Construire des modèles tirés de la perte des forêts

Les archétypes de la déforestation peuvent aider les décideurs politiques à comprendre les stratégies qui ont de l’impact.
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Forêts d’Alto Mayo, Pérou. Bruno Locatelli/CIFOR

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S’il y a une leçon à tirer des nombreux efforts de conservation mis en œuvre dans le monde, c’est de retenir que ce qui fonctionne dans un endroit pourrait ne pas avoir d’impact dans un autre – ou pourrait même avoir un effet négatif.

Pourquoi les résultats d’impact sont-ils si différents, et que peuvent apprendre les chercheurs et les décideurs politiques de ces différences ?

L’une des raisons de cette disparité est que “le contexte est important”, explique Arild Angelsen, associé principal au Centre pour la recherche forestière internationale et du Centre International de Recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF) et professeur d’économie à l’Université Norvégienne des Sciences de la Vie (NMBU), en Norvège.

Il souligne qu’il est important de comprendre les aspects du contexte qui influencent les résultats. Se lamenter sur le fait que chaque cas est différent, et qu’il n’y a donc pas de leçons globales à en tirer, est aussi inutile que d’essayer de trouver une solution unique à la perte des forêts de la planète, qui s’élève à quelque 100 000 kilomètres carrés (38 610 milles carrés) par an, principalement dans les pays tropicaux.

Angelsen et Julia Naime, chercheure postdoctorale au CIFOR-ICRAF et provenant de la même université, ont entrepris de rechercher des modèles de déforestation dans le cadre de la phase 4 de l’étude comparative mondiale du CIFOR-ICRAF sur la REDD+ (GCS REDD+). En collaboration avec l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, où la chercheure Niki De Sy a mené l’analyse, leur objectif était d’apporter un appui aux décideurs politiques en déterminant les types de stratégies les plus efficaces dans certaines situations, et de comprendre les raisons qui sous-tendent cela.

La première étape a consisté à analyser l’ampleur de la perte des forêts et les raisons ou moteurs de la déforestation. Il en est ressorti une série de sept “archétypes” de déforestation, c’est-à-dire des situations présentant des caractéristiques sociales et écologiques communes.

“Nous savons qu’il existe de nombreux moteurs de la déforestation – cela a fait l’objet d’étude pendant de nombreuses années”, explique Naime. “Il existe différents contextes, différents moteurs et différents acteurs. L’objectif de l’analyse des archétypes est de trouver des modèles communs dans les différents cas de déforestation.”

La recherche est pionnière dans l’application de l’approche des archétypes pour identifier les modèles de déforestation tropicale à l’échelle mondiale (avec un accent particulier sur le Pérou, le Brésil, la RDC et l’Indonésie), a déclaré Naime lors d’une récente réunion du groupe consultatif sur la science et la politique publique du GCS REDD+ au Pérou, où les résultats préliminaires ont été présentés.

Pour créer les archétypes, les chercheurs ont calculé la quantité de forêt perdue au cours des deux décennies. Ils ont également examiné le taux annuel de perte de forêt, et ont vérifié s’il était supérieur à 1 % (dans une zone de 5 kilomètres sur 5 kilomètres) avant et après 2015, afin de déterminer s’il s’agissait d’une activité relativement nouvelle, et si elle s’accélérait ou ralentissait.

Ils relèvent que la compréhension des tendances locales en matière de perte de forêt est importante pour la conception de politiques efficaces.

Les modèles vont de la forêt intacte (ou conservée), à une extrémité de l’échelle, à des terres autrefois boisées aujourd’hui utilisées pour l’agriculture ou d’autres activités humaines, en passant par une série de scénarios de changement d’utilisation des terres.

À partir de ces informations, les chercheurs ont créé une série de types de modèles, qu’ils appellent “archétypes de déforestation”, chacun ayant ses propres caractéristiques et risques, ce qui permet de comparer les situations dans différentes régions des pays tropicaux du monde.

Dans certains endroits, la forêt est encore intacte ou peu dégradée, mais il existe un risque de déforestation dans les zones accessibles par la route ou favorables à l’agriculture ou l’élevage, explique M. Naime.

Les zones en cours de déforestation sont considérées comme des fronts de déforestation, avec des degrés de gravité variables. Les fronts “émergents” avaient une couverture forestière élevée avant 2015, mais ont perdu plus de 1 % de cette couverture par an depuis lors. Les fronts “actifs” ont perdu des forêts à ce rythme avant et après 2015, ce qui indique une tendance plus longue. Les fronts “en déclin” ont perdu plus de 1% de leur couverture forestière par an avant 2015 uniquement, ; et les fronts “graduels” ou “inactifs” ont perdu de la forêt à un taux de moins de 1% par an avant et après 2015.

“Une fois que nous avons décrit les modèles de déforestation, nous essayons ensuite d’identifier les facteurs déterminants, tels que les principales cultures pratiquées à ces endroits”, explique Naime. “Cela est limité par la disponibilité des données, mais nous avons identifié quelques catégories de base.”

L’utilisation des terres peut inclure des plantations, des cultures, des repousses de cultures et des prairies ou pâturages par exemple, ou la perte de forêt peut être due à l’expansion urbaine ou aux inondations, affirme-t-elle.

Lorsque les chercheurs ont attribué des couleurs aux archétypes et les ont appliquées à une carte du Pérou, l’un des quatre pays du GCS REDD+, les schémas de changement d’affectation des terres sont apparus clairement.

Au Pérou, près de 70 % de la zone cartographiée contient encore une couverture arborée bien conservée, qu’ils ont appelée “forêt conservée”. Néanmoins, il existe de larges bandes de fronts actifs avec une perte de forêt allant de modérée à élevée, notamment une augmentation de l’exploitation aurifère non réglementée dans le sud et une agriculture en expansion dans le centre. La perte modérée de forêt le long de la rivière Ucayali montre comment les méandres de cette voie d’eau, inondée de façon saisonnière, ont changé de cours au fil des ans.

Les fronts émergents – des zones de perte de forêt apparues depuis 2015 – sont moins nombreux, mais montrent où la mise en œuvre rapide de politiques efficaces pourrait endiguer la poursuite de la déforestation. Dans la région centrale d’Ucayali, par exemple, une zone active de perte de forêt élevée à modérée est bordée à l’est par une frange de fronts émergents qui poussent dans la forêt intacte – un signal d’alarme pour les décideurs politiques qui cherchent à contenir la déforestation.

Lorsque les chercheurs ont appliqué les mêmes critères à d’autres pays tropicaux, des schémas communs sont apparus dans certaines régions : prairies en Amérique du Sud, plantations en Asie du Sud-Est et mélange de pâturages, d’agriculture et d’arbustes en Afrique, par exemple. Dans certains endroits, la déforestation s’arrête à une frontière nationale, ce qui implique que les mesures de conservation fonctionnent, ou bien la forêt conservée traverse les frontières nationales, ce qui indique un endroit où une collaboration binationale pourrait être possible.

Les chercheurs prévoient d’affiner l’analyse des archétypes en examinant les raisons des changements survenus. Il s’agira par exemple de comprendre si une zone autrefois boisée est-elle désormais utilisée pour des pâturages ou des prairies, des plantations d’arbres ou des cultures ? Cette zone aurait -t-elle été dévorée par l’étalement urbain ? Est – ce que les arbres ont été emportés par les inondations ?

L’étape suivante consistera à parcourir les éléments des politiques publiques, à les classer et à les examiner dans le contexte des archétypes, afin d’identifier et comprendre les politiques qui ont un impact.

Jusqu’à présent, les chercheurs ont été surpris de constater que l’Amérique du Sud compte peu de fronts “en déclin” – des endroits où la déforestation était élevée avant 2015 et devenue faible ces dernières années.

“Il semble qu’une fois que vous avez lancé le processus, il prend de l’ampleur, et il y a des boucles de rétroaction auto-renforcées qui peuvent être liées au développement des infrastructures qui accompagnent les gens”, explique Angelsen. “Donc, cela devient plus attrayant, et plus de gens s’installent, et la déforestation continue.”

C’est un signal d’alarme.

“Une fois que la déforestation commence, il est difficile de l’arrêter”, ajoute-t-il, “il est donc important de faire attention à ne pas la commencer.”


Ce travail a été réalisé dans le cadre de l’Étude comparative mondiale sur la REDD+ (www.cifor.org/gcs ) du centre pour la recherche forestière internationale. Les partenaires financiers ayant soutenus cette recherche comprennent l’agence norvégienne de coopération pour le développement (Norad, Grant No. QZA-21/0124), l’initiative internationale sur le climat (IKI) du Ministère fédéral allemand de l’environnement, de la protection de la nature et de la sureté nucléaire (BMU subvention n° 20_III_108) et le programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (CRP-FTA) avec le soutien financier des donateurs du Fonds CGIAR.

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