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Décoder le marché du bois domestique au Cameroun

Derrière un secteur lucratif qui opère dans l’ombre
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Un vendeur de bois à Yaoundé, Cameroun. Photo Ollivier Girard / CIFOR

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Cameroun – Pays verdoyant, le Cameroun peut être fier de ses 20 millions d’hectares de forêt, qui couvrent près de la moitié de son territoire. En Afrique, c’est le plus important exportateur de bois tropical vers l’Union européenne, dont la majorité représente des bois de sciage destinés à l’Italie et à l’Espagne.

Si sa réputation n’est plus à faire comme exportateur international de bois, son marché et son commerce du bois sur le plan national n’ont été documentés que récemment.

Les politiques forestières camerounaises semblent ignorer leur existence, car aucune donnée officielle n’est recueillie pour évaluer les impacts économiques, environnementaux et sociaux de ce secteur, ce qui fait que l’État est le grand perdant de la croissance de ce secteur informel.

C’est plutôt paradoxal étant donné les stupéfiants volumes qui s’échangent sur ce marché ainsi que les recettes qui en découlent. Les recherches conduites par le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) indiquent que si l’on prend en compte la production artisanale de sciages vendus sur le marché domestique dans les statistiques nationales, la production nationale totale atteindrait 4,3 millions de m3 par an, c’est-à-dire presque le double des chiffres officiels publiés par le gouvernement.

Dans ce pays, le sciage artisanal est une activité vitale pour des dizaines de milliers de Camerounais, urbains comme ruraux. Ces dernières années, ce secteur est devenu aussi important que celui du forêt-bois industriel, en créant 45 000 emplois directs et en dégageant plus de 32 milliards FCFA.

Alors pourquoi ce secteur se maintient-il dans l’ombre ?

   Les opérations domestiques à petite échelle de sciage à la tronçonneuse fournissent plus de 45 000 emplois directs au Cameroun. Photo M. Edliadi/ CIFOR

L’importance des définitions: comparons ‘informel’ et ‘illégal’

Qu’entendons-nous exactement par secteur ‘domestique’ du bois? Traditionnellement, cette dénomination se rapporte à toute activité d’abattage qui ne relève pas du secteur industriel du bois visant l’exportation. Les acteurs sont en général de petits agriculteurs qui utilisent des outils artisanaux comme des haches ou des tronçonneuses pour couper le bois dans les forêts qui bordent les routes. Toute la chaîne de valeur est alors caractérisée par des pratiques informelles, de la coupe des arbres à la vente des sciages.

Le problème est là. Il n’existe aucune loi qui régisse ces pratiques informelles.

Considérer comme illégaux ces exploitants forestiers reviendrait à dire qu’ils contreviennent sciemment à la loi. Or, aucune loi n’existe en la matière. Bien que les méthodes informelles ne respectent pas toujours la réglementation nationale, elles ne violent pas non plus systématiquement la loi. Pour cette raison, les chercheurs préfèrent employer le terme d’‘informel’ plutôt que celui d’ ‘illégal’, car ils se gardent de pointer du doigt les petits exploitants qui n’ont pas d’intention criminelle.

   Un petit exploitant récolte du bois. Photo: M. Edliadi/ CIFOR Photo: M. Edliadi/ CIFOR
   Sciage pour la production de bois. Photo M. Edliadi/ CIFOR Photo M. Edliadi/ CIFOR
   Un artisan bûcheron transporte une planche de bois fraîchement sciée. Photo: M. Edliadi/ CIFOR Photo: M. Edliadi/ CIFOR

Une situation paradoxale

En 1994, le Cameroun a adopté une loi forestière qui concernait surtout le secteur forestier industriel lié à l’exportation. Le bois produit par l’exploitation artisanale pour le marché domestique n’a pas été pris en compte. Ce type de production est toujours absent des statistiques officielles.Comme si cela ne suffisait pas, les permis de coupe autorisés pour les petits exploitants ont été suspendus entre 1999 et 2006. Ceci a eu pour conséquence de pousser les petits scieurs à travailler hors du cadre légal, pour essayer de répondre à une demande croissante dans le pays, qui n’est pas satisfaite par le secteur industriel à ce jour.

C’est une situation paradoxale. Les scieurs artisanaux n’existent pas officiellement dans les registres, tout en étant considérés comme des criminels aux yeux de la loi.

   Vendeurs de bois sur le marché du bois à Douala, au Cameroun. Photo: Ollivier Girard/CIFOR Photo: Ollivier Girard/CIFOR

Une corruption endémique

Le fait de considérer les usagers des forêts locales comme des criminels est une excuse pour des milliers de fonctionnaires, dont policiers et militaires, qui collectent des millions en « prélèvements » auprès des petits exploitants.

La nature informelle du marché domestique du bois a en effet créé un système de paiement terrifiant, organisé par des agents de l’État pour leur profit personnel, et auquel les usagers ne peuvent se soustraire,.

« Ils abusent », déclare Mefor Chrisantus, un petit exploitant qui vend du bois sur la place du marché de Douala . « À chaque étape de la chaîne de valeur, vous êtes confronté à la corruption. Les fonctionnaires vous disent que votre bois n’est pas légal et exigent de l’argent. Que puis-je faire ? Je suis sans défense. Aucune loi ne me protège. »

D’après les recherches du CIFOR, il est estimé que les fonctionnaires camerounais corrompus collectent jusqu’à 11 millions USD par an en paiements informels.

 

   Les volumes de bois échangés sur le marché domestique sont impressionants: près de 4,3 millions de mètres cubes par an. Photo: Ollivier Girard/CIFOR Photo: Ollivier Girard/CIFOR
   Le transport du bois est souvent hérissé de difficultés. Les fonctionnaires corrompus surgissent aux «points de contrôle» pour exiger des paiements sur les routes. Photo: Ollivier Girard/CIFOR Photo: Ollivier Girard/CIFOR
   Les artisans bûcherons attendent avec impatience le jour où ils seront finalement intégrés dans le cadre légal camerounais. Photo: Ollivier Girard/CIFOR Photo: Ollivier Girard/CIFOR

La plupart des scieurs artisanaux souhaitent payer des taxes à l’État parce qu’ils rentreraient alors dans un cadre légal. Mais ce ne sera pas facile d’y parvenir, car il faudra remporter la bataille contre certaines personnes qui ont beaucoup à perdre par la formalisation de ce secteur.

« Mon plus grand regret est que tout l’argent va dans la poche des gros bonnets alors que l’État reste pauvre »,  poursuit Chrisantus.

« D’après nos travaux, nous estimons que la plupart des petits exploitants n’auraient pas de problème pour payer des taxes dans un cadre légal », précise Paolo Cerutti, scientifique au CIFOR en poste au Cameroun et co-auteur de l’étude. « Mais c’est une tâche herculéenne parce que des milliers et des milliers de personnes sont impliquées. »

« Nous sommes disposés à payer une taxe à l’État pour qu’il protège notre secteur d’activité »,  indique Effa Antoine, Président national d’ANCOVA, association établie en 2012 afin de regrouper l’ensemble des vendeurs de bois du Cameroun dans l’optique d’améliorer leurs conditions de travail. « Nous ne sommes pas des criminels. Nous voulons contribuer au bien de l’État. »

   Vue aérienne du marché prospère du bois domestique de Douala. Photo par: Ollivier Girard / CIFOR

La route sera longue

Depuis le début de l’année 2008, les scientifiques du CIFOR étudient le secteur domestique du bois au Cameroun, ainsi qu’au Gabon (Libreville), en République du Congo (Brazzaville, Pointe-Noire), en République démocratique du Congo (Kinshasa) et en République centrafricaine (Bangui) en Afrique, mais aussi en Équateur et au Pérou en Amérique latine et en Indonésie en Asie du Sud-Est.

Forts de leurs travaux de recherche, P. Cerutti et de ses collègues s’intéressent maintenant au renforcement des capacités et à la mobilisation. Depuis 2015, ils ont travaillé en étroite collaboration avec ANCOVA pour faciliter le dialogue entre les petits scieurs et l’État.

En vertu du récent plan d’action FLEGT (Accord sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux), le Cameroun a signé un accord de partenariat volontaire (APV) avec l’UE. Cela devrait se traduire par l’adoption d’un système de traçabilité pour garantir la légalité de tous les produits issus des opérations forestières, qu’ils soient commercialisés sur le marché international ou le marché domestique.

C’est une première étape positive en vue de faire sortir de l’ombre des dizaines de milliers de petits exploitants.

   Planches de bois en vente au marché domestique du bois de Douala. Photo : Ollivier Girard/CIFOR
   Un scieur artisanal attend les clients au marché domestique du bois de Douala. Photo : Ollivier Girard/CIFOR
   La route sera longue avant de parvenir à la légalisation du marché domestique du bois du Cameroun. Photo : Ollivier Girard/CIFOR

*Avec un rapport complémentaire de Fai Collins

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