BOGOR, Indonésie — De la forêt amazonienne du Pérou et du Brésil, au bassin du Congo et à la Tanzanie, en passant par le Vietnam et la partie indonésienne de Bornéo, plus de 300 nouvelles initiatives ont expérimenté de concept de REDD+ au cours des cinq dernières années.
La Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts est une initiative visant à lutter contre le changement climatique en maintenant le carbone dans les forêts.
L’idée de payer des personnes dans les pays tropicaux en voie de développement pour qu’elles protègent leurs forêts, ce qui génère des crédits de carbone pouvant être vendus sur un marché international du carbone, a pris de l’importance au sommet de l’ONU sur le changement climatique en 2007 à Bali.
Elle a donné suscité de l’enthousiasme et des financements – mais aussi une polémique. En 2009, des projets pilotes de REDD+ ont été mis en place dans les tropiques.
Un groupe de scientifiques du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) a entrepris d’analyser indépendamment 23 de ces initiatives diverses. Les conclusions de la première étape de cette recherche sont expliquées dans un nouveau livre intitulé « La REDD+ sur le terrain: recueil d’études de cas sur les initiatives infranationales à travers le monde ».
Nouvelles des Forêts s’est récemment entretenu avec Erin Sills, associé principal du CIFOR et rédacteur principal du livre. Ci-dessous, une transcription de l’interview.
Le CIFOR à la COP20 de la CCNUCC
- Le 5 décembre, William Sunderlin du CIFOR, éditeur de «La REDD+ sur le terrain» a partagé les conclusions du livre lors d’un événement officiel en marge de la COP20 à Lima. Cliquez ici pour plus de détails.
- Pour plus d’informations sur les événements du CIFOR parallèles à la COP, rendez-vous sur cifor.org/cifor-at-cop20
En rassemblant ces 23 initiatives dans un livre, qu’apprend-t-on sur la REDD+ ?
Le premier point est l’hétérogénéité des initiatives. La REDD+ a été imaginée comme équivalent aux paiements pour services environnementaux (PSE). Vous vendez des crédits sur un marché – qui n’existe pas encore – et vous donnez cet argent aux populations locales, si elles arrêtent la déforestation, ce qui est vérifié par télédétection.
Toutefois, sur le terrain, il existe effectivement de nombreuses variations autour de ce concept. Peu d’initiatives se situent dans cet espace étroit que représente le financement des PSE par un marché du carbone.
Les initiatives obtiennent des financements de différentes sources – des fonds pour le carbone, certes, mais également de nombreuses autres sources – touchant tous les divers bénéfices qui découlent de la préservation des forêts. Pour réduire les multiples sources d’émissions, ces initiatives poursuivent toutes sortes de stratégies sur le terrain. Nous avons besoin de la théorie de la REDD+, puisqu’elle doit fonctionner à l'échelle mondiale, mais nous devons également prendre en compte ces leçons locales, de personnes qui connaissent vraiment le contexte local
La dégradation des forêts est un enjeu sérieux en Tanzanie. Le feu joue notamment un rôle important dans ce pays, tout comme dans les tourbières du Kalimantan. L’exploitation agricole à petite échelle en est la cause principale dans certains endroits. Dans d’autres il s’agit de bloquer l’arrivée de grands exploitants externes, tels que les éleveurs de bétail ou les entreprises d’huile de palme.
Il est important de saisir ce point pour imaginer l’avenir de la REDD – cette diversité des initiatives reflète ce que les promoteurs ont fait en réponse à la perspective d’obtenir un financement pour réduire les émissions liées à la déforestation.
Dans le contexte de leurs autres préoccupations au sujet de la biodiversité ou des moyens locaux de subsistance, ils ont commencé à réfléchir à la meilleure façon d’atteindre cet objectif de réduction des émissions. Ils sont parvenus à de nombreuses stratégies différentes.
A mon avis, ils sont probablement mieux placés pour savoir ce qui va fonctionner sur le terrain où ils travaillent que les personnes qui conceptualisent la REDD+ en théorie à un niveau central.
Nous avons besoin de la théorie de la REDD+, puisqu’elle doit fonctionner à l’échelle mondiale, mais nous devons également prendre en compte des leçons locales, de personnes qui connaissent vraiment le contexte local. En nous basant sur cette compréhension, nous avons décidé de la meilleure façon de procéder en vue des contraintes posées par la disponibilité de financements.
De quels genres de leçons parlez-vous ?
En écrivant ce livre, mon objectif principal était de documenter très attentivement ce qui se passe sur l’ensemble de ces sites. De quoi mesurons-nous l’impact, quelles sont les conditions de base – en somme, que sont exactement ces initiatives infranationales de REDD+ ?
Comme nous savons qu’elles ne visent pas toutes « la vente de crédits de carbone et la distribution de PSE », nous avons cherché à documenter en détail ce qu’elles faisaient. Désormais, nous pouvons passer à la quantification des impacts de ces différents types d’interventions. Ces exemples nous montrent comment les promoteurs ont conçu, selon les paramètres sociaux au niveau local, les flux de paiements sans exacerber les inégalités locales
Nous n’avons pas encore évalué les impacts parce que nous venons tout juste de terminer la deuxième phase de collecte de données. Toutefois, ce livre contient beaucoup d’informations sur le processus, en exposant comment les populations locales ont réagi et comment elles ont été impliquées.
Nous avons appris sur les différentes façons de concevoir les institutions locales, de gérer les attentes, de s’adapter au régime foncier et aux paramètres sociaux au niveau local.
Par exemple, dans la plupart des initiatives en Tanzanie, les communautés ont accepté les systèmes spécifiques de partage des bénéfices sous forme de retombés futurs liés au carbone. Certaines des initiatives ont testé ces systèmes en faisant des paiements d’essai. Les systèmes ont différentes approches pour motiver les individus à modifier leurs façons d’utiliser les ressources forestières, tout en créant des bénéfices pour la communauté. Dans certains cas, les individus reçoivent la plupart des paiements et décident ensuite combien ils veulent donner aux projets communautaires, tandis que dans d’autres cas, ce sont les institutions communautaires qui reçoivent la plus grande part des paiements et la communauté vote pour savoir comment utiliser ces fonds.
Finalement, ces exemples et d’autres nous montrent comment les promoteurs ont conçu, selon les paramètres sociaux au niveau local, les flux de paiements sans exacerber les inégalités locales.
Pourquoi certaines des initiatives décrites dans le livre ne s’appellent-t-elles plus «REDD+» ?
Dans un sens, c’est un symptôme des problèmes liés à la REDD+. Les incitations financières ne sont pas assez fortes pour surmonter certains des problèmes créés par toutes les connotations et les attentes qui entourent le concept de «REDD+». De nombreux acteurs ne savent pas comment faire face à l’attente selon laquelle la REDD+ va générer beaucoup d’argent pour peu d’actions.
D’un autre côté, cela peut également indiquer la façon dont ces initiatives infranationales innovent, en visant peut-être des choses plus grandes et meilleures. Un exemple en est la collaboration avec un gouvernement dans le but d’établir une stratégie de développement à faible émission de carbone qui est censée avoir un impact plus important et durable qu’une simple initiative de REDD+. Par exemple, deux initiatives concernant deux municipalités en Amazonie brésilienne – Cotriguaçu et São Felix de Xingu – se sont développées dans ce sens.
Ces exemples présagent-ils de l’avenir de la REDD+ et comment pourrait-elle évoluer ?
Ces acteurs ont fait un excellent travail en testant la REDD+. Toutefois, ils sont nombreux à avoir du mal à passer de la phase pilote à une réelle mise en œuvre à long terme. Ceci est dû à l’incertitude au sujet du financement, qui résulte de l’absence de progrès sur un accord mondial contraignant sur l’atténuation du changement climatique.
Ceci est peut-être tout particulièrement vrai pour le concept initial de la REDD+, qui cherche à donner aux personnes des incitations en fonction de leur performance ou sous certaines conditions, dans le but de réduire la déforestation. Les acteurs hésitent à faire des promesses et ne veulent certainement pas de contrats, puisqu’ils ne voient pas de source de financement à long terme pour de telles incitations. Sans être en mesure de prendre cet engagement contractuel à long terme, ils peuvent seulement avancer à petits pas. Indépendamment de l'architecture internationale de la REDD+, des interventions visant à réduire la déforestation doivent être mises en place au niveau local
Voilà donc une chose que nous apprenons, ils peuvent faire beaucoup, ils ont fait beaucoup, mais ils peuvent seulement agir si la communauté internationale se met d’accord et débloque l’argent nécessaire. Il s’agit fondamentalement d’un bien mondial public, nous devons donc payer pour.
L’autre leçon est que si la communauté internationale en vient à réaliser ces financements, alors je pense que nous pouvons nous attendre à voir une diversité d’approches de la part des organismes locaux, adaptées aux différents contextes locaux.
Indépendamment de l’architecture internationale de la REDD+, des interventions visant à réduire la déforestation doivent être mises en place au niveau local – dans des endroits spécifiques, en collaboration avec certaines parties prenantes. Ces initiatives montrent qu’il existe différents moyens d’y parvenir. La prochaine étape de notre recherche permettra d’évaluer l’efficacité –concernant les bénéfices liés au carbone et ceux étant connexes- de ces différentes stratégies.
Si la REDD+ tombe à l’eau, les leçons apprises par ce projet intensif, de grande envergure, ont-elles encore un sens ?
Certainement. C’est un des avantages de la grande hétérogénéité des interventions. Elle rend l’évaluation des impacts plus complexe, mais aussi plus utile pour les efforts de conservation et de développement durable au-delà de la REDD+.
La plupart des interventions sont similaires à celles qui auraient été mises en œuvre sans la REDD+. Les financements du carbone ou de la REDD+ ont permis aux acteurs soit de continuer les interventions, qui auraient pu être abandonnées sans fonds supplémentaires, soit de les étendre à de nouveaux sites. Ces acteurs, qui ont été nos collaborateurs dans cette étude, ont vraiment tout fait pour rendre ces initiatives fonctionnelles sur le terrain
Donc, tant que le financement pour la biodiversité et pour les services écosystémiques est assuré de manière plus générale, il y aura des leçons à tirer de cette étude, ainsi que des initiatives infranationales de REDD+, qui trouveront une application dans différents types d’interventions.
Ces acteurs, qui ont été nos collaborateurs dans cette étude, ont vraiment tout fait pour rendre ces initiatives fonctionnelles sur le terrain, avec l’objectif explicite de tester et de démontrer comment les différentes interventions pourraient fonctionner.
Finalement, j’espère aussi que ce livre diffusera ce message – dire au monde ce qui a déjà été fait – et qu’il aidera à remplir leur mission de démontrer que la REDD+ peut fonctionner sur le terrain et générer des leçons sur les manières pour y parvenir.
Pour plus d’informations sur ce livre, veuillez contacter Erin Sills sur sills@ncsu.edu ou William Sunderlin sur w.sunderlin@cgiar.org.
L’étude comparative mondiale sur le REDD du CIFOR est soutenue par l’Agence norvégienne de coopération pour le développement (NORAD), Ministère australien des affaires étrangères et du commerce extérieur (DFAT), l’Union européenne (UE), le Royaume-Uni, ainsi que le Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie, avec un appui financier de la part du Fonds du CGIAR.
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