Lorsqu’ils déterminent la façon dont ils vont réduire la déforestation, les décideurs politiques sont face à plusieurs options : est-ce qu’on renforce les mécanismes d’application et de sanction des activités illégales ? Ou bien est-ce qu’on augmente les avantages octroyés pour les activités de conservation en mettant en place des paiements pour les services écosystémiques? Doit-on cibler les consommateurs pour réduire la demande en produits liés à la déforestation, ou cibler les acteurs sur la chaîne d’approvisionnement et renforcer leurs standards de transparence ? Doit-on au contraire renforcer la sécurité d’occupation pour aider les usagers des terres à appliquer leurs droits?
Il est fort probable que la réponse la plus courante à toutes ces questions soit : « Tout dépend du contexte ! ». Partant de ce constat, les décideurs politiques pourraient passer en revue les expériences actuelles et passées portant sur l’application des différentes politiques et leurs impacts afin de déterminer quelle politique est susceptible d’offrir les meilleurs résultats dans tel ou tel contexte. Malheureusement, les preuves de ce qui fonctionne dans tel ou tel contexte sont lacunaires voire inexistantes pour certaines politiques. En outre, il apparaît que le lien entre les caractéristiques des divers contextes et l’efficacité des politiques est d’une grande complexité.
Pour améliorer notre capacité à élaborer des recommandations fiables sur les politiques qui offrent, selon tel ou tel contexte, les meilleurs résultats pour la réduction de la déforestation, nous avons proposé dans un document récemment publié de classer les politiques et mesures pour les forêts en plusieurs grandes catégories, en fonction de leurs différences et similitudes dans la façon dont elles visent à réduire la déforestation (c’est-à-dire leur théorie du changement).
Pour élaborer notre typologie des politiques, nous avons d’abord recensé les politiques et mesures qui visent à modifier le comportement des acteurs liés aux forêts et, à terme, réduire la déforestation. À ce jour, notre liste compte 35 politiques et mesures différentes recensées sur la base d’une analyse de la littérature scientifique et des documents politiques de quatre pays abritant d’importantes forêts tropicales : le Brésil, la République démocratique du Congo (RDC), l’Indonésie et le Pérou. Cette liste est non exhaustive et évoluera en fonction des nouvelles politiques et mesures identifiées en faveur des forêts.
Nous avons classé chacune des politiques en fonction de trois attributs. Le premier concerne le principal type d’acteur visé par la politique. Il peut s’agir des propriétaires de terres et utilisateurs de produits de base et autres marchandises en lien avec la déforestation, des acteurs de la chaîne d’approvisionnement, des gouvernements ou encore des acteurs financiers eux aussi liés à la déforestation. Le deuxième attribut concerne les principales motivations suscitées par la politique ; nous nous appuyons sur une théorie à la fois psychologique et économique pour identifier quatre motivations différentes à l’origine d’un changement comportemental, telles qu’un accès plus important à des récompenses externes, la satisfaction du besoin d’appartenance à un groupe social ou la satisfaction du besoin d’accomplissement vis-à-vis d’une action spécifique. Le troisième et dernier attribut concerne la principale cause de déforestation que la politique cherche à éliminer. Par exemple, certaines politiques comme les Paiements pour les services écosystémiques (PSE) visent les causes directes de la déforestation et augmentent les avantages octroyés pour les activités qui contribuent à réduire la déforestation et la dégradation des forêts. D’autres politiques cherchent plutôt à éliminer les causes sous-jacentes de la déforestation telles qu’une mauvaise gouvernance, une insécurité en matière d’occupation des terres ou des niveaux inadaptés de développement.
Les 35 politiques et mesures identifiées, classées en fonction du principal acteur visé, de la motivation psychologique et de la cause de déforestation ciblée, ont abouti à la création de 10 catégories différentes. Celles-ci incluent non seulement les solutions conventionnelles visant à modifier le comportement des producteurs telles que les politiques contraignantes et incitations économiques, mais aussi les politiques de la demande et autres mesures déclenchant des mécanismes psychologiques comme le sentiment d’appartenance sociale :
- Quatre types de politiques et mesures ciblent les usagers des terres et producteurs agricoles dans les pays à large couvert forestier tout en cherchant à provoquer plusieurs motivations précédemment identifiées. Les incitations économiques comme les PSE donnent lieu à des récompenses externes tandis que les mesures dites contraignantes telles que le principe des aires protégées sont fondées sur la peur avec la perspective d’une sanction. D’autres politiques renforcent les capacités des usagers des terres pour les aider à gérer durablement les forêts, notamment en leur octroyant des droits d’utilisation des terres.
- Deux types de politiques et mesures ciblent les acteurs gouvernementaux ou groupes multipartites incluant des acteurs gouvernementaux afin d’améliorer la gouvernance des pays abritant des forêts tropicales. Il peut notamment s’agir de plateformes multipartites ou de politiques de décentralisation.
- Deux types de politiques et mesures visent à réduire la demande en produits de base et marchandises en lien avec les forêts. Ces politiques ciblent les consommateurs finaux ou acteurs intermédiaires de la chaîne d’approvisionnement comme les entreprises multinationales qui achètent des produits de base présentant un risque de déforestation à l’instar de l’huile de palme, et incluent des campagnes de sensibilisation ou des politiques relatives aux marchés publics.
- Les deux derniers types de politiques et mesures ont en commun le fait de pouvoir être utilisés pour influencer le comportement de nombreux acteurs différents en lien avec les forêts, et ciblent des motivations externes (ex : récompenses ou sanctions). Il s’agit notamment d’inclure des subventions et des taxes.
Notre typologie des politiques s’inscrit dans une vaste étude de recherche visant à établir un diagnostic de la déforestation dans le cadre de l’Étude comparative globale sur la REDD+. Ce diagnostic de la déforestation a pour but de contribuer à l’identification des liens qui existent entre les caractéristiques de plusieurs contextes et l’efficacité des politiques et mesures appliquées à différentes situations. Nous espérons que la typologie proposée pourra constituer un point de départ des prochaines études comparatives sur l’efficacité des politiques en fonction des cas et contextes.
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Pour plus d’informations, veuillez contacter Julia Naime (julia.del.carmen.naime.sanchez.henkel@nmbu.no) ou Colas Chervier (c.chervier@cifor-icraf.org).
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Cette recherche s’inscrit dans le cadre de l’Étude comparative globale du CIFOR sur la REDD+ (www.cifor-icraf.org/gcs). Les partenaires financiers qui ont soutenu cette recherche comprennent : l’Agence norvégienne de coopération pour le développement, l’Initiative internationale pour le climat (IKI) lancée par le Ministère fédéral allemand de l’environnement, de la protection de la nature et de la sûreté nucléaire, le Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (CRP-FTA), et les donateurs du fonds CGIAR.
Cet article est disponible également [Anglais]
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