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Évaluations d’impacts: prouver l’efficacité de la conservation des forêts

« La conservation se situe dans l'un des contextes d'évaluation les plus difficiles. »
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BARCELONE, Espagne — La conservation des forêts pourrait bénéficier d’évaluations d’impacts plus nombreuses et plus efficaces, afin de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Toutefois, les efforts d’évaluation doivent tenir compte des complexités propres à ce secteur.

Telle est la conclusion des experts en évaluation d’impacts et en conservation, suite à un atelier international sur trois jours sur l’Évaluation des Initiatives de Conservation des Forêts, qui s’est tenu à Barcelone en décembre 2013. L’atelier a réuni environ 40 chercheurs, praticiens et décideurs politiques. 

« Réfléchir sur les impacts de ces programmes est un processus sain pour nous. Cela permet de savoir ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas », déclare Jan Börner, chercheur associé au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) et affilié au Centre de Recherches pour le Développement (ZEF) à Bonn (Allemagne), ainsi que membre du comité d’organisation de l’atelier.

« Ceci s’est davantage fait dans d’autres secteurs, bien que l’évaluation des impacts y soit moins difficile par rapport au type d’interactions socioéconomiques et biophysiques dont il est question dans la conservation des forêts », ajoute-t-il.

Cette complexité a laissé la conservation « dans l’âge des ténèbres par rapport à la plupart des autres secteurs », déclare Paul Ferraro, professeur d’économie à l’École d’Études Politiques Andrew Young de l’Université de Géorgie, États-Unis, et un des principaux orateurs durant l’atelier en marge de l’événement.

« Ceci n’est pas seulement dû à l’absence d’une base de données, mais au fait que la conservation se situe dans l’un des contextes d’évaluation les plus difficiles », déclare M. Ferraro.

De nombreux exemples de la complexité inhérente à l’évaluation des initiatives de conservation ont émergé au cours des exposés présentés lors de l’atelier. Les chercheurs et praticiens ont décrit des programmes de Paiements pour Services Environnementaux (PSE) en Colombie et au Costa Rica, d’aires protégées au Brésil et en Indonésie, de conservation de la biodiversité au Mexique, de parcs marins en Indonésie et d’accords réciproques relatifs aux bassins versants en Bolivie.

QUESTIONS ET RÉPONSES

La difficulté de l’évaluation des impacts de la conservation des forêts a été soulignée de façon similaire par Alexander Pfaff, professeur associé à l’Institut Sanford de Politique Publique à l’Université de Duke et également conférencier pour cet événement.

« La présence d’un arbre est facile à constater», dit M. Pfaff en marge de l’atelier. « Il est plus difficile de savoir si l’arbre serait là en l’absence d’actions et à ce stade nous commençons déjà un jeu de devinettes. » 

La tendance pour de nombreuses études d'impacts a été de se concentrer sur un seul élément ou un chiffre de base; et nous devons nous éloigner de cette pratique

Sven Wunder

M. Pfaff donne l’exemple du Costa Rica, réputé pour son succès dans la conservation des forêts et dans l’application des politiques de PSE. Il souligne que le Costa Rica avait essayé plusieurs autres politiques avant les PSE, de sorte que les données ont dû être examinées pour déterminer si le succès était attribuable aux PES ou à un ou plusieurs autres politiques. 

Selon lui, dans ce cas, comme dans tout autre cas, la première étape pour accroître ou améliorer l’évaluation des impacts consiste à pousser les chercheurs, praticiens et décideurs politiques à se poser des questions sur les impacts dès le début.

« Je pense qu’il est très important de poser simplement la question ‘Pouvons-nous vérifier si c’est ça qui a changé la forêt ?’; si nous pouvons la poser de manière neutre et complémentaire, et si nous utilisons les réponses pour guider les politiques », dit-il.

Cependant, étant donné les complexités associées à la conservation des forêts, des questions consécutives doivent être posées avec soin et en évitant des réponses simplistes, selon le coorganisateur de l’événement Sven Wunder, qui est directeur scientifique au CIFOR.

« La tendance pour de nombreuses études d’impacts a été de se concentrer sur un seul élément ou un chiffre de base et nous devons nous éloigner de cette pratique », déclare M. Wunder.

Souvent, les chiffres uniques ne révèlent pas tous les faits. Ceci est apparu clairement lors de la présentation de Jonah Busch du Center pour le Développement Mondial, simulant l’effet du moratoire de l’Indonésie sur les concessions forestières. M. Busch a montré que la proportion de forêt « sauvée » par cette politique peut varier de 3,6 à 13% selon les hypothèses analytiques.

« Nous devons également prendre en compte les interactions avec des facteurs de causalité; pourquoi cela fonctionne ou pas », ajoute M. Wunder.

« L’élément de base unique peut être plus ou moins précis, mais il n’indiquera pas suffisamment ce qui s’est passé et pourquoi. Nous avons besoin d’une histoire combinée concernant la causalité, soutenue par des éléments de preuve. »

Le fait que les politiques de conservation affectent différents groupes – groupes socio-économiques, groupes ethniques, groupes de sexe différent – de manières différentes complique davantage les réponses. Aucun chiffre seul ne peut capturer l’hétérogénéité des effets parmi les groupes sociaux.

Comme le note M. Pfaff, « Les chiffres sont très bien, mais vous pouvez inventer beaucoup de choses avec les chiffres. »

UN ENSEMBLE DE PREUVES

Afin que le secteur de la conservation des forêts évolue, Philip Davies, directeur adjoint des Examens Systématiques de l’Initiative Internationale pour l’Evaluation des Impacts, conseille d’adopter une approche stratégique de renforcement des éléments de preuve.

« Nous devons faire la distinction entre la construction d’éléments de preuves stratégiques et de preuves opérationnelles. Nous devons penser en terme de trois, cinq, dix années; il s’agit là d’une réflexion stratégique », a déclaré M. Davies lors de sa présentation durant l’atelier.

M. Davies a donné l’exemple du secteur de la santé publique, qui a rassemblé au cours des deux dernières décennies une base de données importante, y compris des études d’évaluation d’impacts et des revues systématiques. Il s’agit du même type de réflexion ayant poussé le CIFOR et ses partenaires de lancer l’Initiative de Foresterie Basée sur des Preuves en 2013.

En commençant dès maintenant, le secteur de la conservation des forêts pourrait avoir une base solide de données d’ici à 2020, selon M. Davies, et ceci permettrait d’informer et d’orienter les politiques.

« Il est très difficile d’influencer la politique en temps réel, sauf si vous disposez d’une base de données que vous pouvez mettre en pratique », dit-il.

Mettre ces preuves en pratique est bien sûr le but final; et cela doit avoir lieu le plus tôt possible dans le processus, conseille M. Ferraro.

« Nous parlons de suivi et d’évaluation, mais ce que nous faisons réellement est juste le suivi », dit-il.   « Nous parlons de tendances et de l’état de la forêt, pourtant ce n’est pas la même chose que l’évaluation. Il est difficile d’évaluer sans concevoir le programme dès le début pour être évalué. »

Nous avons besoin d’autant d'évaluations d'impacts que nécessaire pour améliorer les politiques

Alexander Pfaff

Puisque tous les participants de l’atelier étaient d’accord sur le fait que le secteur a besoin plus d’évaluations d’impacts, la question suivante était: combien en faut-il ? Malgré un débat divertissant sur la question entre M. Wunder et M. Ferraro, aucun numéro unique et aucune réponse définitive semblent s’appliquer ici non plus.

« Ce que je sais, c’est que zéro n’est pas le bon nombre, et c’est la situation que nous avons en ce moment », déclare M. Ferraro. « Je dirais que 100% n’est pas juste non plus. »

Parce que, selon lui, la solution n’est pas d’essayer d’évaluer les impacts de chaque programme, « ce n’est pas possible », mais de concentrer les ressources sur les grands programmes, tels que les PSE au niveau national et les réseaux d’aires protégées, de manière à tester leurs bénéfices sociaux.

Ou comme le dit M. Pfaff: « Nous avons besoin d’autant d’évaluations d’impacts que nécessaire pour améliorer les politiques. »

Pour plus d’informations sur les sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Sven Wunder sur s.wunder@cgiar.org.

L’atelier international « Évaluer les initiatives de conservation des forêts : De nouveaux outils et nécessités politiques » a été organisé par le ZEF (Centre de Recherches pour le Développement, Université de Bonn) et l’Institut des Sciences de l’Environnement et de la Technologie, avec le soutien de la Fondation Robert Bosch (par le projet du ZEF intitulé «Façonner les politiques environnementales pour des bioéconomies forestières durables»), ainsi que de l’Association Européenne des Economistes de l’Environnement et des Ressources (EAERE) et l’IDDRI.

Les enregistrements des présentations de l’atelier sont disponibles ici.

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