«De profonds problèmes récurrents et structurels» derrière les défis climatiques - CIFOR-ICRAF Forests News

«De profonds problèmes récurrents et structurels» derrière les défis climatiques

Nous devons constamment adapter nos institutions pour faire face à des changements sociaux et environnementaux de plus rapides, si nous voulons faire de réels progrès dans la protection des forêts et atteindre la durabilité, selon Eduardo Brondízio, professeur d'anthropologie à l'Indiana University.
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Road to Brazil damaged by a earthquake.   Photo by Marco Simola for Center for International Forestry Research (CIFOR).

Dans l’Amazonie péruvienne, une des principales routes vers le Brésil est fermée, suite aux dégâts causés par un récent séisme. La route vers la réconciliation entre le développement et la conservation est elle aussi semée d’embuches, avertit un expert. Photo: Marco Simola/CIFOR

BOGOR, Indonésie – Nous devons constamment adapter nos institutions pour faire face à des changements sociaux et environnementaux de plus en plus rapides, pour faire de réels progrès dans la protection des forêts et atteindre la durabilité, selon Eduardo Brondízio, professeur d’anthropologie à l’Indiana University.

«Nos efforts pour réconcilier développement et conservation dans les régions forestières repose aujourd’hui sur des bases non-durables», affirme M. Brondízio dans une interview pour Nouvelles des Forêts. «Il nous faut confronter – intellectuellement et dans la pratique – plusieurs inadéquations et idées fausses.»

Brondízio est l’un des six intervenants qui présenteront de «grandes idées» pour en débattre au Colloque sur les forêts et le climat: nouvelles pensées pour un changement transformationnel à l’Université Columbia à New York le 24 septembre, où il espère faire surgir des questions auxquelles les gens ne penseraient pas. «Le genre de questions qui nous oblige à penser aux 10 à 20 prochaines années».

Au sujet du développement économique des régions forestières, il met aussi en garde contre les visions romantiques de la pauvreté et l’idée que les conditions de vie précaires sont acceptables car elles font partie de la «culture»

Voici une transcription éditée de son interview.

Les autres intervenants du colloque sont John Holdren sur l’énergie, Carlos Nobre sur la variabilité du climat, Dan Nepstad sur l’utilisation de la terre,Cheryl Palm sur l’agriculture et Pushpam Kumar sur l’économie verte. Plus d’informations ici.

Q: Quelle «grande idée» viendrez-vous présenter au Colloque sur les forêts et le climat?

R: Nous vivons dans une période où le changement s’accélère. Technologie, infrastructure, ajustements structuraux, croissance de la population, modes de consommation, climat, communication et mobilité contribuent à accroître la pression sur l’environnement et reconfigurent les paysages forestiers, en particulier dans les régions tropicales.

Nous n’avons pas réussi à changer l’économie politique en faveur de l’extraction, qui (…) promeut l’accumulation de valeur loin des zones où les ressources sont générées.

Dans ce contexte, il est incroyable de voir l’étendue des progrès que nous avons accomplis dans la reconnaissance de l’importance des forêts ces 20 dernières années, en développant des institutions pour les protéger et les gérer et en reconnaissant le rôle et la valeur des peuples indigènes et ruraux. Il est aussi incroyable de constater à quel point les problèmes structuraux sont récurrents et qu’ils ont limité l’efficacité de ces institutions et les gains liés au développement si nécessaires dans ces régions.

Mais il s’agit de la réalité de notre temps, et nous devons à la fois avoir une vision sur le long-terme et repenser et adapter nos institutions à la lumière des défis d’une société et d’un environnement changeants. L’Amazonie, où j’ai travaillé ces 25 dernières années, est un microcosme de ces avancées et de ces problèmes, c’est le miroir de nombreuses autres régions du monde.

Donc, alors que nous faisons de nombreux progrès, nos efforts pour réconcilier développement et conservation dans les régions forestières reposent actuellement sur des bases non-durables. Nous devons confronter – intellectuellement et dans la pratique – plusieurs inadéquations et fausses idées.

Voici quelques-uns des points, développés via des collaborations et publications avec des collègues sur lesquels je souhaite attirer l’attention.

Q: Quelles sont ces inadéquations dont vous parlez?

R: La première est une inadéquation des institutions gouvernantes. Un des efforts de réduction des impacts du développement sur l’environnement les plus visibles et réussis ces 20 dernières années a été la mise en place de différentes sortes de zones protégées et réserves indigènes. L’échelle, la rapidité et l’impact ont été stupéfiants – d’insignifiant à plus de la moitié de la zone de terres dans certaines régions.

La recherche montre que dans des pays comme le Brésil, les gains les plus importants de réduction d’émissions de carbone ont été réalisés dans des zones protégées contre la déforestation gérées par des communautés locales.

Mais comme les exploitations agricoles et les villes s’étendent, ces zones deviennent des îlots de conservations dans des zones en changement. Les systèmes conçus pour les gouverner ne peuvent agir que de façon limitée sur les pressions qui émergent autour.

Les réserves et les parcs ont réussi jusqu’à présent à apporter des réponses rapides aux pressions causées par l’expansion de l’agribusiness et les marchandises d’extraction, mais il faut les repenser pour qu’ils continuent de protéger les forêts et les paysages.

Donc nous avons besoin maintenant de nouvelles manières de penser la préservation, au niveau des paysages, pour obtenir des institutions qui fasse le lien entre différents systèmes de gouvernance.

La seconde inadéquation concerne les valeurs.

Nous avons mis longtemps à reconnaître la valeur des services écosystémiques et les fonctions environnementales, de même que les valeurs intangibles de la nature. Mais nous n’avons pas réussi à changer l’économie politique en faveur de l’extraction, qui cherche à obtenir des retours rapides à bas coût et promeut l’accumulation de valeur loin des zones où les ressources sont générées.

Compenser les populations – via les paiements des services environnementaux, comme la REDD+  n’a pas été suffisant pour faire face à l’étendue des besoins en développement des régions forestières. Nous devons aller au-delà de l’économie de l’aide. Cela suppose de reconsidérer nos façons de penser l’économie des subventions, en partant de la phase d’extraction et d’export -toujours dominante-, et en accentuant davantage la transformation et l’agrégation de valeur.

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Nous devons nous garder de toute vision romantique des communautés locales et indigènes, pour reconnaître la pleine valeur de leur contribution potentielle aux paysages durables, selon Eduardo Brondízio.

Si nous n’ajoutons pas de valeur aux ressources localement, nous ne changerons pas l’équation qui provoque la dégradation de l’environnement, la pauvreté et le sous-développement des zones de forêt tropicales à travers le monde.

La troisième inadéquation est celle des représentations et des attentes.

Depuis les années 80, nous avons observé un bon en avant de la valorisation des droits des peuples indigènes et locaux, qui sont responsables de la conservation des paysages forestiers dans de nombreuses régions du monde. Mais nous assistons à une idéalisation croissante de «l’écologie noble» des pratiques indigènes, gelées économiquement dans le temps. Or ce n’est pas ce qu’on observe sur le terrain.

A l’extrême, nous risquons d’avoir une vision romantique de la pauvreté et d’accepter les conditions de vie précaires comme «culturelles». Nous ne pouvons pas ignorer les désirs et les attentes des peuples – eux aussi veulent améliorer leurs vies et nous risquons de créer des conflits basés sur des représentations erronées et des attentes inadéquates.

Heureusement, il y a aussi une mobilisation importante parmi les communautés indigènes et locales qui veulent faire entendre leur voix et que leurs besoins soient pris en compte.

Q: Que souhaitez-vous que les gens aient en tête en quittant l’évènement?

R: J’espère que les gens ramèneront chez eux une vision positive de notre capacité à faire face à ces défis, mais aussi la conscience que nous devons affronter des problèmes profonds, récurrents et structurels. C’est impressionnant de voir ce que nous avons atteint en 20 ans en terme d’organisation, d’actions collectives et de changements comportementaux – la reconnaissance des droits des peuples, créant des institutions démocratiques, et des mécanismes pour traiter les problèmes environnementaux et sociaux. Il faut aller plus loin, mais nous venons de loin.

Nous avons mis longtemps valoriser les ressources et services écosystémiques et à accorder des droits aux communautés locales qui vivent dans les zones préservées à finalités productives. Il faut se rendre à l’évidence aujourd’hui: ce n’est pas économiquement durable.

Pour autant, le processus de gestion du changement climatique et autres changements mondiaux est un processus continu. Les institutions n’y persistent pas. Nous devons continuellement nous adapter et re-créer pour composer avec une réalité et une société changeantes en ces temps de changements climatique et d’accélération sociale.

Q: Pourquoi les évènements comme celui-ci sont-ils importants?

R: J’espère que nous suscitons des questions auxquelles les gens n’auraient peut-être pas pensé.

Ce sont le genre de questions qui nous obligent à penser aux prochaines 10 à 20 années. Nous avons eu de nombreuses réussites dans le domaine de la conservation des forêts, la gouvernance des terres, l’adaptation au changement climatique. Aujourd’hui, nous en voyons les limites.

Nous avons mis longtemps à donner une valeur aux ressources et aux services écosystémiques et à accorder des droits aux communautés locales qui vivent dans les zones préservées à finalités productives. Il faut se rendre à l’évidence aujourd’hui – et il faut que les gens l’entendent – : ce n’est pas économiquement durable. Il y a d’autres utilisations en concurrence qui feront pression sur les ressources. Si nous ne pensons pas une nouvelle zone d’industrialisation décentralisée et durable, où nous transformerons les ressources aussi localement que possible, nous continuerons à exporter les matières premières des parties du monde les plus riches en ressources mais les plus pauvres socialement, et nous y laisserons les coûts.

Les gens ont, avec les meilleurs intentions possibles, des images idéalisées des différents groupes sociaux et cultures, et de ce qu’ils en attendent. Et il est important que nous cessions de penser que les valeurs et les connaissances locales ou indigènes ne sont pas compatibles avec l’espoir d’un progrès économique et un accès aux biens et services. Nous devrions considérer la valeur des communautés locales et des groupes indigènes pour ce qu’ils sont – pas pour la manière dont ils peuvent alimenter nos stéréotypes idéalisés.

Une rencontre comme celle-ci doit être provocante. Elle vise à soulever de nouvelles questions, et peut-être sortir les gens hors de leur zone de confort, mais pour les amener vers un dialogue constructif, pour assister à la rencontre de défis nouveaux et anciens, et considérer d’un Å“il critique ce qu’ils impliquent.

Pour plus d’informations sur le Colloque sur les Forêts et le Climat, cliquez ici.

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