On dit souvent que si les paysans produisaient plus sur leurs terres actuelles, ils n’auraient pas besoin d’utiliser autant de surface ce qui permettrait de préserver plus de forêts. De nouvelles pratiques agricoles pourraient même leur permettre de continuer de cultiver indéfiniment leurs terres plutôt que d’en épuiser les sols et de se déplacer vers de nouvelles zones. Cette logique sous-tend la plupart des projets de Conservation et Développement Intégré : si les "pauvres paysans" adoptent des techniques plus intensives et durables, ils auront moins tendance à empiéter dans les aires protégées avoisinantes.
Au niveau régional ou national, les chercheurs agronomes arguent de ce que leur travail diminue la pression sur les forêts en permettant aux pays de répondre à leurs besoins alimentaires sans avoir à ouvrir plus de surfaces. Ils avancent que la seule manière pour les pays de satisfaire leur demande croissante de nourriture sans augmenter les surfaces cultivées passe par l’intensification et l’augmentation de la productivité agricole.
Techniques agronomiques et Déforestation Tropicale (’Agricultural Technologies and Tropical Deforestation’) édité par Arild Angelsen et David Kaimowitz, représente la première et la plus exhaustive tentative d’évaluation de ces arguments. Cet ouvrage présente 18 études de cas, multidisciplinaires, concernant une gamme variée de pays, techniques et types d’agriculture. Cette étude porte sur un peu tout : la recherche agrostologique et les jachères améliorées en Amazonie, la Révolution Verte en Asie, l’utilisation des engrais chimiques en Afrique et la réhabilitation des forêts dans le sud des Etats Unis.
Le livre conclu que dans certaines conditions les nouvelles techniques agronomiques sont bénéfiques pour le couvert forestier mais aussi qu’elles peuvent avoir un effet opposé à celui recherché. Tout particulièrement, toute innovation rendant l’agriculture en zone de forêt plus attractive risque d’être néfaste aux forêts. Cela pourrait encourager les paysans à déforester plus ou attirer de nouveaux migrants. Les approches technologiques qui augmentent la rentabilité des activités peu gourmandes en main-d’oeuvre, comme l’élevage extensif ou la production mécanisée de soja, sont spécialement problématiques. Il en est de même de l’introduction de nouvelles cultures de rente pour l’exportation, comme le cacao, les bananes ou le caoutchouc dans les zones à forte immigration.
Les nouvelles technologies ont le plus de chance d’avoir un effet positif sur le couvert forestier quand elles conduisent à une baisse importante des prix agricoles et/ou nécessitent beaucoup de main d’oeuvre. Par exemple, l’augmentation rapide du rendement rizicole lors de la Révolution Verte diminua la pression sur les forêts en abaissant le prix du riz décourageant ainsi la riziculture pluviale sur pentes. De la même manière, dans les zones à faible immigration, des activités fortes consommatrices de main d’oeuvre comme le maraîchage, les cultures ligneuses et le riz irrigué peuvent servir de fixation à une capacité de travail qui autrement pourrait être employée à ouvrir plus de forêts. L’expérience ouest européenne et des Etats Unis montre aussi que l’existence d’emplois attractifs hors du monde rural couplée à une législation efficace sur la conversion des forêts renforce grandement les effets positifs de l’intensification agricole sur le couvert forestier.
Le point principal est que les partisans de la conservation et les chercheurs ne devraient pas croire que l’intensification agricole est toujours bonne pour la forêt. Avant d’essayer de protéger plus de forêts par la promotion du développement rural, elles ou ils devraient lire ce livre.
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