Au cours des dernières années, les produits agricoles sont devenus de plus en plus populaires auprès des investisseurs qui cherchent à se diversifier en investissant dans les marchés émergents.
L’huile de palme, le soja, le maïs et d’autres cultures « flexibles » (des cultures pouvant être utilisées à des fins multiples, y compris la nourriture) sont particulièrement prisés.
Néanmoins, que savent les investisseurs et les gestionnaires de fonds de la destination que prend leur argent ? Qu’ont-ils précisément besoin de savoir ? Les réponses à ces questions changent rapidement.
Depuis toujours, l’évaluation du risque par lieu fait partie de la procédure de vérification préalable.
Toutefois, puisque la déforestation, l’accaparement des terres et les événements tels que les incendies de forêt et les nuages de fumée font de plus en plus partie des débats publics, les spécificités des risques par rapport aux lieux sont davantage définies.
Les défenseurs des petits agriculteurs et des forêts, soutenus par la diffusion de données accessibles à tous et des outils de cartographie en ligne, font de plus en plus valoir que les investisseurs devraient prendre les risques inhérents aux lieux beaucoup plus au sérieux.
Mais le sujet est délicat.
Bien que la déforestation et les conflits fonciers aient une longue histoire dans la production de produits de base, l’opacité des réseaux de production et de commerce empêche en général les investisseurs d’insister pour savoir où va leur argent. Souvent, les bailleurs de fonds ne posent pas de questions concrètes sur les impacts locaux des entreprises pour des raisons économiques. Cela commence à changer.
Comme le suggèrent les récents événements dans les industries du bois, du caoutchouc, du sucre et d’autres secteurs, les entreprises et leurs bailleurs de fonds perçoivent de plus en plus les impacts locaux à travers du cadre posé par le risque financier spécifique au lieu.
Le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) mène une enquête globale sur les choix économiques et les compromis relatifs à la REDD+ en Asie. Dans ce cadre, j’ai étudié récemment dans quelle mesure il est possible d’utiliser les données disponibles publiquement pour suivre les investissements dédiés à des endroits spécifiques où l’on produit des matières premières clés en Asie du Sud-Est.
Les résultats montrent, c’était sûrement prévisible, qu’il est très difficile actuellement relier les données spatiales et financières.
Toutefois, les résultats mettent également en évidence un certain nombre de possibilités et suggèrent que, même dans le contexte actuel, suivre le circuit de l’argent n’est pas toujours aussi difficile que cela puisse paraître.
LE BOUT PLUS TRANSPARENT DU SPECTRE
L’étude commence par un examen de la frontière des plantations de palmiers à huile sur les îles périphériques de l’Indonésie.
Paysages clés pour le développement de ce qu’on appelle « l’économie verte » de l’Indonésie, ces îles périphériques ont longtemps été au cœur de l’économie indonésienne. Au cours des dernières années, le secteur de l’huile de palme a permis aux gouvernements locaux de maintenir un degré d’autonomie important en matière de développement économique. Ainsi, les concessions de palmiers à huile sont devenues un enjeu clé de gouvernance.
De nombreuses zones de concession de palmiers à huile contiennent de vastes zones de terres revendiquées par les populations locales ainsi que des forêts d’une grande valeur.
Rien qu’au Kalimantan, le rapport entre les concessions de palmiers à huile et les plantations de palmier à huile est à peu près de 10 à 1 (voir l’étude, pages 8-9). Par conséquent, les décisions du secteur privé sur le développement de ces zones ont des impacts majeurs sur les plans économique, environnemental et politique.
Le secteur privé peut être ventilé et spatialisé en recoupant les noms des sociétés qui détiennent les concessions foncières de l’État avec les noms des sociétés qui divulguent des informations à leurs bailleurs de fonds.
Cependant, comme l’indique la première carte ci-dessous, le secteur est très peu transparent : sur les 1 220 concessions de palmiers à huile qui apparaissent dans les données actuellement disponibles pour le Kalimantan, seules 11 sont détenues par des entreprises qui figurent dans les recherches que nous avons commandité sur l’investissement des entreprises cotées en bourse.
Ceci montre qu’il est difficile de « suivre l’argent » vers certains endroits, en tout cas sans informations supplémentaires.
L’image relativement opaque présentée ci-dessus change cependant avec un peu de recherches supplémentaires.
Dans le cadre d’un effort plus vaste visant à rendre plus transparents les secteurs des produits de base liés à la déforestation, l’équipe Global Forest Watch Commodities du World Resources Institute a commencé à regrouper les entreprises détenant des concessions en fonction de leurs propriétaires. Le résultat, figurant sur la carte suivante, permet un degré nettement plus élevé de recoupement des données : 152 sur 1 220 concessions au Kalimantan et 179 sur 1 845 concessions à l’échelle nationale.
Cela suggère qu’il serait déjà possible, à une échelle significative, de « suivre l’argent » des bailleurs de fonds d’entreprises publiques vers les endroits spécifiques des concessions.
Avec davantage de recherches, ou bien sûr avec des divulgations réglementaires sur les relations des entreprises, on pourrait aller beaucoup plus loin.
PAYSAGES DIFFICILES : CAS À SURVEILLER
Certains paysages, tels que la région du bas Mékong, présentent des défis supplémentaires quant à la transparence géographique des investissements. Les problèmes sont liés à la qualité des données et aux biais linguistiques des sources de données.
Bien qu’ils imposent des limites à court terme, ces défis constituent également des domaines importants d’engagement politique et de recherche collaborative.
Dans la région du bas Mékong, le problème est que seul le Cambodge possède un inventaire de ses concessions contenant le type d’information ci-dessus : des polygones avec les noms des sociétés.
Au Laos, des données localisées des concessions foncières sont disponibles, mais l’absence des noms des sociétés exclut la possibilité de relier les concessions particulières aux entreprises sans recherches supplémentaires (voir la carte ci-dessous).
En outre, les données financières disponibles ne sont souvent pas différenciées par pays, ce qui pose un problème lorsque les entreprises (comme de nombreuses entreprises vietnamiennes de caoutchouc) travaillent au Cambodge, au Laos et au Vietnam simultanément.
Au Myanmar, les données sont encore plus éparses. Les statistiques agrégées indiquent de vastes attributions de terres étatiques à des investissements consacrés à l’agro-industrie, mais contrairement au Cambodge et au Laos, le Myanmar ne dispose actuellement pas d’inventaire sur les concessions nationales.
Les données sur l’investissement soutenu par l’État chinois dans les entreprises agricoles des régions frontalières et leur localisation se sont révélées étonnamment transparentes.
Bien que le degré de transparence soit faible – inférieur au Cambodge ou même au Laos et beaucoup moins qu’en Indonésie – et bien que des recherches indépendantes indiquent que les conséquences de ces investissements ont fait plus de mal que de bien, le fait que le gouvernement chinois voie cet investissement comme digne d’efforts de transparence de la part de l’État offre une ouverture pour le dialogue et la collaboration.
À plus court terme, certains cas récents sont potentiellement des indicateurs de la tendance de l’avenir des risques spécifiques aux lieux, à la fois dans la région du Mékong et au-delà.
La campagne de Global Witness contre deux entreprises vietnamiennes de caoutchouc a souligné l’implication des bailleurs de fonds européens dans leurs chaînes de production. Les discussions avec au moins une de ces entreprises ont abouti l’an dernier à la création d’un mécanisme d’atténuation des conflits fonciers pour les communautés locales.
Parallèlement, en 2013, l’annonce de Coca Cola d’appliquer une tolérance zéro face à l’accaparement des terres a placé la transparence spatiale, telle que décrite ci-dessus, au premier plan de ses préoccupations en matière de chaîne d’approvisionnement.
La Thaïlande figure sur la liste initiale des pays audités par Coca Cola. Les questions sur la transparence spatiale, telles qu’évoquées ci-dessus, pourraient continuer à occuper le débat public.
Michael Dwyer est chercheur postdoctoral au CIFOR, basé au Laos. Il peut être contacté à l’adresse m.dwyer@cgiar.org
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