Analyse

La place du genre dans le développement durable, parlons-en

L'égalité des genres a un impact très positif dans les économies en développement.
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L’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes réapparaissent dans l’agenda mondial à l’occasion des discussions sur le développement post-2015. Le récent rapport des Nations Unies concernant les enquêtes sur le rôle des femmes dans le développement recommande de faire le lien entre l’égalité des sexes et le développement durable, puisque « les causes et les facteurs sous-jacents de la non-durabilité et de l’inégalité des sexes sont profondément liés ».

« Les connaissances, organismes et actions collectives des femmes sont cruciaux pour trouver, démontrer et établir des voies plus durables sur les plans économiques, sociaux et écologiques. Le but est de gérer les paysages locaux ; de s’adapter au changement climatique ; de produire et d’accéder à la nourriture ; d’assurer de manière durable l’accès à l’eau, l’assainissement et l’énergie », note aussi le rapport. Même si les forêts et les arbres n’occupent qu’une petite place dans le rapport, beaucoup de ces thèmes coïncident avec les recherches du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR).

L'enquête mondiale souligne l’importance de mettre l'égalité des sexes au centre de la recherche pour un développement durable

Kiran Asher

Dans cet article, les chercheurs du CIFOR Kiran Asher et Bimbika Sijapati Basnett discutent des messages clés du rapport, ainsi que de la pertinence de son cadre normatif et analytique pour des organisations, telles que le CIFOR, qui tentent d’intégrer le genre dans leurs recherches et propositions d’actions.

Seorang perempuan sedang membuat tikar bemban di Kalimantan Barat. Kaum perempuan dan jender telah menjadi bagian dari agenda pembangunan untuk selama hampir setengah abad, dan mencakup perdebatan tentang apakah hak-hak perempuan paling baik dijamin atas dasar efisiensi ekonomi atau kesetaraan. Ramadian Bachtiar/foto CIFOR

Une femme tisse un tapis bemban au Kalimantan Ouest, en Indonésie. Femmes et égalité des sexes figurent sur l’agenda du développement depuis près d’un demi-siècle. Ramadian Bachtiar/CIFOR

Mme Sijapati Basnett : Quels sont les messages clés du rapport d’enquête et que faut-il en retenir ?

Mme Asher : L’enquête mondiale souligne l’importance de mettre l’égalité des sexes au centre de la recherche pour un développement durable. Cette enquête a trois messages clés :

  • Le concept du développement durable et ses actions doivent contenir un engagement explicite vis-à-vis de l’égalité des sexes, de l’autonomisation des femmes et des droits des femmes.
  • Il existe des synergies et des compromis en ce qui concerne les liens entre l’égalité des sexes et le développement durable, les deux devant être reconnus et abordés.
  • La participation des femmes ainsi que celle des organisations de la société civile doit être activement encouragée pour répondre de façon créative, tout en négociant des compromis et des dilemmes politiques.

Ce qui est remarquable au sujet de ces messages, c’est qu’ils sont sans ambivalence sur le fait de mettre l’égalité des sexes et le bien-être des femmes au cœur de l’agenda mondial du développement durable et du changement climatique.

En outre, le rapport est positif, mais pas optimiste, sur le lien entre l’égalité des sexes et le développement durable. Il note explicitement que « même si la participation des femmes est essentielle, leur implication dans les interventions politiques visant la durabilité ne signifie pas automatiquement une plus grande égalité entre les sexes, en particulier lorsque les fondations structurelles de l’inégalité entre les sexes demeurent inchangées. »

En effet, on continue à évaluer les nombreux efforts en cours pour parvenir à un développement durable et répondre aux changements climatiques par rapport à la croissance économique, aux revenus et aux émissions. Par conséquent, on a relégué à la périphérie les questions de déséquilibre du pouvoir, d’inégalité et d’exclusion. Ces questions sont fondamentalement liées aux sexes et définissent qui gagne et qui perd lors des interventions. Le rapport reconnaît que les négociations politiques ne sont pas neutres face au pouvoir et fait appel à un engagement actif avec les femmes et les groupes de la société civile.

Mme Sijapati Basnett : Dans le rapport, quelle approche est envisagée pour relier égalité des sexes et développement durable ? En quoi est-elle similaire ou différente des autres façons de conceptualiser et de mettre en œuvre le développement durable ?

Mme Asher : Le rapport adopte une approche basée sur les droits à l’égalité des sexes et au développement durable, approche basée sur le prémisse qu’assurer le bien-être de toute l’humanité est un impératif moral et éthique. Un tel cadre diffère de l’argument instrumentaliste affirmant que l’autonomisation des femmes (ou la mise en valeur de quelque chose) mène à de meilleurs résultats économiques, environnementaux ou sociaux. Un argument fondé sur les droits n’ignore pas les contributions majeures des femmes à la promotion du développement et à la préservation. Toutefois, il ne leur accorde pas de droits en fonction de leur efficacité à y contribuer.

Femmes et égalité des sexes sont sur l’agenda du développement depuis près d’un demi-siècle. Les débats portent sur la question de savoir s’ils doivent être basés sur l’efficacité économique ou l’équité. Le rapport aborde les deux sujets et « identifie trois critères pour évaluer si les politiques, les programmes et les mesures entrepris au nom de la durabilité sont susceptibles d’atteindre l’égalité des sexes et d’assurer les droits des femmes. Il s’agit en particulier des droits des groupes marginalisés, susceptibles de devoir supporter une part disproportionnée des coûts de la non-durabilité sur les plans économique, social et environnemental ».

Concrètement, l’enquête fait appel à un regard critique sur les modèles standards de développement et sur la manière dont ils peuvent entraîner ou perpétuer, même involontairement, les inégalités sociales et les risques environnementaux. Par exemple, les modèles de développement économique utilisent des indices de croissance économique ou de productivité, dans leur ensemble, en tant qu’indices du développement. Ces chiffres sont problématiques puisqu’ils ont tendance à sous-estimer la contribution des femmes à la croissance économique.

Le rapport fait valoir que les modèles de développement non durable intensifient et exploitent le travail non rémunéré des femmes

Bimbika Sijapati Basnett

La pollution et la dégradation de l’environnement ont également tendance à devenir des « externalités » négatives des politiques et programmes de développement mettant l’accent sur la croissance et la productivité. Les récents efforts visant la durabilité se focalisent sur des aspects environnementaux. Néanmoins, on doit encore trouver des moyens adéquats pour conceptualiser ou comptabiliser les disparités sociales et les besoins humains non satisfaits. Par exemple, comme le souligne le rapport, les interventions récentes dans le secteur forestier au nom de l’atténuation du changement climatique, telles que la REDD+ (Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts) et le MDP (Mécanisme de développement propre), donnent la priorité aux normes mondiales de durabilité et risquent d’exclure les utilisateurs locaux.

Un des risques est de saper leurs moyens de subsistance et d’exacerber les inégalités existantes, y compris celles liées au genre.

Les conclusions et la discussion du rapport sur le travail non rémunéré des femmes ne sont-elles pas en accord avec vos recherches sur les femmes en tant que détenteurs de droits et porteurs de risques, tout comme sur la manière dont ceci affecte leurs relations aux forêts ?

Mme Sijapati Basnett : Le rapport s’appuie sur des recherches féministes extensives démontrant que le travail domestique non rémunéré est fait de manière disproportionnée par des femmes dans le monde entier. Ce type de travail demeure non considéré et sous-estimé. Ainsi, les femmes et filles sont limitées dans la réalisation de toutes leurs capacités. Le rapport fait valoir que les modèles de développement non durable intensifient et exploitent le travail non rémunéré des femmes. Or, les liens potentiels et les compromis entre l’égalité des sexes et le développement durable doivent être considérés par rapport à une « perspective des travaux domestiques ». Le rapport souligne la nécessité d’évaluer le potentiel et la performance des investissements relatifs au développement durable visant à réduire le travail non rémunéré des femmes et des filles.

Toutefois, les données sur le travail non rémunéré des femmes font grandement défaut. Cette lacune est particulièrement importante dans le secteur de la foresterie. Par exemple, les recherches récentes sur les liens entre la pauvreté et l’environnement ont fourni des données précieuses sur qui collecte quels types de produits forestiers, à quelles fins et à partir de quels types de forêts. Pourtant les données sur les conséquences sur d’autres responsabilités au sein et en dehors des ménages sont limitées. Des études comparatives mondiales sur la REDD+ ont généré des informations sur la participation relative des femmes et des hommes au processus de REDD+. Néanmoins, elles n’abordent pas la façon dont ces processus affectent, ou devraient influencer, la charge de travail relative des femmes et des hommes. Par conséquent, le rôle essentiel des organisations de recherche, indépendantes et non partisanes, telles que le CIFOR, est la collecte systématique de données sur les emplois du temps. Lors de la proposition et de l’évaluation des interventions en matière de développement durable dans les paysages forestiers, ces organisations devraient intégrer les travaux domestiques en tant que catégorie analytique importante.

Mme Asher : Les recherches du CIFOR peuvent-elles s’appuyer sur les propositions faites dans le rapport et fournir des informations ?

Mme Sijapati Basnett : Oui, dans le chapitre 6 sur « Les investissements pour un développement durable sensible face au genre », le rapport préconise d’investir à grande échelle dans les technologies de cuisine à meilleur rendement énergétique, de sorte que la technologie s’améliore et soit largement utilisée. Dans la plupart des pays, les femmes sont responsables de la collecte de bois de feu et du charbon de bois pour la consommation domestique. Le fardeau physique de cette collecte affecte la santé des femmes et réduit le temps qu’elles pourraient consacrer à d’autres tâches de leur choix. 

Pourtant, de tels investissements ne sont pas considérés prioritaires dans les pays en voie de développement parce que les bénéfices sociaux de telles technologies (par rapport à leur impact sur l’égalité des sexes au niveau de la société) l’emportent sur les bénéfices privés (par rapport à ce que les femmes ou leurs ménages sont prêts à payer). Les investissements axés sur le marché sont soit peu probables d’être mobilisés, soit ils ont une portée limitée. Les conclusions ainsi que les recommandations pour la politique appellent donc à développer « des alliances des secteurs public-privé-civil permettant des investissements à grande échelle visant à garantir un accès universel … tout en assurant la conformité avec les normes des droits de l’homme ».

Je pense que le CIFOR devrait s’appuyer sur ces messages pour ses recherches et son engagement politique dans le cadre des initiatives émergentes, axées sur le marché, telles que la REDD+, l’économie verte et les engagements « zéro déforestation ».

Mme Asher : En d’autres termes, nous devons être attentifs aux inégalités structurelles pouvant être perpétuées, en silence ou par inadvertance, par des approches axées sur le marché et par la marchandisation des ressources utilisées pour une croissance verte. Cette approche est conforme au fait de fixer le bien-être humain comme priorité du développement durable, tout en soulignant l’importance de la participation du public à la détermination et à la sauvegarde de l’égalité des sexes.

Kiran Asher peut être contactée à l’adresse k.asher@cgiar.org. Bimbika Sijapati Basnett peut être contactée à l’adresse b.basnett@cgiar.org.

Les recherches du CIFOR sur le genre s’inscrivent dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.

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