« Les espaces qui pourraient servir à cultiver le palmier à huile sont ceux qui, pour le moment, stockent du carbone et abritent une abondante biodiversité », déclare Denis Sonwa, scientifique du CIFOR qui est en poste à Yaoundé au Cameroun. Venant de contribuer à un infobrief sur le sujet, il affirme que « si rien n’est fait, on peut s’attendre à voir la forêt disparaître au profit des plantations de palmiers ».
Mais le fait que le secteur de l’huile de palme commence tout juste à se développer est une chance à saisir, assure l’auteure principale de l’article, Elsa Ordway, qui travaille actuellement dans le cadre d’une bourse de recherche postdoctorale au Centre pour l’environnement de l’Université d’Harvard.
« Nous avons actuellement l’opportunité de mettre en place des politiques qui pourraient limiter la destruction de l’environnement que nous avons observée en Asie du Sud-Est à cause de la rapide progression des plantations de palmiers à huile. »
UNE SITUATION DIFFÉRENTE
Cependant, elle prévient que ces politiques ne seront sans doute pas les mêmes que celles qui ont, éventuellement dans une certaine mesure, réussi en Asie du Sud-Est (c’est-à-dire les programmes de certification, les tables rondes du secteur d’activité, et les engagements zéro déforestation).
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, E. Ordway a étudié le mode de production d’huile de palme dans le Sud-Ouest du Cameroun, principale région de production de ce pays.
Ses travaux lui ont permis de faire une découverte importante : la culture du palmier à huile s’étend et participe à la déforestation, même si son ampleur en termes de rythme et de superficies concernées n’est pas comparable à celle de l’Asie du Sud-Est.
Elle a aussi repéré par ailleurs un certain nombre de différences essentielles dans le mode de fonctionnement du secteur, dont il faudra tenir compte lors de la réflexion sur les mesures à prendre pour la durabilité.
Au Cameroun, les petits exploitants agricoles cultivent le palmier à huile sur une superficie environ deux fois plus étendue que celle qui appartient aux agro-industriels – cependant, à cause d’un rendement assez bas, ils ne produisent qu’un tiers de l’huile de palme du pays (« Petits exploitants » est un terme fourre-tout qui regroupe aussi bien les agriculteurs de subsistance cultivant moins d’un hectare que les grands exploitants agricoles indépendants).
Contrairement à la situation en Asie du Sud-Est, l’huile de palme africaine est surtout consommée localement. Le palmier à huile est une plante indigène et son huile n’est pas exportée. Elle est utilisée traditionnellement depuis longtemps comme ingrédient dans les ragoûts, pour frire les bananes plantain ou pour fabriquer du savon. « C’est une production agricole tellement importante sur le plan culturel », indique E. Ordway. Avant que le palmier ne devienne une culture de rapport, les habitants récoltaient les noix de palme dans la nature, ce qui contribuait à la sécurité alimentaire de la région.
Au cours de leur longue histoire, les fermiers africains ont mis au point divers procédés artisanaux pour extraire l’huile des noix, allant de méthodes manuelles à des dispositifs totalement mécanisés. « Cela fait que la filière d’approvisionnement est d’une incroyable complexité et très différente de celle de l’Asie », précise-t-elle.
Dans le bassin du Congo, la grande majorité des huileries sont des unités artisanales non réglementées dont la taille et la qualité de l’huile sont variables. Dans le Sud-Ouest du Cameroun par exemple, elles constituent 99 % des unités de transformation. De nombreuses huileries et de petits fournisseurs opèrent complètement indépendamment des grandes entreprises publiques et privées.
« L’huile de palme est produite, transformée et consommée localement, ou dans la région », signale Patrice Levang, coauteur, du CIFOR et de l’Institut de Recherche pour le Développement.
« Par conséquent, les actions habituelles des ONG environnementales pour sauver les forêts qui restent en Asie du Sud-Est ne seraient pas efficaces en Afrique. Une pression sur les multinationales avec l’aide des consommateurs européens et américains serait sans effet – et le boycott et la certification ne donneraient pas de résultat. »
D’après E. Ordway, les politiques environnementales devront plutôt cibler les divers types d’acteurs artisanaux travaillant dans le secteur d’activité, et peut-être par différents moyens.
En Afrique centrale, l'huile de palme est principalement produit à petite échelle.
M. Edliadi/CIFOR
LE PARADOXE DE L’HUILE DE PALME
Pour commencer, on peut aider les fermiers à intensifier leur production, afin de produire plus d’huile sur les surfaces qu’ils cultivent déjà.
Et là, le potentiel d’amélioration est grand, sur deux fronts, selon E. Ordway.
« La majorité de la production provient de toutes petites exploitations gérées par des agriculteurs qui ont rarement la possibilité d’accéder à des technologies ou à des informations. D’où des rendements très faibles comparativement à ce qu’ils pourraient être. »
Par ailleurs, les huileries artisanales sont parfois très peu performantes et l’amélioration de leur procédé pourrait faire beaucoup progresser le rendement lors de l’extraction de l’huile. « Si les fermiers pouvaient accéder à des financements et être aidés, ils auraient la possibilité de faire les transformations nécessaires », ajoute D. Sonwa.
Ordway émet cependant un bémol : « L’intensification n’est pas une garantie automatique de durabilité ». Elle explique en effet qu’il y a le risque d’aboutir au paradoxe de Jevons en vertu duquel l’augmentation de la rentabilité due à l’intensification peut au final susciter encore plus le développement des surfaces cultivées.
« En cas d’augmentation de la production, que ce soit sur les exploitations ou au stade de la transformation ou à ces deux niveaux, l’un des résultats positifs serait un meilleur revenu pour le fermier. Cependant, E. Ordway craint que celui-ci pense : « Je gagne maintenant plus d’argent à partir des mêmes surfaces cultivées ; alors, si je défriche d’autres terres, je pourrais gagner encore plus ».
Elle considère que l’intensification pourrait aider les pays du bassin du Congo à répondre à leurs objectifs de sécurité alimentaire et de réduction de la pauvreté, mais pour éviter que cela se produise aux dépens de la forêt et de la biodiversité, des politiques environnementales seront aussi indispensables.
« Il pourrait s’agir de réglementations relatives à l’occupation des sols ou d’autres tactiques, mais tout dépendra du contexte local et national », explique D. Sonwa.
« Notre rôle en tant que scientifiques est de décrire en détail la situation afin que les différentes parties prenantes puissent savoir quelles solutions elles ont à leur disposition. »
Patrice Levang a étudié le palmier à huile sur les deux continents. « Le développement de la culture du palmier à huile en Asie du Sud-Est est survenu au détriment des forêts primaires et secondaires, avec des conséquences désastreuses sur la biodiversité et l’habitat de la faune », dit-il.
« D’un autre côté, cela a encouragé un développement économique incroyable, et, que vous le vouliez ou non, les décideurs et les agriculteurs africains auront plus envie de favoriser le développement économique que la conservation de la biodiversité. »
« Tenter d’éviter le développement de la culture du palmier à huile en Afrique ? Le combat est perdu d’avance. La seule alternative valable est de rechercher des solutions « gagnant-gagnant » – ou au minimum des solutions où l’on perdrait le moins. »
Quelques signes révèlent que les dirigeants dans le bassin du Congo sont déjà attentifs aux compromis environnementaux qu’il faudra éventuellement consentir en contrepartie de l’augmentation des surfaces cultivées en palmier à huile – comme la Déclaration de Marrakech, dans laquelle sept États africains se sont engagés solennellement en faveur d’une production d’huile de palme durable et bas carbone.
Si l’on veut éviter de reproduire les erreurs du passé dans le domaine de l’huile de palme, il faudra veiller à ce que les engagements régionaux comme celui-ci soient tenus.
Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière Stanford Center on Food Security and the Environment (FSE) et à l’équipe du programme de stages du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) de Yaoundé au Cameroun. Les études scientifiques ont été entreprises au titre du programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (FTA) et dans le cadre de l’Étude comparative mondiale sur la REDD+ (GCS REDD+) financée par NORAD (Agence norvégienne de coopération pour le développement).
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