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Si vous ne le saviez pas encore, l’étude des forêts denses et humides du bassin du Congo n’est pas une mince affaire. Sous les houppiers bruissants, les obstacles ne manquent pas, entre les contreforts des arbres dans lesquels s’enchevêtrent les plantes lancées à l’assaut des troncs, la fange des bourbiers qui s’invitent sur les chemins boueux et étroits, sans parler de la chaleur torride et de l’atmosphère moite. Pour s’approcher de leur sujet d’étude, les forestiers doivent crapahuter des heures, voire des jours durant, dans ces difficiles conditions.

Et le défi est de taille quand il s’agit, pour les scientifiques en question, de mesurer les houppiers de certains arbres tropicaux immenses qui atteignent parfois 60 mètres de hauteur. Jusqu’à récemment, pour estimer la dimension d’un houppier, ils se basaient sur la projection de la cime de l’arbre au sol, mais dans les forêts tropicales humides, les arbres se trouvent au milieu d’une végétation dense sur un terrain accidenté, ce qui rend les travaux fastidieux et produit des résultats peu précis.

Maintenant, la technologie de la télédétection grâce aux satellites et aux drones offre aux scientifiques la possibilité sans précédent d’approcher au plus près le couvert forestier, sans même mettre le pied en forêt.

Ces innovations révolutionnent la foresterie tropicale, d’après Jean-Baptiste Ndamiyehe Ncutirakiza, doctorant de 29 ans originaire de la République démocratique du Congo (RDC), pour qui les drones sont un outil puissant pour caractériser la structure et la dynamique des forêts d’Afrique centrale.

« Les forêts du bassin du Congo restent celles que l’on connaît le moins sur la planète, mais la télédétection fait avancer les choses », a déclaré J.B. Ndamiyehe. « Nous sommes désormais en mesure de réunir des données dans des zones difficiles d’accès, parfois bien plus vite que par les travaux de terrain, pour un coût inférieur et sans perturber la nature. »

Pourquoi mesurer les houppiers

La mesure des houppiers est l’une des tâches scientifiques qui a été facilitée par l’utilisation de la télédétection, a expliqué J.B. Ndamiyehe. « Nous pouvons maintenant obtenir la dimension des houppiers et l’estimation de la croissance des arbres à l’aide de l’imagerie aérienne à haute résolution qui est bien plus précise que les mesures réalisées sur le terrain. »

Selon J.B. Ndamiyehe, les données précises sur la taille des houppiers peuvent nettement améliorer le calcul de la biomasse, ce qui est crucial pour connaître les stocks de carbone et pour orienter les décisions relatives à la gestion forestière.

Avec les volumes qu’il absorbe, le bassin du Congo est un puits de carbone vital, car il permet d’atténuer le changement climatique. Cependant, les calculs actuels des stocks de carbone restent imprécis et c’est un enjeu pressant pour les experts qui demandent des solutions naturelles pour lutter contre le changement climatique.

Jusqu’ici, la majorité des chercheurs estimaient les stocks de carbone en calculant le diamètre et la hauteur des arbres, et la densité du bois, mais la dimension et la structure des houppiers, qui sont aussi importantes, restaient peu étudiées en raison des difficultés rencontrées par les chercheurs sur le terrain.

J.B. Ndamiyehe nous a indiqué que les mesures des houppiers grâce à la télédétection peuvent permettre de remédier au déficit d’informations existant sur les allométries des houppiers d’arbres, ce qui permet de comparer l’architecture globale des arbres. « Nous comprenons mieux également la trajectoire de croissance des arbres pour de nombreuses espèces qui coexistent dans le bassin du Congo, ce qui nous permettra certainement d’affiner les modèles de prédiction de l’évolution des stocks de biomasse », a-t-il poursuivi.

L’avantage est que les gouvernements comme les entreprises privées peuvent utiliser les allométries pour estimer la biomasse afin d’améliorer les inventaires forestiers : étape essentielle vers une gestion forestière plus durable. Cette avancée est aussi utile à tout le déroulement du processus de gestion et à la gouvernance forestière, et la vérification des données est simplifiée.

   Jean-Baptiste Ndamiyehe prépare un drone pour survoler la réserve forestière de Yoko. Photo : Pierre Likul
   De nombreuses sortes de drones peuvent être utilisées en télédétection dans les forêts tropicales. Photo : Pierre Likul

Des drones à la rescousse

Dans le cadre de ses travaux de recherche, J.B. Ndamiyehe utilise des drones parce qu’ils présentent des avantages intéressants comparativement à d’autres technologies de télédétection, comme le LiDAR et les satellites.

En effet, les drones sont relativement bon marché et faciles à utiliser. De plus, ils peuvent voler sous la couverture nuageuse qui constitue un obstacle pour d’autres types d’images, ce qui en fait des outils extrêmement précieux dans les forêts tropicales humides. Ils offrent aussi des images spatiales à haute résolution de l’ordre du centimètre par pixel.

Bien que cette technologie ne puisse pas enregistrer l’image aérienne de tous les arbres de la forêt, elle peut documenter les plus importants. Par exemple, une récente étude réalisée par J.B. Ndamiyehe a permis d’identifier et de photographier 23 % des arbres d’une parcelle expérimentale située dans la réserve forestière de Yoko en RDC, mais parce que ces arbres étaient les plus volumineux, il conclut qu’ils renferment environ 75 % de la biomasse totale du peuplement.

Ces résultats montrent qu’il est maintenant possible de cartographier précisément la biomasse au niveau des arbres dans un peuplement forestier : c’est une étape cruciale pour disposer d’un plus grand nombre d’estimations de stocks de carbone à grande échelle. J.B. Ndamiyehe a aussi découvert que les mesures sur le terrain et celles provenant des images aériennes relatives à la taille des houppiers étaient complémentaires et fournissaient des informations équivalentes pour estimer la croissance diamétrique des arbres.

Ces résultats qu’il serait intéressant, d’après lui, de tester dans d’autres forêts, sont susceptibles de révolutionner les modalités de quantification des ressources forestières, en s’affranchissant de la dépendance vis-à-vis des données de l’inventaire de terrain.

   Ortho-image obtenue par les drones de J.B. Ndamiyehe dans la réserve forestière de Yoko en RDC.

Forestiers du futur

La thèse de doctorat de J.B. Ndamiyehe, qui est dirigée par plusieurs scientifiques de Gembloux Agro-Bio Tech, de l’Université de Kisangani (UNIKIS), et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), programme subventionné par le projet FORETS (Formation, Recherche, et Environnement dans la Tshopo), lequel fonctionne grâce à des fonds de l’Union européenne et sous la coordination du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR). L’un des objectifs de ce projet est de former la prochaine génération d’experts forestiers congolais, qui pourront gérer durablement les immenses ressources naturelles du pays.

Il s’agit d’encourager les étudiants à adopter, à tester et à améliorer les nouvelles technologies, selon Paolo Cerutti, scientifique au CIFOR. « Bon nombre d’innovations qui sont à la disposition des chercheurs en science forestière ailleurs ne sont pas encore appliquées dans le bassin du Congo où des solutions adaptées à ce contexte particulier sont nécessaires. Ces jeunes étudiants brillants sont en train de transformer rapidement cette situation. »

Depuis 2007, le CIFOR et l’UE ont soutenu financièrement plus de 220 étudiants de master et de doctorat de l’UNIKIS, qui travaillent maintenant au service d’une meilleure gestion forestière au gouvernement, comme professeurs ou dans le secteur privé.

 

Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière de l'Union européenne.
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