Entrevue

Q+R : Sagesse Nziavake sur les progrès de la surveillance de la faune à Yangambi, RDC

Experte, elle expose le pouvoir des pièges photographiques.   
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Nziavake installe un piège photographique. Photo par Axel Fassio/CIFOR-ICRAF

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Dans les forêts tropicales denses de Yangambi, en RDC, où la biodiversité prospère au milieu d’une verdure luxuriante, l’art de la surveillance de la faune a subi une transformation remarquable. De l’observation fugace et anecdotique à l’utilisation de technologies de pointe, la surveillance de la faune dans cet écosystème vierge a connu une évolution tout à fait révolutionnaire. 

À la suite de la Journée mondiale de la vie sauvage de cette année, célébrée sur le thème « Connecter les gens et la planète : Explorer l’innovation numérique dans la conservation de la faune », nous avons rencontré Sagesse Nziavake, une spécialiste de la faune profondément impliquée dans les efforts de conservation de Yangambi.  

Mme Nziavake fait partie de l’équipe chargée de la gestion durable de la faune au Centre de Recherche Forestière Internationale et au Centre International de recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF)à Yangambi, où elle travaille à l’amélioration de la conservation de la faune et de la sécurité alimentaire dans la région. Forte de plusieurs années d’expérience sur le terrain, Nziavake nous éclaire sur le rôle novateur des pièges photographiques pour percer les mystères de la faune de Yangambi. 

 Q : Commençons par explorer les méthodes traditionnelles de surveillance de la faune à Yangambi. Quels étaient les défis et les limites rencontrés à l’époque ? 

 R : Au début, la surveillance de la faune à Yangambi était une tâche ardue. Nous comptions beaucoup sur le pistage manuel, les observations occasionnelles et les preuves anecdotiques fournies par les chasseurs et les communautés locales pour recueillir des données sur les espèces insaisissables. Cette approche, bien que précieuse, avait ses limites. Elle nécessitait beaucoup de travail et de temps, et produisait souvent des informations incomplètes ou inexactes en raison de la nature imprévisible du comportement de la faune. En outre, la végétation dense et le terrain accidenté de Yangambi posaient des problèmes supplémentaires, rendant difficile l’observation et la documentation efficaces des espèces. 

Sagesse Nziavake. Photo par Axel Fassio/CIFOR-ICRAF

Q : Comment l’introduction des pièges photographiques a-t-elle révolutionné la surveillance de la faune à Yangambi ? 

 R : L’arrivée des pièges photographiques a marqué un tournant dans nos efforts de conservation. Ces dispositifs activés par le mouvement capturent des images et des vidéos d’animaux sauvages dans leur habitat naturel, ce qui permet d’obtenir des informations sans précédent sur leur comportement, leur répartition et la dynamique de leur population.  

Contrairement aux méthodes traditionnelles, les pièges photographiques permettent une surveillance continue et non invasive, ce qui nous permet d’observer les animaux sauvages sans les déranger et de recueillir des données sur de longues périodes. Cette technologie a révolutionné notre compréhension de la biodiversité de Yangambi, nous permettant d’identifier les espèces clés, de suivre leurs mouvements et d’évaluer l’efficacité des mesures de conservation avec une plus grande précision. 

Q : Pourriez-vous donner quelques exemples de découvertes ou d’informations notables obtenues grâce à leur utilisation à Yangambi ? 

 R : Les pièges photographiques ont révélé une mine d’informations sur la diversité des espèces qui peuplent Yangambi.  

Nous avons capturé des images d’espèces rares et supposées éteintes localement, telles que le buffle de forêt (Syncerus caffer nanus), le chimpanzé en danger (Pan troglodytes), diverses espèces de pangolins et la musaraigne éléphant à damier (Rhynchocyon cirnei). Nous avons également repéré d’autres espèces de mammifères telles que les porcs de rivière rouges (Potamochoerus porcus), les céphalophes bleus (Philantomba monticola) et les céphalophes rouges (Cephalophus dorsalis et Cephalophus nigrifrons), entre autres, ce qui nous a permis d’obtenir des données précieuses pour leur conservation.  

 En outre, les pièges photographiques nous ont aidés à identifier les corridors critiques et les points chauds de la biodiversité, ce qui a permis de guider nos efforts de conservation et d’éclairer les décisions en matière d’aménagement du territoire à Yangambi et au-delà. 

 Q : Pouvez-vous nous faire part de certains des obstacles rencontrés lors de l’utilisation de ces pièges photographiques dans une région aussi reculée que Yangambi ? 

 R : La mise en place et l’entretien des dispositifs dans des environnements isolés et souvent hostiles peuvent poser des problèmes logistiques. 

Par ailleurs, il faut apprendre à optimiser l’emplacement et les réglages des pièges photographiques pour maximiser la collecte de données tout en minimisant les faux déclenchements et les perturbations de l’environnement. En effet, il est possible que les animaux que nous essayons de suivre détruisent les caméras au cours de leurs activités, puisqu’elles sont attachées aux troncs d’arbres, parfois à une faible hauteur du sol.  

 Et puis il y a le problème du vol et de la destruction par certains membres de la communauté qui sont encore réticents à croire que les appareils sont des caméras destinées à surveiller la faune et non pas à une autre finalité. 

Q : En ce qui concerne les communautés, quelle a été leur perception de cette technologie, de son rôle et de sa présence dans le paysage ? 

R : Franchement, il a été très difficile de les convaincre au début que cela n’avait rien à voir avec une quelconque chasse au trésor ou expédition d’or. Je m’explique. Ce n’est pas un secret que la République démocratique du Congo est un terrain propice aux conflits en raison de la richesse et de la valeur de ses ressources naturelles et minérales. Ces conflits constants ont engendré une atmosphère de méfiance, en particulier entre les communautés et les étrangers.  

Ainsi, lorsque nous avons commencé à déployer des pièges photographiques dans le paysage, malgré le travail préalable d’information et d’éducation des membres de la communauté sur qui nous étions, ce que nous faisions et pourquoi, ils ne nous ont pas fait confiance. Les premières caméras que nous avons installées ont été vandalisées et les gens ont même creusé autour des troncs d’arbres, pensant que nous cherchions des minéraux. Lorsqu’ils n’ont rien trouvé et qu’ils ont finalement compris que nous n’avions aucune arrière-pensée, ils se sont détendus et ont commencé à travailler avec nous.  

Aujourd’hui, nous travaillons avec des chasseurs locaux qui nous servent non seulement de guides forestiers, nous apportant des connaissances essentielles sur les points névralgiques de la faune et la traque, mais qui nous aident également à installer et à démonter les caméras. Leur connaissance des forêts s’est révélée être un atout très précieux pour nous.  

Nous avons même collaboré avec ces communautés à l’élaboration d’un plan quinquennal de gestion de la faune sauvage pour le paysage de Yangambi, qui met l’accent sur une gouvernance inclusive et améliorée et sur la gestion des ressources naturelles. 

Nous avons même collaboré avec ces communautés à l’élaboration d’un plan quinquennal de gestion de la faune sauvage pour le paysage de Yangambi, qui met l’accent sur une gouvernance et une législation inclusives et améliorées, sur la dénonciation des crimes contre l’environnement, sur la promotion des changements de comportement et même sur la mise en place de microprojets comme alternatives à la chasse et à la vente de viande de brousse. Au total, je peux dire que la perception des communautés a beaucoup changé.  

Q : Comment envisagez-vous l’avenir de la surveillance de la faune à Yangambi et quel rôle pensez-vous que la technologie jouera dans les efforts de conservation ? 

R : Comme la technologie continue d’évoluer, je pense que nous verrons des solutions encore plus innovantes pour la surveillance de la faune à l’échelle mondiale afin d’influencer positivement nos efforts de conservation dans le paysage d’engagement de Yangambi et dans d’autres zones de conservation. Les progrès de l’intelligence artificielle, de la télédétection et de l’analyse des données offrent un potentiel énorme pour améliorer nos capacités de surveillance et générer des informations exploitables pour la gestion de la conservation.  

Cependant, il est essentiel de trouver un équilibre entre l’innovation technologique et les connaissances écologiques traditionnelles, en veillant à ce que nos approches restent adaptées au contexte et sensibles aux besoins des communautés locales. En fin de compte, en tirant parti du pouvoir de la technologie et en encourageant la collaboration entre les parties prenantes, nous pouvons sauvegarder la biodiversité de Yangambi pour les générations à venir. 


À propos du Paysage de Yangambi : Depuis 2007, CIFOR-ICRAF travaille dans le Paysage de Yangambi (YEL) pour faire avancer la recherche forestière et agroécologique, le développement local et la conservation. Notre objectif est de soutenir l’esprit entrepreneurial, l’innovation, la recherche et la gestion des ressources naturelles afin de transformer le Paysage d’engagement de Yangambi en un lieu où les forêts contribuent au bien-être durable des communautés locales. 

 L’article ci-dessus est produit dans le cadre du projet Formation, Recherche et Environnement dans la Tshopo II (FORETS II) mis en œuvre par CIFOR-ICRAF et financé par l’Union européenne dans le YEL, qui vise des objectifs spécifiques de conservation et de valorisation de la biodiversité, tout en contribuant au développement durable des populations locales à travers des activités de sensibilisation, de vulgarisation et d’encadrement, mais aussi de renforcement des ressources humaines nationales pour une meilleure protection des forêts, notamment à travers une formation universitaire formelle de type LMD. 

Pour plus d’informations, consultez les sites www.cifor-icraf.org/yangambi-engagement-landscape/ et www.yangambi.org/. 

 

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