Nous ne parviendrons pas à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, ni même à 2 degrés. L’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement de la planète en deçà de ces chiffres devient un rêve lointain. En effet, les engagements actuels nous conduisent vers un avenir où la température sera en moyenne de 2,5 degrés supérieure aux niveaux préindustriels d’ici la fin du siècle.
Cela aura pour conséquence des catastrophes climatiques plus fréquentes et plus destructrices, avec des pays développés et moins développés qui se démèneront pour se remettre d’une crise après l’autre. Ce scénario existe déjà, même si nous ne parvenons pas à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050 (ce qui est très improbable).
Les gouvernements du monde entier perdent des milliards de dollars à cause de phénomènes météorologiques extrêmes. De plus, depuis que le Vanuatu a proposé pour la première fois en 1991 la création d’un mécanisme de financement des pertes et dommages, l’inaction a laissé quelque 189 millions de personnes dans les pays en développement souffrir chaque année des effets du climat. Faire face aux coûts humains et économiques (des milliers de milliards de dollars) des catastrophes liées à l’ampleur des inondations, des sécheresses, des canicules, de l’augmentation des feux de forêt et des tempêtes conduit les pays en développement et développés à s’endetter et à engloutir les financements destinés aux services de santé, à l’éducation et à d’autres services essentiels. Les personnes les plus touchées sont souvent les plus vulnérables, notamment les femmes et les populations autochtones. En outre, les inégalités ne font que se creuser dans le sillage de la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19), ce qui pourrait conduire à une « décennie perdue » pour le développement.
Il est essentiel de résoudre le problème des pertes et dommages, et pas uniquement pour les pays les plus pauvres. Le financement de l’aide d’urgence reste une priorité évidente, même si elle est loin d’être suffisante pour éponger les pertes économiques liées au climat, estimées entre 290 et 580 milliards de dollars par an, auxquelles les pays en développement devront faire face d’ici à 2030. Mais nous devons également investir dans la protection de nos paysages, de nos communautés et de nos économies contre les catastrophes naturelles qui se profilent à l’horizon. Faute de quoi, nous risquons de ressembler à la Reine rouge dans Alice au pays des merveilles : nous courons vite mais n’allons nulle part.
METTRE DE L’HUILE SUR LE FEU
En réalité, nous courons à toute vitesse dans la mauvaise direction, à raison de 11 millions de dollars par minute pour les subventions bénéficiant aux énergies fossiles. Comme l’a révélé le dernier rapport de Climate Transparency, les pays du G20 ont augmenté leur soutien à l’industrie des énergies fossiles à son niveau le plus élevé en 2021 (bien avant la guerre en Ukraine) : 200 milliards de dollars ont été versés malgré la promesse faite en 2009 de supprimer progressivement ces subventions. Imaginez ce que nous pourrions faire si ces incitations étaient réorientées vers la résolution de la crise climatique, au lieu de l’exacerber.
Les arbres et les forêts doivent constituer une partie importante de la solution. Bien qu’ils ne constituent pas une « solution verte » pour améliorer la situation climatique, nous pouvons aller très loin en tirant parti de leur potentiel naturel.
Au-delà de leur capacité à restaurer les paysages dégradés, les arbres sont essentiels à l’adaptation au changement climatique dans tous les secteurs, de l’agriculture à l’eau en passant par l’énergie et les villes. Ainsi, ils permettent d’atténuer les conséquences des dommages climatiques, que ce soit le long des côtes vulnérables ou dans les zones arides, et peuvent réduire les effets de la sécheresse localement et au-delà, grâce à leur capacité à puiser dans les nappes phréatiques profondes et à retenir l’humidité et les nutriments dans le sol. De plus, ils protègent des inondations et de l’érosion, fournissent de l’ombre à d’autres plantes et fixent l’azote. Que ce soit dans les villes ou dans les forêts, les arbres ont un effet rafraîchissant, en abaissant les températures de surface et de l’air grâce à l’ombre et à l’évapotranspiration. Les forêts renforcent la stabilité et la résilience des précipitations, tandis que la déforestation exacerbe les sécheresses.
Les arbres sont au cœur de la transformation profonde nécessaire pour rendre nos systèmes alimentaires viables pour les générations futures. Dans les systèmes agroforestiers, certaines espèces d’arbres ont plus de chances de survivre aux événements climatiques qui détruiront des milliers d’hectares de cultures vivrières au cours des prochaines décennies ; cela constitue une véritable bouée de sauvetage pour les millions de personnes qui dépendent de l’agriculture pluviale dans le monde. Les forêts protègent les bassins versants qui fournissent de l’eau douce à plus de la moitié de l’humanité. Elles sont essentielles à la sécurité alimentaire et à la nutrition des populations rurales du monde entier, tant par leurs fruits, leurs noix et leurs feuilles que par la faune qu’elles abritent.
En résumé, les forêts, les arbres et l’agroforesterie favorisent la sécurité des revenus et des moyens de subsistance, renforcent la biodiversité et les services écosystémiques, réduisent les émissions de gaz à effet de serre et séquestrent le carbone. Et si certains écosystèmes essentiels - tels que les forêts intactes, les forêts riveraines, les mangroves et les tourbières (dont beaucoup contiennent du carbone irrécupérable) - doivent être impérativement conservés, il est également important de maintenir des forêts secondaires, gérées et plantées pour la production de bois, de fibres et de nourriture.
La transition vers une économie fondée sur la nature nécessitera un investissement total de 8,1 billions de dollars d’ici à 2050. Toutefois, d’après les estimations des Nations Unies, il nous manquerait 4, 1 billions de dollars. Actuellement, seuls 133 milliards de dollars ont été investis dans des solutions fondées sur la nature, principalement par des financements publics. D’ici à 2030, nous devons parvenir à tripler les investissements en faveur de la nature pour prévenir les effets les plus destructeurs du changement climatique.
QUI PAIERA LA NOTE ?
Une fois de plus, à l’approche d’une nouvelle Conférence des Nations Unies sur le climat, les projecteurs se tournent sur des inégalités frappantes : les 10 % les plus riches de la planète émettent environ la moitié des gaz à effet de serre, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’est responsable que de 12 % de l’ensemble des émissions.
D’où les récents appels à la responsabilisation des pollueurs et de tous ceux qui sont responsables ou qui profitent de la hausse vertigineuse des émissions de gaz à effet de serre.
Les débats se sont concentrés sur le fait que les pays riches (c’est-à-dire ceux qui sont à l’origine de la crise climatique) ne s’engagent pas à fournir aux pays en développement (c’est-à-dire ceux qui subissent de plein fouet les conséquences climatiques) les financements dont ils ont besoin pour affronter, se rétablir et s’adapter au changement climatique. Pourtant, comme le soulignent les données de la Base de données sur les inégalités mondiales, des populations riches sont présentes dans les pays en développement et des populations pauvres le sont dans les pays riches ; ainsi, les 10 % des personnes les plus riches émettent 5 à 6 fois plus de gaz à effet de serre que la moitié de leurs concitoyens moins bien lotis par leurs investissements et leurs choix de consommation. Les politiques publiques visant à réduire les émissions dans les pays riches peuvent frapper plus sévèrement les franges de la société les plus précaires tout en laissant les plus riches largement épargnés.
Comme l’a mis en lumière le Rapport Carbon Majors, une centaine d’entreprises d’énergies fossiles seulement ont généré 71 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre entre 1988 et 2017, réalisant des profits indécents. Par ailleurs, d’après le récent rapport intitulé The Cost of Delay de la Loss and Damage Collaboration, entre 2000 et 2019, les profits réalisés par l’industrie des énergies fossiles auraient pu couvrir plus de 60 fois les coûts des pertes économiques induites par la crise climatique dans 55 des pays les plus vulnérables au climat.
Les pays, riches et pauvres, ont non seulement la responsabilité de mettre en place des mécanismes de financement et des mesures incitatives nécessaires, mais aussi de corriger les effets pervers pour permettre une transformation systémique.
Les pays riches et les pays pauvres sont-ils épargnés ? Absolument pas. Ils ont la responsabilité de développer des mécanismes de financement et des incitations nécessaires (et de réorienter ceux qui sont pervers) pour permettre une transformation systémique capable de rendre les systèmes de production alimentaire et les chaînes d’approvisionnement mondiaux plus écologiques et résilients. Par ailleurs, les contributions déterminées au niveau national (CDN) devraient mettre davantage l’accent sur l’adaptation, notamment des objectifs ambitieux pour la foresterie, l’agroforesterie et l’agroécologie, et inclure ces éléments ainsi que la gestion de la santé des sols dans les plans de travail et les mandats issus du Dialogue de Koronivia.
Le CIFOR-ICRAF soutient activement les processus de politique climatique au Vietnam, au Pérou et en Indonésie, en s’appuyant sur un engagement fondé sur des données probantes qui a contribué à l’élaboration de politiques d’agroforesterie en Inde, au Népal et en Asie du Sud-Est, d’une politique forestière plus inclusive en Éthiopie, de politiques et de lignes directrices sur les palmiers à huile, les incendies de tourbières, la restauration et le rôle essentiel des forêts dans la sécurité alimentaire et la nutrition mondiales, ainsi que d’une myriade de processus infranationaux.
Pour financer les solutions basées sur les arbres et les forêts, il faudra rapidement renforcer les capacités techniques, institutionnelles et financières nécessaires à la mise en œuvre de la Déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres, ainsi que des CDN et des plans d’action de conservation de la biodiversité des pays. Les investissements des secteurs public et privé doivent être plus transparents et équitables. Enfin, le programme de travail de l’Inventaire Mondial doit prendre en considération les besoins des pays en développement en matière de renforcement des capacités et de financement.
DÉMONSTRATION DE FAISABILITÉ
Les solutions fondées sur la nature constituent un investissement judicieux. Si un proverbe disait « Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a 20 ans », la meilleure façon de le faire est de se tourner vers les sciences. Comme l’a démontré le CIFOR-ICRAF fort de ses 70 années d’expérience, les sciences génétiques, écologiques et sociales nous indiquent qu’il faut sélectionner les espèces d’arbres les mieux adaptées aux écosystèmes locaux et aux besoins des communautés qui dépendent de leurs ressources. Il faut utiliser les principes de l’agroécologie, notamment l’agroforesterie, l’agriculture régénérative et d’autres formes d’agriculture mieux adaptées. De plus, cela signifie qu’il faut veiller à ce que, dès le départ, les femmes et les hommes des communautés autochtones et locales soient au cœur de solutions conçues non seulement pour se protéger contre les dommages, mais aussi pour garantir des moyens de subsistance et un bien-être durable. Pour ce faire, il est nécessaire d’élaborer un cadre permettant de surveiller, de signaler et de vérifier l’impact des interventions sur les arbres et des approches agroécologiques sur la santé des personnes et des écosystèmes.
L’adoption d’une approche systémique et paysagère pour résoudre les défis complexes au cœur des Objectifs de Développement Durable (ODD) porte ses fruits, comme le montre le Programme de recherche décennal du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (FTA). Piloté par le CIFOR-ICRAF et ses partenaires stratégiques (l’Alliance de Bioversity International et du CIAT, le CATIE, le CIRAD, INBAR et Tropenbos International), le programme a permis de :
- renforcer la protection de 26 à 133 millions d’hectares de forêts (ce qui représente 24 à 125 Gt d’émissions de CO2 évitées) ;
- restaurer 2 à 35 millions d’hectares de terres, d’améliorer la gestion de 60 à 204 millions d’hectares de terres ;
- fournir des moyens supplémentaires pour sortir de la pauvreté et réduire la vulnérabilité de 5,1 à 19 millions de personnes ;
- améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition de 1,1 à 3,5 millions de personnes.
Le nouveau Partenariat du FTA continue de promouvoir les arbres et les forêts comme des moteurs du changement transformationnel.
Même à 10 dollars la tonne de CO2 et en utilisant une fourchette basse, cet investissement de 800 millions de dollars dans le FTA se traduit par 240 milliards de dollars de retour sur investissement ou de pertes évitées.
Alors oui, les nouvelles ne sont pas bonnes, mais il n’est pas trop tard pour agir : les mesures que nous prenons maintenant peuvent nous éviter une catastrophe écologique.
Nous n’avons plus le temps de prendre des décisions médiocres en matière d’investissements et de commettre des erreurs coûteuses.
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