Quand il s’agit de prendre soin des forêts, ce n’est pas seulement une question de savoir ce que les forêts peuvent faire pour nous, ou de ce que nous pouvons faire pour les forêts. Plutôt, les deux côtés de l’équation doivent être considérés de façon égale. En l’honneur de la Journée Internationale des Forêts du 21 mars, Robert Nasi, directeur général du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), donne à Nouvelles des Forêts un bref résumé de ce qui se passe dans différentes forêts du monde, de l’importance des investissements privés dans la restauration et du rôle unique du CIFOR dans tout cela.
Aujourd’hui, nous marquons la Journée internationale des forêts. Quel est l’état des forêts du monde ?
Pas aussi bon que nous aimerions l’avoir. Si vous regardez les différents types de forêts en utilisant une classification assez générale, la forêt boréale a eu quelques problèmes à cause du changement climatique, d’infestations parasitaires et d’une grande quantité d’incendies. Et c’est la plus grande forêt sur terre, encore plus grande que la forêt tropicale. La situation est donc un peu compliquée, et avec le changement climatique et la fonte du pergélisol, cela peut être encore pire.
D’après divers rapports, la taille de la forêt tempérée a augmenté au cours des cinq dernières années, mais l’augmentation a lieu principalement dans deux plantations. Dans un sens, la forêt tempérée est probablement la forêt qui se porte le mieux pour le moment, sauf que nous avons des problèmes des parasites comme l’agrile du frêne qui anéantit des espèces entières en Europe.
Dans la forêt tropicale, qui est la principale mission du CIFOR, l’accent a été mis sur les forêts humides – ce que vous appelez la ‘haute forêt’ – et nous avons eu une certaine réduction de la déforestation, comme au Brésil. Bien que la déforestation soit encore trop élevée, elle a diminué dans les forêts tropicales. Mais nous avons toujours des problèmes liés à la dégradation. Je pense que 2017 a été la première année où il y avait plus d’émissions liées à la dégradation qu’à la déforestation, donc c’est important.
Un autre aspect de la forêt tropicale est la forêt sèche, et avec cela nous avons vraiment un problème. C’est surtout dans les tropiques, les plus dégradés, les plus menacés, et où la déforestation n’a pas cessé. La déforestation en Amazonie a été réduite, mais pas la déforestation dans la zone sèche du Cerrado ou dans d’autres savanes, et c’est vraiment un problème. Les terres arides, les forêts sèches sont généralement plus menacées et négligées dans le dialogue international comparé aux forêts humides. Donc, si vous voulez résumer, la situation des forêts dans le monde n’est pas aussi bonne qu’elle devrait l’être, étant donné l’importance des forêts.
Je pense que 2017 a été la première année où il y avait plus d'émissions liées à la dégradation qu'à la déforestation, donc c'est important.
Le thème de cette année est « Forêts et villes durables ». Quelles recherches effectue le CIFOR dans ce domaine ?
Nous ne travaillons pas vraiment dans les villes ou sur la foresterie urbaine, mais il y a eu une série de travaux assez intéressants au cours des dernières années sur l’importance des arbres en ce qui concerne pour l’atténuation des changements climatiques. Ce que fait le CIFOR en termes de villes, d’urbanisme et de foresterie, c’est explorer le lien entre le fait que nous nous dirigeons vers le monde urbain – plus de 60% de la population vit dans les villes – et le fait que ces villes créent un grand besoin pour des ressources venant de l’extérieur. C’est important, et nous devons continuer à comprendre le lien entre les villes et l’environnement naturel. Et c’est quelque chose qui apparaît de différentes façons : la migration des zones forestières vers les villes changeant ce qui se passe dans les forêts, ou la taille croissante des villes déboisant les terres forestières fertiles. Au CIFOR, nous travaillons sur ces questions, l’impact de l’urbanisation sur la forêt et l’impact des migrations vers les centres urbains sur les personnes laissées derrière.
En 2018, CIFOR célèbre son 25ème anniversaire. Il a développé une solide réputation en tant qu’institution de recherche chef de file pour les forêts tropicales. De quelle manière le CIFOR a-t-il fait avancer l’agenda des forêts du monde ?
La principale contribution du CIFOR à la foresterie et aux forêts a été de regarder au-delà des forêts et de faire comprendre aux acteurs et aux parties prenantes que de nombreux problèmes affectant les forêts se produisent en dehors des forêts et du secteur forestier classique. Ce travail que nous avons fait au-delà du secteur forestier classique – comme la gestion forestière ou la réduction de l’impact de l’exploitation forestière – distingue le CIFOR des autres organisations. Et cela, je pense, a été la réalisation majeure de tout le travail et de l’impact que nous avons eu au cours des 25 dernières années.
Nous avons réalisé quelques travaux dans le domaine de la foresterie classique, mais ce n’est pas là que nous avons eu le plus d’impact. Nous avons eu le plus d’impact en ce qui concerne le développement de la notion de foresterie en montrant comment la foresterie contribue au développement durable et comment beaucoup de choses qui se passent dans les forêts sont liées aux décisions prises en dehors du secteur forestier.
Quelles sont les priorités de recherche du CIFOR à venir ?
Nous essayons de faire reconnaître le rôle des forêts pour la société dans son ensemble et pas seulement pour la production de bois. Cela veut dire comprendre ce qui arrive aux forêts à cause de facteurs externes tels que la migration démographique, comprendre le rôle des forêts dans l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques et aussi l’impact que le changement climatique aura sur les forêts.
En raison de l’agenda international, il y a beaucoup de choses sur la dégradation et la restauration. C’est quelque chose dans lequel nous allons fournir des efforts significatifs, en particulier en passant des engagements à l’action. Il y a beaucoup d’engagements : restaurer une telle quantité de forêt, redonner une telle quantité de forêt aux populations locales … Mais nous devons aller au-delà et agir, et ce que le CIFOR peut faire c’est de fournir des preuves et un appui scientifique pour passer de l’engagement à l’action.
Ce que le CIFOR peut faire c’est de fournir des preuves et un appui scientifique pour passer de l'engagement à l'action.
Et en passant de l’engagement à l’action, la finance est l’une des pièces clés qui manquent parfois à la restauration des paysages forestiers. De quelle manière le secteur privé peut-il faire face à ces engagements et actions ?
La question du financement des forêts a été récurrente et épineuse pour aussi longtemps que le CIFOR a existé et même avant. Ce n’est pas simplement lié à la question de la restauration. Il est clair que, compte tenu de tous les engagements en termes de restauration, il n’y a pas assez d’argent public pour les atteindre. Nous aimerions donc attirer l’investissement du secteur privé dans la restauration, et pour que le secteur privé investisse dans la restauration, nous devons comprendre et prendre en compte les aspects économiques de la restauration.
Ainsi, il ne s’agit pas simplement de restaurer les forêts pour qu’elles soient comme avant d’être dégradées (ceci étant parfois possible, parfois non). Il s’agit de considérer la restauration comme quelque chose qui génère de la valeur économique, et cette valeur peut à la fois intéresser un investisseur et convaincre les gens que la forêt ne devrait pas être dégradée à nouveau. Nous ne pouvons attirer le secteur privé que si nous pouvons montrer que l’investissement a du sens. Autrement, [le reboisement proviendra de] subventions de l’argent public, et il n’y a pas assez d’argent public.
Dans de nombreux cas, il y aura des forêts restaurées uniquement pour la protection, mais je ne pense pas que ce sera la majorité des forêts restaurées. Beaucoup de forêts et de terres qui doivent être restaurées doivent être restaurées pour des activités économiques, afin que nous ne retournions pas dans les forêts primaires les dégrader.
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Nous connaissons donc les mots « adopter une approche plus globale» en ce qui concerne la façon dont nous considérons les forêts. En ce sens, le CIFOR a été un pionnier en reliant les forêts à l’agenda mondial de développement ainsi qu’à l’approche de paysage, et l’un des projets clés du CIFOR est le Global Landscapes Forum (GLF). Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur GLF?
Le GLF est plus qu’un projet. C’est vraiment une aspiration à créer une plateforme où toutes les parties prenantes intéressées par les forêts et la foresterie peuvent venir présenter leurs problèmes, discuter et chercher des solutions. Ce qui rend la nature du GLF unique, c’est que ce n’est pas seulement lié à la foresterie. Nous considérons également d’autres types d’utilisation des terres. Ce n’est pas seulement pour les organismes de recherche forestière, pas seulement pour les donateurs publics, pas seulement pour le secteur privé. C’est une plateforme qui essaie de rassembler tout le monde autour de la table et de créer un mouvement, afin que nos ressources naturelles soient mieux gérées et de façon durable pour les moyens de subsistance des populations, la biodiversité et les services écosystémiques. C’est vraiment ce qui différencie le GLF des autres initiatives plus thématiques. C’est l’idée que nous allons créer un mouvement. Nous allons créer une communauté de personnes intéressées à gérer durablement le lieu où elles vivent : le paysage.
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