Analyse

Une plante comestible améliorant les revenus des femmes au Cameroun est menacée par les quotas

Il y a encore quelques dizaines d'années, la plante grimpante Gnetum spp. - appelée Okok ou Eru dans différentes parties du Cameroun – était une délicatesse peu connue. Prisée par les commerçants et les consommateurs nationaux du Cameroun et de la République démocratique du Congo, elle est mangée crue depuis des centaines d'années pour lutter contre toutes sortes de maladies, ou finement broyée et ajoutée aux soupes et aux ragoûts.
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L’okok n’est pas seulement un des légumes les plus consommés au Cameroun. Il représente aussi une part importante du commerce international de produits forestiers non ligneux. Photo: CIFOR/Ollivier Girard.

Il y a encore quelques dizaines d’années, la plante grimpante Gnetum spp. – appelée Okok ou Eru dans différentes parties du Cameroun – était une délicatesse peu connue. Prisée par les commerçants et les consommateurs nationaux du Cameroun et de la République démocratique du Congo, elle est mangée crue depuis des centaines d’années pour lutter contre toutes sortes de maladies, ou finement broyée et ajoutée aux soupes et aux ragoûts.

En effet, jusqu’à récemment, les cultures pérennes lucratives telles que le cacao dominaient les marchés d’exportation. Néanmoins, comme la demande en cacao a stagné et que les pays consommateurs ont stocké des fèves de cacao pour réguler le marché à leur avantage, le prix au kilo a chuté de 3 dollars en 1986 à 1,50 dollar en 1988.

Les agriculteurs masculins du Cameroun – dont beaucoup dépendent de la culture saisonnière du cacao pour leurs revenus – se sont depuis tournés vers les femmes du ménage, qui aident en récoltant des produits forestiers non ligneux, tels que l’okok, disponibles toute l’année.

L’okok est devenu non seulement un des légumes les plus consommés du Cameroun, mais il représente également une part importante du commerce international des produits forestiers non ligneux (PFNL). Des centaines de tonnes d’okok sont exportées chaque semaine vers le Nigeria, ainsi que vers l’Europe et l’Amérique, où il est consommé par des africains du Centre et de l’Ouest vivant à l’étranger.

Contrairement à une croyance répandue, le succès de la commercialisation de l’okok n’est pas seulement lié à la chute des prix du cacao – même si elle est l’un des facteurs clés de son succès – mais plutôt à sa forte valeur commerciale. Les recherches du CIFOR ont démontré que le commerce de l’okok au Cameroun, estimé à plus de 12 millions de dollars par anserait le troisième PFNL national en terme de valeur, derrière le poisson et le bois.

Durant les trois mois de l’année où le cacao n’est pas récolté, le revenu quotidien de la vente d’okok par les femmes représente une opportunité économique de taille pour sortir les familles de la pauvreté rurale.

Les femmes sont engagées dans toutes les étapes du processus – la récolte, le transport et la vente. «Quand je gagne 35 000 Francs CFA (70 dollars américains) par semaine, c’est important pour moi», explique Calixte Mbilong du village de Minwoho au Cameroun. «C’est avec cet argent que nous payons les frais de scolarité de nos enfants, prenons soin de notre santé et achetons des vêtements. Il me permet d’acheter tout ce dont j’ai besoin.»

Un récent sondage que nous avons effectué dans la division Lekie du Cameroun montre que jusqu’à 90% des personnes vendant de l’okok sont des femmes. Dans 75% des ménages interrogés, les hommes reconnaissent que les femmes contrôlent la récolte de l’okok. Malgré l’importante contribution de l’okok aux revenus des ménages, nous avons constaté que les hommes ont tendance à consacrer plus de temps à d’autres activités, telles que le cacao et la chasse, car ils ne sont pas convaincus que l’okok puisse offrir un rendement suffisant, comparé au travail qu’il exige. Ils pensent que cette activité convient davantage aux femmes et aux enfants.

Alors que la prise de conscience accrue par des communautés locales de la valeur économique de l’okok a engendré une hausse de la production et des revenus dans les communautés camerounaises, des contraintes discriminatoires rendent l’exploitation de la plante à feuilles difficile pour les agriculteurs et les commerçants.

Des feuilles aux moyens de subsistance: les villageois de Minwoho au Cameroun récoltent l’Okok (CIFOR)

En 2006, l’okok a été étiqueté «produit forestier spécial» au Cameroun, ce qui a permis à un comité interministériel dirigé par le Ministère des Forêts et de la Faune d’attribuer des quotas commerciaux. Il est désormais illégal de vendre de l’okok sans quota. Malheureusement, la plupart des quotas ont été alloués à quelques entreprises ou à des particuliers rarement impliqués dans le développement de la chaîne de valeur de l’okok. Pour que les commerçants et les communautés rurales puissent officiellement participer à l’exportation de l’okok, ils doivent acheter une partie du quota d’autrui (appelé lettre de voiture) qu’ils paient souvent des prix bien au-dessus du coût normal de quota.

Jusqu’à présent, la majorité des entreprises détenant des quotas sont contrôlées par des hommes, ce qui discrimine les principaux utilisateurs de l’okok – les femmes. Ce quota commercial a un impact négatif sur les femmes, car le coût des lettres de voiture réduit considérablement leurs revenus.

En 2007, nous avons recommandé que les allocations de quotas deviennent plus transparentes via un système d’enchères. Le système devrait être décentralisé pour donner une chance à des groupes de femmes contrôlant la collecte et le commerce de l’okok.

Cela permettra une plus grande concurrence entre les participants du marché et augmentera le montant des recettes fiscales pour le gouvernement. De nombreux groupes de femmes ont indiqué qu’elles préféreraient payer des impôts officiels, plutôt que de payer les propriétaires de quotas comme elles le font actuellement.

Il est important que les décideurs politiques prennent des mesures appropriées pour soutenir des revenus de l’okok qui sont importants pour les femmes et les ménages du Cameroun. Adopter cette réforme des quotas n’est qu’un moyen parmi d’autres. Alors que les feuilles de l’okok sortent de l’obscurité pour rejoindre les assiettes de clients internationaux, elles deviendront certainement encore plus prisées.

Pour plus d’informations sur les enjeux abordés dans cet article, veuillez contacter Abdon Awono sur a.abdon@cgiar.org

Les recherches du CIFOR sur les produits forestiers non ligneux dans le bassin du Congo font partie du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.

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