Exploitation forestière et clauses sociales en RDC

Regards croisés sur les réalisations et les attentes futures
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Industrie forestière – Fleuve Congo, République démocratique du Congo. Ollivier Girard, CIFOR

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En Afrique centrale, la dimension sociale de l’aménagement forestier se traduit concrètement par le développement de dispositifs spécifiques dont l’ambition est de mieux prendre en compte les aspirations des communautés locales à de meilleures conditions de vie et par l’augmentation de la contribution des entreprises du secteur forestier au développement local. Ces dispositifs sont généralement connus sous le nom de ‘clauses sociales’.

Tout aménagement forestier qui se dit durable doit avoir un impact social positif, en particulier sur les populations riveraines des massifs forestiers. »

Comme plusieurs autres pays dans la région, la République Démocratique du Congo (RDC) a adopté le concept de clause sociale dans son Code forestier de 2002. Les contrats de concession forestière contiennent des clauses qui doivent être négociées et signées entre l’exploitant et les populations riveraines, portant sur certaines réalisations socio-économiques au bénéfice des communautés forestières. Entre autres, ces réalisations portent sur la construction, l’aménagement des routes, la réfection, l’équipement des installations hospitalières et scolaires ainsi que des facilités en matière de transport des personnes et des biens.

Les premières expériences de mise en œuvre des clauses sociales remontant à une dizaine d’années, un suivi des premiers impacts sur le moyen terme est maintenant possible.

En 2021, un travail d’analyse conduit par le Centre de recherche Forestière Internationale (CIFOR) entre 2017 et 2020 sur le suivi des Clauses Sociales en RDC a été publié. Il est d’avantage question ici de présenter une synthèse des principaux résultats de cette recherche, en informant sur le processus d’amélioration du secteur forestier en RDC lancé par le gouvernement depuis plusieurs mois. En effet, la progression de l’aménagement forestier est étroitement liée aux impacts socio-économiques : si l’une est faible comme cela a été le cas pendant les dernières années, l’autre aura peu de chance de remplir les objectifs escomptés.

Le suivi des clauses sociales

Une première différence significative avec d’autres pays de la région porte d’abord sur le fait que cette analyse a été rendue possible par la disponibilité d’un grand nombre de contrats, mis à la disposition du Fonds Mondial pour la Nature (WWF) par le Gouvernement de la RDC dans le cadre d’une expérience pilote d’observation indépendante non mandatée. Deuxièmement, le suivi régulier des clauses sociales a été conduit avec le soutien de 18 organisations de la société civile, formées, suivies et soutenues pour la réalisation de cette activité.

L’analyse a concerné 24 concessions forestières actives au moment de la conduite des missions de suivi et réparties entre les cinq grands massifs forestiers de l’Équateur, Mai-Ndombe, Mongala, Tshopo et Tshuapa. C’est important de souligner que l’analyse a porté sur les clauses existantes, c.-à-d. déjà négociées. Elle n’a pas concerné les relations de pouvoir pendant le processus de négociation des clauses : la littérature sur le sujet fait état de grandes différences entre les capacités des populations locales et celles des exploitants forestiers. Pour que les clauses futures puissent être mieux négociées, des actions spécifiques devront sûrement être supportées par l’État, tant au niveau local que national.

En prélude à l’exploitation forestière, exploitants et communautés forestières négocient et arrêtent d’un commun accord les financements attendus en vue de la réalisation des infrastructures socioéconomiques. Ces montants sont directement liés aux prévisions d’exploitation (en mètres cubes) des exploitants : plus le volume est grand, plus les montants sont élevés. Bien que la logique de calcul soit simple, elle est très problématique à cause de la différence entre volumes prévisionnels et volumes effectivement exploités dans les mois qui suivent la négociation. Plusieurs facteurs contribuent à ces différences : les erreurs dans les inventaires, les aléas du marché international du bois d’œuvre et plusieurs autres impondérables.

En effet, les résultats montrent que les financements estimés sont rarement atteints. Au cours de la période 2011-2020, alors que les négociations initiales font état d’un total de 20,3 millions USD, les fonds effectivement mis à la disposition des fonds de développement locaux sont chiffrés à 7,8 millions USD (ou 38%).

Avec les fonds disponibles (7.8 millions USD), plusieurs secteurs ont été touchés. Toujours au cours des dix dernières années, environ 4,1 millions USD (53% du total disponible) ont été investis dans le secteur de l’éducation, bénéficiant un total d’environ 36 446 élèves. Suivent les infrastructures sanitaires, routières et enfin les adductions d’eau. En termes absolus, ce sont 127 écoles, 85 centres de santé, 27 bâtiments administratifs, 11 points d’eau et 436 kilomètres de route qui ont été réalisés au titre des clauses sociales ayant donné lieu à un financement réel. Divers autres bénéfices indirects ne figurant pas dans les accords de clauses sociales sont mentionnés par des personnes interviewées. C’est notamment le cas de la fourniture d’électricité ou encore le transport des personnes et des matériaux de construction.

Ces réalisations sont un signe tangible du rôle potentiel que jouent les clauses sociales au niveau local. Cependant, la planification, la mise en œuvre et la gestion des projets communautaires rencontrent encore de nombreux problèmes qui devraient faire l’objet d’une concertation approfondie entre l’administration, les exploitants et les organes de gestion locale.

L’une des difficultés est liée à l’estimation précise du coût des projets. En plus de la différence susmentionnée entre les attentes et les fonds effectivement reçus, qui peut aussi avoir un impact négatif sur la réalisation des projets prévisionnels, les populations et les organes de gestion ne disposent pas toujours des compétences nécessaires pour chiffrer le coût des projets qu’elles souhaitent mettre en œuvre. Ceci a des répercussions parfois fâcheuses sur la réalisation des différents projets, qui peuvent trainer pendant des années, ou s’arrêter suite aux imprévus, ou être tout simplement abandonnés.

Un dernier constat, déjà mis en évidence dans d’autres pays de la région, porte sur le fait que l’État et surtout les organes Provinciaux ont tendance à se détacher des projets ou, mieux, à ne pas souvent s’approprier des réalisations. Ceci augmente la forte dépendance des populations vis-à-vis des concessionnaires, ce qui peut s’avérer problématique. Dans sa configuration actuelle, les clauses sociales impliquent pour les entreprises forestières, de réaliser des missions normalement dévolues à l’État et pour lesquelles elles ne sont pas nécessairement outillées, surtout quand les réalisations nécessitent un maintien régulier (par exemple les points d’eau) ou un service pour leur fonctionnement (par exemple des médecins pour les structures de santé ou des enseignants pour les écoles).

Cette tendance amène d’une manière implicite à un transfert des fonctions régalienne des autorités publiques vers des acteurs privés, avec une faible appropriation locale. Dans certains cas, les populations locales se portent responsables, s’investissent avec leurs structures villageoises et les réalisations atteignent tout leur potentiel. Dans d’autres, le souhait serait que l’État s’implique de manière substantielle, en assurant la durabilité des œuvres réalisées, surtout quand l’exploitation se déplace.

Quel futur pour les clauses sociales ?

L’analyse montre que sur le court terme, le problème le plus urgent auquel il faudrait s’attaquer est celui des grandes différences entre les montants prévisionnels et les montants réels. Elles affectent négativement tout le processus, en partant de la planification jusqu’à la réalisation et au maintien des œuvres réalisées ou des services nécessaires à leur bon fonctionnement.

Plusieurs méthodes pourraient être testées pour faire face à ce problème, qui dérive du fait que les prévisions financières sur la base de l’inventaire des ressources disponibles sont largement et régulièrement surestimées. Par exemple, une approche plus réaliste pourrait consister à calculer les montants attendus – ou au moins planifier les infrastructures à réaliser – sur la base des montants effectivement mobilisés au cours des périodes précédentes (par exemple en moyenne sur les trois dernières années d’exploitation).

Une deuxième amélioration devrait porter sur la rationalisation du choix des projets communautaires. Les analyses montrent une tendance à insérer dans les clauses sociales beaucoup plus de projets sur le plan de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’eau, etc. que ceux qui sont réalisables avec les montants disponibles, même en considérant une correspondance hypothétique entre prévisions et recettes.

Une meilleure utilisation des ressources disponibles devrait se baser plutôt sur une identification des projets prioritaires, ou à tout le moins de conduire des consultations pour lister les projets jugés essentiels pour la communauté et d’y consacrer les ressources disponibles, ce qui aurait un impact positif sur le nombre de projets d’infrastructures qui sont intégralement réalisés. Dans le très court terme, il sera donc aussi question de privilégier l’achèvement des infrastructures existantes.

Avec un regard dans le futur, il faudrait se pencher sur la question de la pérennisation des acquis des clauses sociales. L’exécution des clauses sociales dans les zones rurales peut constituer une opportunité d’induction du développement local dans une dynamique de long terme si et seulement si cette dynamique est portée par l’État afin de garantir ses impacts dans la durée. Si l’État se désengage ou s’il n’assume pas son rôle de formateur des communautés locales et d’arbitre pour des négociations équitables, les aspirations légitimes des populations locales et autochtones à l’amélioration de leurs conditions de vie atteindront difficilement tout leur potentiel.

Le rôle de la société civile

La société civile est un acteur clé de la mise en œuvre effective des clauses sociales. Les interviews et les données recueillies et utilisées pour conduire cette analyse attestent de son rôle utile et parfois indispensable en tant que relai de connaissance et d’information du centre (notamment la capitale, Kinshasa) vers la périphérie et vice-versa. Dans cette logique et dans un cadre global ou l’importance des forêts et des processus censés améliorer leurs conditions ne fait qu’augmenter, il serait utile de maintenir la collaboration entre ONG internationales et nationales. L’équilibre de « l’échafaudage » d’appui qui a permis cette analyse, constitué d’une ONG internationale (WWF), d’ONG nationales, de communautés locales et de représentants des peuples autochtones autour des sociétés forestières, peut se révéler très fragile s’il est organisé dans une perspective temporelle à court ou moyen terme.

Les besoins sont multiples et ils ne feront qu’augmenter si le secteur forestier suit les lignes tracées récemment par le Gouvernement, tant en coordination et logistique sur un territoire immense, qu’en capacités techniques nécessaires pour une optimisation de la collecte, de la mise en cohérence et de l’analyse des données. Par leur nature, ces besoins demandent un engagement de long terme. L’enjeu essentiel est donc d’évoluer vers plus de durabilité de ces partenariats afin de dégager des moyens pour le renforcement spécifique des capacités des communautés locales et des peuples autochtones.

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