Ibu Lila monte et descend les collines entre les rangées de palmiers à huile, en transportant 18 kilogrammes d’engrais dans un panier suspendu à son épaule.
Si elle atteint son quota, 350 kg d’engrais à répandre sur 175 palmiers, elle sera payé 35 000 roupies (2,71 USD) pour la journée.
« Parfois, quand je porte cet engrais je sens que je suis à bout de mes forces, je suis tellement fatiguée », dit Lila (dont le nom a été changé pour protéger son identité).
« L’odeur me donne mal à la tête, le produit fait gonfler mes yeux et ils pleurent jusqu’à la nuit. »
Le travail est éreintant, mais Lila pense ne pas avoir d’autre choix. Son travail à la plantation est sa seule chance de gagner suffisamment d’argent pour permettre à sa fille d’aller à l’école secondaire.
Ibu Lila vit dans une enclave minuscule entre les plantations de palmiers à huile à Meliau en Kalimantan occidental en Indonésie, sur des terres ayant été converties à grande échelle en plantations de palmiers à huile depuis 1980.
Sa destinée avec l’huile de palme n’est pas unique dans la région. Des familles de petits exploitants indépendants cultivent également la plante. Si ces familles ont suffisamment de terres et si elles diversifient leur exploitation en produisant du riz et du caoutchouc, huile de palme peut les aider à prospérer.
Une nouvelle étude du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) enquête sur les impacts sociaux du palmier à huile à Meliau, dans le cadre d’une initiative plus globale du CIFOR visant à comprendre les dimensions sexospécifiques de l’expansion du palmier à huile au Kalimantan, sur l’île de Bornéo.
Pendant que les promoteurs de l’industrie misent sur les emplois et les moyens de subsistance des petits exploitants et que les ONG mettent en garde contre la dégradation généralisée de l’environnement, il y a un point de vue manquant selon la scientifique du CIFOR, Bimbika Sijapati Basnett, ayant assisté à superviser ce travail.
« Comprendre qui gagne, qui perd et comment cela évolue au fil du temps, cela aide les gouvernements à analyser les interventions et les politiques de manière beaucoup plus nuancée », déclare-t-elle.
Dans la majeure partie de l’Indonésie, la fréquence des partenariats entre mari et femme est extrêmement élevée. Si les couples ont suffisamment accès à cette culture très lucrative et qu’on les laisse gérer le tout, ils s’en sortent très bien
Selon l’auteur du rapport, l’anthropologue Tania Li de l’Université de Toronto, l’étude révèle que les bénéfices sociaux et économiques de la culture sont réels, mais ils sont limités à certains groupes sociaux.
« Il y a des gagnants et des perdants, mais ce n’est pas aléatoire », dit-elle. « Nous pouvons identifier les processus plaçant les personnes d’un côté ou de l’autre de ce spectre, tout en identifiant qui sont ces personnes. »
DEUX TYPES D’AGRICULTEURS
La moitié de la superficie totale des plantations de palmiers à huile en Indonésie est cultivée par des petits exploitants.
L’étude souligne que la culture offre une certaine prospérité et autonomie aux femmes et aux hommes, sous conditions qu’ils détiennent suffisamment de terres ainsi que le soutien du gouvernement.
« Dans la majeure partie de l’Indonésie, la fréquence des partenariats entre mari et femme est extrêmement élevée. Ils travaillent ensemble pour soutenir leur ménage. Si les couples obtiennent accès à une quantité suffisante de cette culture très lucrative et s’ils ont la possibilité de la gérer par eux-mêmes, ils s’en sortent très bien », affirme Mme Li.
Cependant, ce n’est pas tous les petits exploitants qui en ont suffisamment.
Il existe deux types d’agriculteurs au Kalimantan : les agriculteurs indépendants et les petits exploitants liés par contrat à une grande entreprise gérant une plantation majeure et un moulin.
A Meliau, de nombreuses personnes faisant partie de la seconde catégorie sont des migrants venus d’ailleurs en Indonésie arrivés dans les années 1990. Les entreprises privées ont donné à chaque couple deux hectares de terre en les obligeant à planter des palmiers à huile.
Vingt ans après le lancement du programme, la grande majorité des migrants ne possédait toujours qu’un seul lopin de terre et parviennait tout juste à subsister.
« Une parcelle de deux hectares de palmier à huile est à peine suffisante pour vivre et ils ont du mal à la garder », déclare Mme Li. « Si elle est votre seul actif et que vous peinez à en vivre, lors d’une crise, telle qu’une maladie, vous n’avez donc pas d’autre choix que d’hypothéquer ou de vendre votre terre. »
Les petits exploitants indépendants pouvant ajouter aux palmiers à huile un système de polyculture de caoutchouc et de riz ont beaucoup plus de sécurité, déclare-t-elle.
« Ce que je crains est que les personnes possédant qu’un seul terrain de palmier à huile vont perdre leurs terres lors de la prochaine chute des prix de l’huile de palme », dit-elle.
« Ce modèle place les gens dans une situation très précaire. »
LES FEMMES SANS TERRES SONT LES PLUS DUREMENT TOUCHÉES
Et ce système rend certains travailleurs encore davantage vulnérables, explique Mme Li.
Au début des années 1980, lorsque la première compagnie d’huile de palme gérée par l’État s’est installée à Meliau, des couples mariés sont venus de Java en suivant des promesses d’un travail permanent, d’un bon salaire, d’un logement gratuit, de rations alimentaires et de soins médicaux.
Une parcelle de deux hectares de palmier à huile […] est votre seul bien et vous peinez à en vivre. Alors lors d’une crise, telle qu’une maladie, vous n’avez pas d’autre choix que d’hypothéquer ou de vendre votre terre
Ces circonstances, accessibles à seulement certains travailleurs, ont persisté pendant une génération. Toutefois, selon Mme Li, elles se sont dégradées. Les entreprises ont réduit le nombre d’emplois permanents et comptent davantage sur les travailleurs « occasionnels ». Ces derniers n’ont pas d’autre alternative que d’accepter les conditions dangereuses et précaires.
Mme Li estime que cette tendance n’est pas spécifique à Meliau, mais est une conséquence inévitable du système des plantations.
« Au fil du temps, alors que les terres deviennent rares et que les paysages se remplissent, le travail devient plus désespérant », explique-t-elle. « Cela ne concerne pas seulement les plantations délinquantes ou les entreprises peu scrupuleuses -le développement des plantations va intrinsèquement produire ces types de problèmes, peu importe les vertus de la compagnie. Une entreprise doit être rentable et une façon d’y parvenir est de réduire le coût du travail dans la mesure du possible ».
Cette dynamique affecte différemment les personnes selon leur sexe et leur origine ethnique.
Alors que les entreprises de la zone d’étude recrutaient précédemment des couples, elles préfèrent actuellement embaucher des hommes immigrés pour récolter et des femmes sans terre issues des ethnies locales (Dayak ou Malay) pour les travaux de maintenance, déclare Mme Li.
Les femmes locales et sans terre, telles que Ibu Lila, risquent de souffrir le plus de ce système, selon Mme Li.
Les travaux de maintenance qu’effectuent les femmes sont perçus comme non qualifiés par rapport au rôle de récolte plus physique des hommes. Elles sont moins bien payées et elles sont remplaçables.
« Ces enclaves dans les petits coins et recoins autour des plantations sont remplies de femmes qui ont désespérément besoin de travail », déclare Mme Li. « Cela signifie qu’elles peuvent être recrutées pour les travaux des plantations sous à peu près tous les conditions. Cela rend la situation des femmes sans terre particulièrement difficile. »
IL EST TEMPS DE RÉFLÉCHIR EN TERMES DE GENRE
Madame Li estime que le débat sur l’avenir de l’huile de palme devrait prendre en compte les impacts sociaux du système des plantations.
« Il n’y a aucune raison technique pour que les palmiers à huile seraient plantés dans des plantations », affirme-t-elle.
L’égalité des sexes propose cette perspective très intéressante pour examiner la question de la dépossession ... ce sont de nouveaux enjeux très importants
« Les petits exploitants veulent faire le travail et ils le font très efficacement si on leur donne des plants de bonne qualité et l’accès à une route et un moulin. »
En attendant, afin de réduire les dommages sociaux, des règlements plus stricts sont nécessaires pour protéger les travailleurs, prône-t-elle. Mme Li recommande également que le gouvernement révise les régimes actuels de soutien aux petits exploitants et conçoive de nouveaux programmes dans le but de soutenir les petits exploitants indépendants.
La littérature sur l’huile de palme en Indonésie est dominée par des études d’impacts environnementaux, affirme Mme Basnett du CIFOR.
« Il ne faut pas seulement se focaliser sur la déforestation, mais également sur ce qui arrive aux Hommes. Parallèlement, il convient d’examiner les compromis possibles entre les droits, l’efficacité économique et les gains environnementaux », déclare-t-elle.
« L’égalité des sexes propose cette perspective très intéressante pour examiner la question de la dépossession … ce sont de nouveaux enjeux très importants. »
Pour plus d’informations sur le travail du CIFOR concernant l’égalité des sexes et l’huile de palme veuillez contacter Bimbika Sijapati Basnett à l’adresse B.Basnet@cgiar.org
Les recherches du CIFOR sur l’huile de palme et l’égalité des sexes en Kalimantan occidental s’inscrivent dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
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