Quand la guerre civile a commencé en République centrafricaine (RCA) à la fin de l’année 2012, des centaines de milliers de personnes désespérés ont fui de chez eux, marquant le début d’une des crises humanitaires les plus brutales et les plus oubliées. Depuis, des flambées récurrentes de violence ont forcé environ 610 000 personnes à chercher refuge dans les pays voisins, principalement le Cameroun, la République démocratique du Congo et le Tchad.
Le Cameroun accueille sur son territoire plus de 290 000 réfugiés centrafricains, soit environ 47 % du total, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. La région de l’Est, qui est la plus étendue et la moins peuplée du pays, a absorbé la majeure partie des arrivées. Mais les personnes déplacées exercent une pression supplémentaire sur une région caractérisée par des conflits persistants concernant l’utilisation des terres, par l’essor de la demande de ressources naturelles, et moyens de subsistance limités.
À l’épicentre de la crise se trouve la ville frontalière de Garoua-Boulaï où la situation a commencé à être tendue en 2013 par l’arrivée massive de réfugiés. Prenant des mesures, les organisations humanitaires ont installé un camp dans le village voisin de Gado-Badzéré, où vivent actuellement plus de 25 000 personnes. Cependant, la majorité des réfugiés sont restés dans la ville et ses alentours, en finissant par s’intégrer dans les communautés d’accueil.
Les changements de population dans ce paysage ont ajouté une pression croissante aux écosystèmes déjà vulnérables et aux tensions sociales existantes.
Garoua- Boulaï et Gado-Badzéré sont situées dans la zone de transition entre la forêt et la savane du Cameroun, une région particulièrement sensible aux perturbations anthropiques et à la fragmentation du paysage. Différents groupes d’usagers se partagent le paysage, les activités agricoles et le pastoralisme se faisant parfois concurrence.
« C’est la raison pour laquelle il est urgent de trouver une solution aux besoins énergétiques de la population et d’atténuer l’impact environnemental de l’arrivée des réfugiés », a déclaré Abdon Awono, scientifique qui travaille au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR).
Parmi les nombreux effets sociaux, économiques et écologiques produits par l’importante population de réfugiés sur ce paysage, l’un des plus visibles est l’accroissement de la pression exercée sur les forêts et les zones boisées, d’après A. Awono.
« Les réfugiés comme les communautés d’accueil ont besoin de cuisiner et de faire bouillir l’eau pour boire. Pour ce faire, ils doivent ramasser du bois de chauffe sur les arbres et les arbustes des environs », a-t-il expliqué.
Mais après sept années de surexploitation continue, les habitants de la région commencent à en ressentir les conséquences.
Habituellement chargées du ramassage du bois de chauffe, les femmes sont particulièrement impactées par le fait que les forêts sont de plus en plus clairsemées. « Il y a quelques années, les femmes pouvaient facilement ramasser du bois de chauffe dans les environs », a dit Martin Azia, chef traditionnel de Gado-Badzéré. « Mais maintenant, elles doivent faire 8 kilomètres à pied pour trouver les arbres qu’il faut », a-t-il ajouté. Avec l’éloignement, les femmes sont plus exposées au risque de violences basées sur le genre, selon ONU Femmes.
Graines de changement
Dans le cadre du projet Gouvernance des paysages multifonctionnels en Afrique subsaharienne (GML), financé par l’Union européenne, le CIFOR travaille dans le paysage de Garoua-Boulaï pour promouvoir des chaînes de valeur du bois-énergie plus durables.
Compte tenu de la dégradation persistante de l’environnement, le CIFOR soutient une intervention intégrée sur le paysage qui passe de la plantation à la gestion participative des arbres, en engageant les communautés locales et les réfugiés dans la prise de décision conjointe.
« C’est un investissement à long terme qui exige de s’attaquer aux problèmes fonciers et aux conflits sociaux éventuels, ainsi que de garantir les diverses activités de subsistance de la population pendant la croissance des arbres, » a dit A. Awono.
Dans cette optique, l’intervention du CIFOR a commencé par l’étude du paysage pour comprendre sa structure, les principales activités économiques de la zone, et les conflits éventuels relatifs à l’utilisation des terres, selon Pamela Tabi, assistante de recherche au CIFOR.
Ensuite, pour faciliter une consultation et une mobilisation d’envergure des parties prenantes, le CIFOR a mis en place un forum de consultation avec à la fois les communautés d’accueil et les réfugiés pour débattre des difficultés d’approvisionnement en bois-énergie et des solutions de restauration sur le plan local, et pour s’assurer de l’adhésion et de la responsabilisation des personnes concernées localement.
Cette plateforme implique notamment non seulement les réfugiés vivant dans les camps et les habitants des communautés environnantes, mais aussi ceux des villes et villages situés à proximité, où réside la majorité des réfugiés. Encourager la participation active des femmes est également un élément clé du projet, selon A. Awono.
« Grâce à l’approche paysagère, nous traitons les différentes fonctions environnementales et structures sociales qui pourraient aboutir à des solutions de gestion durable », a indiqué P. Tabi. « De leur côté, ils nous apportent des connaissances sur les meilleures modalités de gestion des ressources en bois-énergie, ce qui nous permettra d’envisager des interventions qui répondront véritablement aux besoins locaux. »
Par exemple, la création d’une plateforme impliquant les autorités traditionnelles et administratives pour prévenir les conflits entre agriculteurs et pasteurs et le risque de feux de brousse incontrôlés, d’après P. Tabi.
Enfin, pour diminuer la demande de bois de chauffe et alléger la tâche des femmes, le CIFOR encourage aussi l’utilisation de foyers améliorés qui consomment moins de bois. « C’est l’ensemble de la chaîne de valeur du bois-énergie que nous devons transformer », a affirmé P. Tabi.
Un modèle pour l’avenir
Il n’y a pas qu’au Cameroun que l’afflux de personnes déplacées a un impact négatif sur l’environnement. Dans le Nord de l’Ouganda, par exemple, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a enregistré des heurts entre les communautés d’accueil et les réfugiés à cause du déboisement massif et de la concurrence pour les ressources naturelles. La même situation s’observe au Soudan du Sud, au Kenya, au Nepal et dans bien d’autres pays.
« Dans de nombreuses régions du monde, les personnes déplacées dépendent des forêts pour se chauffer, cuisiner et se construire un abri », a fait remarquer A. Awono. Alors, l’équipe du CIFOR espère que cette intervention dans l’Est du Cameroun pourra devenir le modèle qui guidera d’autres actions ailleurs.
« Souvent négligés dans les programmes humanitaires, les problèmes environnementaux sont au cœur des crises touchant les réfugiés », a ajouté Jolien Schure, chercheuse associée au CIFOR. « Ils alimentent un cycle de conflit permanent : alors que les déplacements de population augmentent à cause du changement climatique, les tensions environnementales provoquées par ces mouvements exacerbent davantage les conflits géopolitiques, ce qui peut déclencher de nouvelles vagues migratoires. »
Pour atténuer ces impacts, la solution proposée par le CIFOR est de commencer la gestion durable des ressources forestières quand les réfugiés commencent à arriver, en l’adaptant aux autres utilisations du paysage et en synergie avec celles-ci.
« L’accès à des alternatives durables pour le bois-énergie et l’usage plus efficient de l’énergie de la biomasse, indispensable pour faire cuire les aliments, doivent être intégrés à la conception des interventions humanitaires, afin de réaliser les investissements nécessaires avant que les espaces boisés ne soient fortement dégradés », a conclu J. Schure.
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