Collecte de données sur les tourbières dans les zones reculées du Congo Central

Des données de terrain difficiles à obtenir et pourtant essentielles pour le calibrage et la validation
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Carte des tourbières de la cuvette centrale (zones violettes et rouges) qui s’étendent sur le territoire de la République du Congo et celui de la RDC. Source : OFAC 2020 ; Dargie et al. 2017

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Les données de terrain sont essentielles pour comprendre la genèse, la formation, le fonctionnement et l’étendue des tourbières du Centre du Congo, aussi appelé cuvette centrale. D’après de récentes recherches, la difficulté d’accès de ces tourbières, qui pèse sur les coûts et rallonge les délais, est le principal facteur qui complique la collecte des données. En revanche, cet isolement permet également de protéger la région de la dégradation.

Dans le chapitre 9 du rapport sur l’État des forêts du bassin du Congo récemment publié par l’Observatoire des Forêts d’Afrique Centrale (OFAC), les experts affirment qu’il est indispensable de compléter les images satellite par des données et des observations de terrain pour le calibrage et la validation des cartes des tourbières afin de réduire les incertitudes. Ces images fournissent aussi des informations supplémentaires concernant les types de végétation, le volume de carbone stocké dans la tourbe, la biodiversité, la présence de communautés locales dans ces zones et l’exploitation qu’elles en font.

À propos de la cuvette centrale

Avec une superficie estimée de 145 500 km2, les tourbières du Centre du Congo se trouvent à cheval sur le Congo et la République démocratique du Congo, ce qui en fait le plus vaste complexe mondial de tourbières tropicales presque contiguës. Restée relativement intacte à ce jour, la vaste cuvette centrale renferme environ 30 gigatonnes de carbone, soit l’équivalent de 15 ans d’émissions de carbone par l’économie américaine. Sur le terrain, des mesures de la profondeur et de la densité de la tourbe, comme de la concentration en carbone ont montré que le volume de carbone stocké dans la tourbe est nettement supérieur à celui de la végétation qui recouvre les tourbières puisqu’il s’agit d’une quantité équivalente au stock de carbone de la biomasse aérienne des forêts tropicales de l’ensemble du bassin du Congo. « Si la totalité du carbone stocké dans les tourbières de la cuvette centrale était rejetée dans l’atmosphère, cela représenterait un volume équivalent à trois ans d’émissions mondiales de carbone provenant de l’ensemble des combustibles fossiles », a déclaré Jean Jacques Bambuta, coordinateur de l’unité de gestion des tourbières au ministère de l’Environnement et du Développement durable de RDC, qui a contribué à la rédaction du rapport.

Cette région présente également une abondante biodiversité, unique en son genre. La plus forte densité mondiale de gorilles des plaines de l’Ouest s’observe dans les tourbières de la cuvette centrale, mais cet écosystème accueille aussi d’autres espèces : chimpanzés, éléphants de forêt d’Afrique, bonobos endémiques et cercopithèques de Allen, ces derniers vivant uniquement dans les forêts marécageuses et inondées. Les tourbières sont également riches en espèces aquatiques : crabes, mollusques d’eau douce, crocodiles, tortues et une grande diversité de poissons (sans doute plus de 200 espèces de poissons).

Carte des tourbières de la cuvette centrale (zones violettes et rouges) qui s’étendent sur le territoire de la République du Congo et celui de la RDC. Source : OFAC 2020 ; Dargie et al. 2017

Les défis de la cartographie

Pour délimiter les zones inondées en permanence comme celles du bassin du Congo, les scientifiques s’appuient beaucoup sur l’imagerie satellitaire Synthetic Aperture Radar (SAR). Dans l’acquisition de données SAR, les capteurs du satellite envoient des micro-ondes qui pénètrent la canopée jusqu’aux troncs et aux branches des arbres ainsi qu’aux palmes, la radiation renvoyée vers le satellite dépendant fortement de l’humidité du sol : plus le sol est humide, plus il y a de retours vers le satellite. Mais cette méthode permet seulement de connaître l’étendue des zones humides présentes sans avoir d’informations précises sur les tourbières. C’est dans ce contexte que les auteurs soulignent la nécessité d’études de terrain complémentaires pour notamment cartographier l’étendue et la profondeur des tourbières, déterminer et caractériser les types de tourbières boisées et comprendre l’usage qu’en font les communautés locales et la valeur qu’elles leur accordent.

Menaces et pressions

Les chercheurs ont aussi identifié plusieurs pressions potentielles qui risquent de déstabiliser l’écosystème très sensible des tourbières de la cuvette centrale. En premier vient le changement climatique, qui pourrait détruire le fonctionnement des écosystèmes dans l’ensemble de la sous-région. Toute perturbation de l’équilibre hydrologique des tourbières qui induit une baisse de la nappe phréatique peut intensifier la décomposition de la matière organique (surtout s’il s’agit de tourbières alimentées par les précipitations) et éventuellement transformer celles-ci en émettrices de carbone alors que ce sont des puits au départ.

Étant donné que 30 concessions forestières en RDC et 7 au Congo recouvrent les tourbières ou se trouvent en lisière de celles-ci, le risque existe que l’exploitation forestière (légale ou illégale) donne accès à ces zones fragiles, et perturbe éventuellement le réseau de drainage naturel. Les concessions d’hydrocarbures qui exploitent le pétrole et le gaz des tourbières risquent fort de perturber leur hydrologie, de polluer cet écosystème sensible, d’accroître les émissions de gaz à effet de serre et d’entraîner des conséquences socioéconomiques néfastes, comme le déplacement de communautés.

Une autre préoccupation est l’essor des plantations de palmiers à huile et l’extension des activités agricoles, vivrières et industrielles, dans les zones de tourbières. Ces activités requièrent des infrastructures comme des routes et de la main-d’œuvre, et donc un afflux de migrants.

S’il est peu probable que ces menaces surviennent de façon isolée, les chercheurs affirment que, si elles se réalisent, leur ampleur dépendra de nombreux facteurs politiques et socioéconomiques, au niveau national comme international. Les synergies entre ces menaces pourraient aussi accentuer les impacts négatifs subis par les tourbières.

Selon Raoul Monsembula de l’Université de Kinshasa, autre auteur du rapport, le drainage des tourbières modifie la couverture végétale, menace la biodiversité des zones humides, dégrade la qualité de l’eau, provoque un affaissement des terrains, accroît le risque d’incendie et de préjudices pour les populations, leurs moyens de subsistance et l’environnement. « Quand les tourbières sont dégradées, les travaux de réhumidification et de restauration peuvent être très coûteux, sans parfois parvenir à retrouver les services écosystémiques d’origine », précise-t-il. « La prévention est par conséquent essentielle, surtout dans les tourbières relativement intactes de la cuvette centrale. »

Malgré l’existence d’accords et de conventions comme la Convention de Ramsar, d’une résolution de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEP/EA.4/RES.16), et de la Déclaration de Brazzaville sur les tourbières, il sera indispensable de les appliquer et de les mettre en œuvre effectivement dans les années qui viennent, compte tenu de l’importance écologique de cet écosystème pour la planète.

Cet article est disponible également [Anglais]

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