Cet article est le troisième d’une série en quatre parties sur une étude mondiale sur les paysages adaptatifs de palmiers à huile.
Cela pourrait être surprenant de voir des fonctionnaires du gouvernement camerounais examinant des billes de verre, des cartes de pointage et des piles d’argent au milieu d’une journée de travail régulière.
Mais le jeu, auquel ils jouent, a un objectif sérieux.
L’huile de palme a longtemps été utilisée localement dans la cuisine et les soins d’hygiène, et plus récemment comme matière première dans le biodiesel. À l’époque coloniale, l’huile et les graines figuraient parmi les produits d’exportation les plus précieux du pays.
Cependant, en raison de divers problèmes au niveau des chaînes d’approvisionnement, le Cameroun n’est plus autosuffisant et dépend de plus en plus des importations en provenance d’Indonésie, de Malaisie et du Gabon voisin.
« On peut voir des moulins industriels à l’arrêt et, en même temps, des tas de fruits frais qui pourrissent sur le bord des routes», explique Claude Garcia, scientifique de l’ETH Zurich / Cirad.
Le projet OPAL (Oil Palm Adaptive Landscape), qui a débuté en 2015 et qui s’étendra sur six ans, vise à améliorer la gestion des paysages de palmiers à huile au Cameroun, en Colombie et en Indonésie.
Le projet représente un partenariat entre l’université suisse ETH Zurich, le Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR) et un certain nombre d’ONG internationales et de partenaires nationaux – au Cameroun sont notamment inclus le Fonds mondial pour la nature Cameroun (WWF Cameroun) et le ministère de l’agriculture et du développement rural (MINADER).
Le projet OPAL au Cameroun, s’appuyant largement sur des recherches antérieures du CIFOR, s’est concentré sur la découverte des inefficiences dans la chaîne de valeur du palmier à huile. Le système est complexe et les décisions sont prises à tous les niveaux, avec des conséquences profondes et souvent imprévues pour d’autres personnes, l’économie et l’environnement.
« Si vous êtes un fonctionnaire et que vous êtes toujours au bureau », explique Micresse Kamto, l’un des facilitateurs du jeu basé au Cameroun, « il est vraiment difficile de comprendre les difficultés que rencontrent les petits exploitants sur le terrain ». Selon lui, c’est ainsi que même les politiques et les stratégies les plus intentionnées peuvent manquer leur cible.
Adoptant une approche de modélisation d’accompagnement, les ateliers OPAL aident les parties prenantes à explorer les futurs scénarios possibles pour la production d’huile de palme et à mieux comprendre les prises de décision et le comportement des différentes parties en utilisant des jeux de rôle qui permettent aux participants de se mettre les uns à la place des autres.
Les résultats sont impressionnants. « Après une partie, les personnes ayant 25 ans d’expérience sur le terrain s’arrêteront, vous regarderont et diront : « Maintenant, je vois les choses différemment » », explique C. Garcia.
« Et c’est très, très puissant, et je ne connais pas d’autre moyen de créer cela – aucune note de politique, aucune présentation PowerPoint, aucun rapport n’aura ce genre d’impact. C’est seulement une maquette, mais c’est beaucoup mieux que toute autre chose. »
Si vous êtes un fonctionnaire et que vous êtes toujours au bureau, il est vraiment difficile de comprendre les difficultés que rencontrent les petits exploitants sur le terrain
PÉNIBLES VÉRITÉS
Les premiers ateliers camerounais, en 2015, ont réuni des petits exploitants avec des représentants de l’industrie, du gouvernement et de la société civile pour développer le jeu avec l’équipe de recherche. Une fois le jeu lancé, ils passaient une journée entière à jouer différents scénarios pour l’expansion de l’huile de palme, utilisant le jeu comme un outil pour refléter les réalités locales.
Le rôle des petits exploitants a été attribué aux représentants qui ont ainsi expérimentés les défis de trésorerie et de pression du temps qui font partie de la vie quotidienne de ces personnes. L’impact a été immédiat : « Quand ils n’ont plus le temps de ramener leurs fruits au moulin et qu’ils pourrissent, certains d’entre eux se mettent vraiment en colère !», dit M. Kamto en riant.
Soudainement, les décisions des petits exploitants de vendre leurs fruits aux moulins artisanaux locaux, qui sont beaucoup moins efficaces mais offrent souvent de meilleurs prix et des paiements plus rapides que les plus grands industriels, ont pris du sens.
« Vous êtes dans une situation où vous êtes sous pression pour joindre les deux bouts à la fin du mois, l’usine industrielle est loin, vous devez donc organiser la livraison et ils ne vous payent qu’avec un contrat qui ne vous permet que d’obtenir votre argent que plus tard », explique C. Garcia.
Les petits exploitants ont également trouvé l’expérience utile, car en jouant leurs propres rôles dans le jeu, ils ont commencé à voir la valeur de certaines pratiques comme l’établissement de coopératives pour mettre en commun les coûts et le travail, dit M. Kamto.
« Habituellement, dans les localités, les petits exploitants travaillent seuls. Mais au cours du jeu, ils se sont rendus compte qu’il serait moins cher de se regrouper et de louer un gros camion pour transporter tous les fruits à la fois. Ensuite, une seule personne doit partir, et les autres peuvent rester à la maison et continuer à travailler. »
Ça a également fourni une opportunité rare pour les petits exploitants d’avoir un vrai dialogue avec les représentants des agro-industries, dit-elle. « Ils n’ont généralement pas la chance de le faire, car ils passent tout leur temps sur le terrain – et les agro-industries ne sont pas souvent très accessibles pour les petits exploitants non plus. »
En plus de fournir un moyen utile d’esquisser des scénarios futurs et d’examiner la situation dans son ensemble, le processus a incité les participants à modifier leur comportement dès le départ. Lorsque l’équipe de recherche est revenue sur certains sites trois mois après la session de jeu, ils ont constaté que les représentants de l’industrie convoquaient des réunions avec des petits exploitants regroupés en coopératives et changeaient les pratiques pour les adapter aux réalités locales.
« Nous voyons des paiements en espèces au lieu de billets à ordre, et de nouvelles formes de contrats sont en cours de négociation », explique C. Garcia. « C’est un changement, non ? C’est un changement qui se produit à travers le jeu. »
Au cours du jeu, ils se sont rendus compte qu'il serait moins cher de se regrouper et de louer un gros camion pour transporter tous les fruits à la fois