons juste mettre sous cloche comme dans un musée. Si la communauté internationale peut tirer des leçons de ces premières expériences, nous aurons un moyen de progresser et de faire des prévisions sur les 15 à 20 prochaines années
… Je pense que le monde est maintenant prêt pour la mise en œuvre. Il existe des projets de démonstration au niveau des provinces et des communautés qui progressent, parfois petit à petit. Si la communauté internationale peut tirer des leçons de ces premières expériences, nous aurons un moyen de progresser et de faire des prévisions sur les 15 à 20 prochaines années.
M. Holmgren : J’aimerais ajouter à cela que nous arrivons progressivement, ou de plus en plus, à la conclusion que, sous les tropiques, l’objectif de REDD+ ajoute de la valeur aux forêts et à la foresterie. Toutefois, elle doit également coexister avec beaucoup d’autres valeurs et bénéfices fournis par ces mêmes forêts. Par conséquent, nous devons toujours penser aux objectifs et fins multiples des forêts et des paysages. Je pense que c’est dans ce sens qu’évolue la REDD+. Nous examinons avant tout les paysages dans leur ensemble, mais aussi par rapport aux objectifs multiples qu’ils assurent. Je voudrais même prendre cela à un autre niveau, en examinant de manière holistique le processus du changement climatique, ainsi que les Objectifs de développement durable et le processus post-2015. Cette année 2015 présente une réelle opportunité de combiner, ou de faire se rencontrer ces deux grands débats internationaux sur le climat et le développement
Ces deux voies avancent parallèlement depuis assez longtemps sur la scène internationale. Étonnamment, il y a eu peu d’échanges au cours des dix dernières années. Il existe même curieusement des rapports expliquant que le développement durable est un co-avantage à la réalisation des objectifs climatiques. Néanmoins, cette année 2015 présente une réelle opportunité de combiner, ou de faire se rencontrer ces deux grands débats internationaux sur le climat et le développement.
Mme Basnett : Concrètement, à quel point cela peut-il se réaliser ? Il semble que ces deux processus soient liés entre eux, tout en étant bien distincts.
M. Holmgren : D’un point de vu institutionnel, ils ont été portés chacun de leur côté depuis des années. Mais, à mon avis, il y beaucoup d’efforts au niveau politique en ce moment. Un sommet sur le climat a eu lieu septembre dernier à New York, pendant que l’Assemblée générale des Nations Unies abordait les Objectifs de développement durable. L’effort politique pour les réunir est donc considérable.
M. Verchot : Des plans d’action nationaux seront mis en place et nous allons voir comment cela évolue. En prenant leurs repères et en définissant leurs objectifs et leurs indicateurs, les pays vont commencer à réaliser des synergies. Ces discussions se font de plus en plus au-delà des ministères de la foresterie et ceux de l’environnement : le secteur agricole discute de ce qui peut être fait pour réduire les émissions et pour améliorer la durabilité. Je pense que certains des engagements du secteur privé, notamment de l’agro-industrie, ont été extrêmement utiles pour faire évoluer ce secteur dans cette direction.
Mme Basnett : Louis, une étude importante du CIFOR à paraître prochainement indique que les femmes participent moins au processus de REDD+. Ce fait va compromettre sérieusement à la fois l’efficacité et la légitimité de la REDD+. Que peut-on faire pour aborder ces questions et pour s’assurer que la REDD+ soit plus inclusive ?
M. Verchot : Dans le cadre de la mise en œuvre du mécanisme de REDD+, il existe un engagement au niveau international par rapport pour certain nombre de garanties. Le consentement libre, préalable et éclairé des personnes utilisant actuellement les ressources forestières figure parmi cet engagement. Nous savons que, en raison de l’exode rural, la population rurale est composée à plus de 50 % de femmes. Elles ont tendance à être plus présentes dans les villages et prennent les décisions relatives à la gestion des terres. Il est donc extrêmement important de les intégrer dans la discussion et de prendre en compte leurs préoccupations. Actuellement, la société civile a un rôle conséquent à jouer et elle essaie de l’assumer. Pourtant je pense que la tache incombe également aux gouvernements. Ceux-ci devraient prendre certaines mesures supplémentaires lors de la mise en place de leurs mécanismes de REDD+, afin d’assurer que leurs processus internes et nationaux de consultation prennent en compte les difficultés des femmes.
LES PROMESSES DE DÉFORESTATION ZÉRO
M. Verchot : Ce qui motive de plus en plus certaines activités génératrices d’émissions dans les paysages des pays en voie de développement ne concerne pas tant la population, que les revenus et la manière dont les revenus modifient les habitudes de consommation. Ce point est largement influencé par les grandes entreprises agro-alimentaires. Si elles deviennent plus conscientes et commencent à s’engager pour la déforestation zéro, la réduction de leurs émissions ou de leur empreinte climatique, ou encore pour des actions socialement responsables au sein des paysages où elles extraient leurs matières premières, alors je pense que les choses évolueront en faveur du rapprochement de ces deux programmes. La « déforestation zéro » sonne bien et elle est facile à incorporer dans la politique des sociétés privées. Mais concrètement et en pratique, qu’est-ce que cela signifie réellement et comment pouvons-nous vérifier que la déforestation est réellement nulle ? Ce n’est pas si facile.
M. Holmgren : Pour le moment, les efforts et les ambitions de déforestation zéro sont vraiment positifs. Pourtant, je me pose aussi quelques questions à leur sujet. La « déforestation zéro » sonne bien et elle est facile à incorporer dans la politique des sociétés privées. Mais concrètement et en pratique, qu’est-ce que cela signifie réellement et comment pouvons-nous vérifier que la déforestation est réellement nulle ? Ce n’est pas si facile. En outre, on peut dire que oui, ce serait bien d’arriver à zéro déforestation , mais d’autres mesures seraient également nécessaires pour assurer le maintient de la vitalité et la diversité des forêts [ainsi que] la productivité des paysages agricoles.
Mme Basnett : Un autre problème est que la question semble se référer à l’absence nette de déforestation par opposition à l’absence absolue. Bien sûr, nous ne pouvons pas atteindre une absence absolue de déforestation. Cependant, quels compromis pourrions-nous faire ? Est-ce que cela signifie qu’en fait certaines pratiques vont continuer comme d’habitude ou vont-elles être compensées par des pratiques différentes?
M. Holmgren : Tout d’abord, la déforestation nette n’existe pas. La déforestation signifie la perte de la forêt. Si vous voulez calculer la déforestation et le reboisement nets, cela revient au changement net de la superficie forestière. Mais il est vrai que c’est l’une des définitions qui ne sont pas claires dans le débat actuel.
M. Verchot : Je suis d’accord. Je pense que nous n’avons toujours pas de modèle. Nous avons des engagements. Ce qui va être intéressant à voir, c’est ce que vont faire les entreprises pour les mettre en place. Si la chaîne d’approvisionnement était complètement traçable, que deviendraient les petits producteurs ? Ils sont beaucoup plus difficiles à surveiller que les plantations industrielles. On peut craindre que certains des engagements des entreprises excluent les petits producteurs des marchés.
M. Holmgren : Dans ce contexte, nous avons commencé à travailler dans le domaine de la finance. En effet, l’accès à un financement abordable et équitable pour les petits producteurs est quelque chose qui pourrait nous aider à atteindre certains des résultats de durabilité que nous recherchons.
Mme Basnett : Comment pouvons-nous inciter les entreprise, les sociétés, à aborder réellement ces questions sociales ? Quel est le rôle des organisations gouvernementales et de la société civile dans le processus ?
M. Holmgren : Lorsqu’il s’agit de la déforestation zéro, la solution vient plutôt du marché. La question devient alors : quel est le rôle des consommateurs ? Actuellement de nombreux marchés dans les économies émergentes ne réclament pas nécessairement des produits respectueux de l'environnement et créés de manière durable
M. Verchot : Je pense que beaucoup des progrès réalisés ont finalement été atteints grâce à l’approche dite du « bâton ». Les ONG internationales ont exposé les entreprises à l’examen du public, en révélant les pratiques non durables ou déloyales et les pratiques nuisibles à l’environnement. Ceci a fortement incité ces entreprises à évoluer, puisqu’elles se soucient de leur image. Elles se soucient de ce que les consommateurs pensent d’elles. Si les consommateurs sont informés et veulent améliorer la performance de leur consommation, alors ils vont exiger des produits respectueux de l’environnement et responsables au niveau social.
Mais actuellement de nombreux marchés dans les économies émergentes ne réclament pas nécessairement des produits respectueux de l’environnement et créés de manière durable. Par conséquent, nous devons éduquer ces consommateurs. Il est nécessaire que ces marchés se soucient réellement de ce qu’ils achètent, de la qualité de ce qu’ils achètent et de l’impact des systèmes de production qui ont créé leurs produits. Ce que nous observons est en grande partie attribuable à la consommation et aux préférences occidentales.
M. Holmgren : Parallèlement au secteur des entreprises, il semble que la société civile se soit davantage engagée, en particulier en ce qui concerne cette idée de la déforestation zéro. Je pense que ceci est très bien pour une collaboration positive. Néanmoins, la société civile et les entreprises privées sont actuellement assises ensemble autour des objectifs de suivi et de vérification de cet engagement dont nous avons parlé. Au cours des dernières semaines, j’ai vu émerger des informations disant que la déforestation est effectivement encore en cours. Mais à qui devons-nous parler pour comprendre ce qui se passe réellement sur le terrain lorsque toutes les parties prenantes sont assises ensemble ?
Mme Basnett : Vous avez parlé du rôle des organismes de la société civile ainsi que des entreprises, mais qu’en est-il des gouvernements ? Que peuvent-ils faire pour assurer, d’une part, que le suivi et la vérification ont lieu et, d’autre part, que les garanties et les réglementations appropriées existent ? Les gouvernements doivent faire en sorte que toutes les factions au sein de la société aient leur mot à dire, que le terrain de jeu ne soit pas inégal
M. Verchot : Je pense que les gouvernements sont déjà au cœur de l’action. Ce sont eux qui doivent … faire en sorte que toutes les factions au sein de la société aient leur mot à dire … que le terrain de jeu ne soit pas inégal, afin que les compromis soient gérés, reconnus et traités. Néanmoins, nous savons tous que dans de nombreux endroits, il y a des problèmes liés à la gouvernance.
C’est sur ce point que la communauté internationale peut également jouer un rôle, en faisant une partie de la vérification des faits sur certaines de ces questions. Lorsque des pays déclarent quelque chose, ces déclarations doivent être examinées et vérifiées. Au sein du mécanisme REDD+, il y a toute une discussion sur la mesure, la notification et la vérification. La question de la vérification est très délicate, puisqu’elle signifie que les pays doivent renoncer à un certain niveau de souveraineté en soumettant leurs déclarations à un examen international.
Regardez la conversation (en anglais) dans son intégralité :
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