BOGOR, Indonésie — La politique climatique exigera un plus grand engagement de la part de la communauté scientifique. Un futur forum de haut niveau va aider à définir «où doit se situer l’interface science-politique lorsqu’il s’agit d’enjeux forestiers», déclare Louis Verchot, directeur de la Recherche sur les Forêts et l’Environnement au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
«À partir de 2015, les négociations de l’ONU vont passer du stade de grandes négociations internationales à la mise en œuvre aux échelles nationales et sous-nationales», a déclaré M. Verchot lors d’une entrevue avec le blog du CIFOR, Nouvelles des Forêts. «C’est donc le bon moment pour, d’une part, s’interroger sur la façon dont la science peut soutenir plus efficacement la politique sur les forêts tropicales et, d’autre part, aider la communauté internationale à mieux faire face aux changements climatiques.»
Plus il y a de gens qui comprennent la science, plus la société pourra progresser vers une solution.
M. Verchot représentera le CIFOR lors du Colloque sur les Forêts et le Climat à l’Université Columbia le 24 septembre et mènera la discussion de synthèse à la fin de l’événement. Six experts du climat sont invités au colloque, ils présenteront leurs idées sur la façon d’envisager l’avenir de la recherche sur le climat. L’événement aura lieu un jour après le Sommet des Nations Unis sur le climat.
«Nous voulons que plus de gens comprennent, nous voulons que plus de gens se préoccupent», déclare M. Verchot. «Plus il y a de gens qui comprennent la science, plus la société pourra progresser vers une solution.»
Ci-dessous, une transcription de l’entrevue.
Plus du colloque : Parmi les autres orateurs, John Holdren va parler de l’énergie, Carlos Nobre de la variabilité climatique, Eduardo Brondízio de la gouvernance, Dan Nepstad de l’utilisation des terres, Cheryl Palm de l’agriculture et Pushpam Kumar de l’économie verte. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Q: Quelle est votre vision de cet événement ?
R: L’objectif est de discuter avec des grands penseurs sur les enjeux concernant les forêts et le changement climatique, afin de mettre en place un agenda scientifique. Le but est de soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de politiques plus efficaces sur les enjeux liés à la foresterie et au changement climatique. En fin de compte, nous espérons contribuer à renforcer les ambitions lors du Sommet des Nations Unies sur le changement climatique, qui se tiendra à New York la même semaine, afin d’engager les pays à rendre le processus de la CCNUCC fructueux.
Nous avons organisé cette réunion pour échanger avec des intervenants de différentes disciplines scientifiques sur ces questions de changement climatique. Nous avons parlé du changement climatique et des forêts principalement lors des réunions de la CCNUCC et ce sommet nous donne l’occasion de toucher un plus grand public à New York.
Le fait que l’Assemblée générale de l’ONU aborde le sujet permettra d’informer l’agenda du changement climatique au sujet de la foresterie. Cependant, une prise de décision efficace nécessite un plus grand engagement scientifique. Ainsi, nous souhaitons que cette réunion aide à établir une vision concernant l’interface science-politique par rapport aux enjeux forestiers.
Les forêts sont le seul endroit de la biosphère où le carbone est stocké en toute sécurité.
À partir de 2015, les négociations de l’ONU vont passer du stade de grandes négociations internationales à la mise en œuvre aux échelles nationales et sous-nationales. C’est donc le bon moment pour, d’une part, s’interroger sur la façon dont la science peut soutenir plus efficacement la politique sur les forêts tropicales et, d’autre part, aider la communauté internationale à mieux faire face aux changements climatiques.
Q: Les forêts seront-elles abordées lors de la réunion de l’ONU ?
R: Oui, certainement. La foresterie, l’agriculture et l’utilisation des terres sont encore à l’origine de 25% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Elles sont tout aussi importantes que les émissions liées à l’énergie – de sorte qu’elles ne peuvent pas être ignorées. Néanmoins, c’est un sujet plus délicat, puisque ces émissions proviennent principalement de pays en voie de développement, qui sont confrontés à de nombreux défis économiques. Les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ne peuvent pas mettre en danger leur sécurité alimentaire. De plus, ces pays ont besoin d’une intégrité environnementale pour poursuivre leurs aspirations de développement.
En outre, la foresterie est l’un des domaines que la CCNUCC a soutenu le plus efficacement; les progrès n’ont pas été aussi marqués pour les combustibles fossiles.
Les forêts sont un filet de sécurité majeur dans le système climatique. Grâce à la croissance des arbres, elles absorbent environ 35 à 45% de toutes les émissions imputables aux combustibles fossiles. Sans les forêts, ces émissions feraient des dommages dans d’autre partie de la biosphère. Lorsque le dioxyde de carbone abouti dans les océans, l’acidification en résulte et celle-ci peut endommager les récifs coralliens et affecter les crustacés. Lorsqu’il est stocké dans les sols, il est facilement réversible. Les forêts sont le seul endroit de la biosphère où le carbone est stocké en toute sécurité.
Q: Comment avez-vous choisi les six conférenciers ?
R: Nous avons examiné les différentes disciplines scientifiques, que nous considérons aptes à contribuer à une nouvelle réflexion, afin d’identifier les types de scientifiques que nous voulions réunir – un mélange d’experts en sciences biophysiques et sociales. Nous savions par exemple que Carlos Nobre, un expert brésilien du climat, a œuvré pour la nécessité d’un changement transformationnel dans notre société. Il fait le lien entre la climatologie et les besoins de la société.
Eduardo Brondízio a travaillé sur les droits communautaires, les droits collectifs et les enjeux liés au changement climatique, il a donc beaucoup réfléchi sur les problèmes sociaux que nous souhaitons intégrer. Daniel Nepstad est un expert, reconnu au niveau international, sur les questions forestières, avec une grande connaissance des forêts tropicales de l’Amazonie et de l’Asie du Sud-Est. Il aborde les questions d’un point de vue écologique.
Toutes ces personnes réfléchissent sur l’interface de la politique et de la science – et c’est l’axe majeur de cet événement. La science n’existe pas seulement pour créer de la connaissance, mais aussi pour parvenir à un monde plus durable.
Nous avons invité John Holdren, ancien directeur du Centre de Recherche Woods Hole, professeur à l’université de Berkeley et celle d’Harvard, qui gère désormais le Bureau de la politique scientifique et technologique pour le président Barack Obama. Il sera en mesure d’apporter ses réflexions sur son propre domaine de compétence concernant les systèmes d’approvisionnement en énergie durable et l’appui scientifique à l’élaboration de politiques éclairées, ce qui coïncide exactement avec son rôle actuel.
Voici donc les éléments – des grands penseurs interdisciplinaires spécialisés, qui comprennent également où la science et la politique se rejoignent.
Q: Qu’espérez-vous que les gens retiennent de ce colloque ?
R: J’espère qu’ils en sortiront avec un intérêt intellectuel renouvelé pour ces sujets. Les raisons pour lesquelles nous faisons ceci en public sont la sensibilisation et la prise de conscience. Nous ne sommes pas très actifs dans les milieux politiques américains; nous sommes beaucoup plus présents en Europe. C’est donc une occasion de toucher le public américain, de stimuler ce débat et de passer à un examen intellectuel plus approfondi de ces questions.
Nous avons besoins de solutions politiques qui répondent non seulement aux problèmes actuels, mais qui anticipent aussi les problèmes qui se poseront au cours des vingt prochaines années.
Je pense que l’Université de Columbia (siège de l’Institut de la Terre) est un excellent endroit pour cet évènement – l’institution a une longue histoire de connexions nationales et internationales sur des questions politiques importantes. Nous espérons donc qu’en amenant cet événement à Columbia nous allons attirer l’attention du public américain sur ces enjeux.
Nous voulons que plus de gens comprennent, nous voulons que plus de gens se préoccupent – plus il y a de gens qui comprennent la science, plus la société pourra progresser vers une solution.
Q: Quelle est la relation du CIFOR avec l’Institut de la Terre et pourquoi travailler ensemble ?
R: Il s’agit d’un partenariat de plus en plus fructueux. Je suis enthousiaste à propos de nos idées d’essayer de générer du savoir scientifique sur le climat dans le but d’agir sur le terrain et de lier ceci à notre travail sur les approches d’adaptation au changement climatique basées sur les écosystèmes. Columbia peut nous aider à développer une compréhension plus fine des types de problèmes que le changement climatique risque de créer dans les paysages que nous étudions, ainsi que des types d’impacts que la variabilité climatique aura sur les systèmes de production et les moyens de subsistance.
Certains scientifiques éminents dans les domaines de l’utilisation des terres tropicales et des changements de cette utilisation travaillent à Columbia et participent également aux programmes de recherche de nos scientifiques travaillant en Amazonie, en Inde, en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Ainsi, ce partenariat contribuera à nous rendre plus efficace dans nos approches d’adaptation au changement climatique et son atténuation.
Q: Pourquoi des événements comme ce colloque sont-ils importants ?
R: Nous réunissons certains penseurs novateurs avec lesquels nous n’avons pas souvent l’occasion de parler, ni d’écouter ce qu’ils ont à dire. Ainsi nous pouvons ajouter de nouvelles idées à celles du CIFOR et de ses partenaires.
Il est important de tenir ce débat lors de grands évènements, tels que la Semaine du climat à New York et le Sommet [de l’ONU], afin que la voix des tropiques soit elle aussi entendue. Je pense que cette dernière se perd parfois lorsque ces questions sont débattues dans les pays développés.
Certes, les émissions issues de combustibles fossiles dans les pays développés et les économies émergentes jouent un rôle important, toutefois, à cause de la croissance démographique élevée dans les pays en voie de développement et le progrès du développement économique, nous avons besoin de solutions politiques. Ces solutions doivent non seulement viser les problèmes d’aujourd’hui, mais aussi anticiper les problèmes qui se poseront au cours des deux prochaines décennies.
Des événements comme celui-ci peuvent certainement être décisifs. Je pense que lorsque des personnages importants issus de différentes disciplines sont réunis, nous nous attendons à trouver des synergies entre les discours des chercheurs en sciences sociales, ceux en biophysiques, tout comme des climatologues et forestiers – je pense donc que cela peut être très fructueux.
Je me réjouis de cet événement. Je pense que nous avons beaucoup à dire au monde et que le monde a besoin d’entendre beaucoup.
Pour plus d’informations concernant le Colloque sur les Forêts et le Climat, cliquez ici.
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