Pionniers de la collecte « respectueuse » de graines grâce à l’escalade d’arbres géants en Côte d’Ivoire

« J’ai pu grimper très haut sans peur. C’est une expérience qui provoque des montées d’adrénaline »
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L’accès aux graines des arbres majestueux tels que l’acajou africain (Khaya ivorensis) est essentiel pour restaurer la forêt guinéenne, gravement dégradée, en Côte d’Ivoire. Ces graines jouent un rôle clé dans les ambitieux objectifs de restauration du pays. Cependant, leur collecte s’accompagne souvent de pratiques dangereuses et nuisibles. Former des grimpeurs d’arbres en toute sécurité et compétents est donc primordial pour garantir un avenir à ces espèces colossales et essentielles.

« Quand on rencontre un arbre sans branches de 10 mètres de hauteur ou avec un tronc de grand diamètre, il est presqu’impossible d’utiliser une échelle. Cela devient très compliqué de récupérer des graines », explique Sebastian Walaita, un expert africain en escalade d’arbres de grande hauteur. « Avec la demande mondiale croissante de graines provenant d’espèces locales et menacées, il s’avère déterminant de pouvoir les collecter en toute sécurité et efficacité, » ajoute ce spécialiste ougandais de la collecte de graines d’arbres.

Traditionnellement, la collecte de graines en Côte d’Ivoire s’effectuait avec peu de normes de sécurité, exposant les collecteurs à des risques significatifs. Les chutes représentent un danger permanent : imaginez poser accidentellement la main sur un nid de guêpes à 50 mètres de hauteur, sans harnais ni cordes robustes. De plus, les méthodes de récolte artisanales endommagent souvent les arbres, notamment lorsque de grandes branches sont coupées pour récupérer des graines, ce qui compromet leur structure, leur capacité de production future et le potentiel de restauration à long terme.

La formation s’est déroulée du 2 au 13 septembre 2024, et des équipements coûteux ont été donnés. Photo prise par Gilberte Koffi / CIFOR-ICRAF.

En fin 2024, le Centre de Recherche Forestière International et le Centre de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF) en collaboration avec Botanic Gardens Conservation International (BGCI) ont organisé une formation de 11 jours sur l’escalade d’arbres de grande hauteur dans le cadre du projet financé par Darwin Initiative du Royaume-Uni, intitulé « Renforcer la capacité de restauration des arbres menacés dans les paysages cacaoyers de Côte d’Ivoire ». Sous la direction de Sebastian Walaita et de son collègue ougandais Paul Obbi, cette formation a marqué un tournant décisif pour la collecte de graines dans le pays.

Pour la première fois, des protocoles stricts de sécurité, des techniques professionnelles et des pratiques exemplaires internationales ont été introduits pour protéger à la fois les grimpeurs et les précieuses ressources arboricoles avec lesquelles ils travaillent.

« Cette formation transforme fondamentalement la collecte de graines, » a déclaré Dr Kouamé Christophe, Directeur Pays de CIFOR-ICRAF en Côte d’Ivoire. Il a souligné que cela corrigeait les méthodes parfois dangereuses du passé, tout en renforçant les capacités locales pour préserver les espèces d’arbres menacées et restaurer durablement les paysages forestiers grâce à une collecte de graines responsable et « respectueuse ».

Six participants d’institutions spécialisées, dont le Centre de Semences Forestières d’Adzopé ont été formés. Sebastian Walaita, grimpeur expérimenté depuis 1997, a félicité un stagiaire qui a grimpé jusqu’à 40 mètres. « Avec de la pratique, il gagnera en confiance, » a-t-il affirmé.

Les participants ont trouvé la formation exigeante mais gratifiante. « Grimper avec cet équipement lourd n’était pas facile, » a déclaré Leto Antoine, 45 ans employé au Centre National de Recherche Agronomique (CNRA), fier d’avoir participé à cette formation historique.

Koné Ibrahim, 37 ans, de CIFOR-ICRAF, a expliqué que sa principale difficulté était de « se maintenir en équilibre ». Mais il a noté que la formation permettra d’éviter d’endommager les arbres. « Si nous pouvons collecter des graines de qualité en quantité suffisante, nous contribuerons à la conservation. »

D’autres participants ont vécu des expériences similaires. Koffi Yves, 22 ans, de la SODEFOR, a déclaré : « Le plus grand défi a été de passer d’une branche à l’autre avec l’équipement. » Quant à Zoumaro Ismael, 39 ans, technicien botaniste à l’Institut Botanique Aké-Assi d’Andokoi (IBAAN), a avoué son appréhension lors de la descente avec la corde. « Mais je n’ai pas paniqué, » a affirmé Ismaël « C’était une nouvelle compétence pour moi. »

L’apprentissage de techniques sécurisées, telles que l’escalade avec des crampons, le nouage de nœuds de sécurité et la navigation dans la canopée, a renforcé la confiance en eux des participants. Le Guide de la FAO sur la gestion des graines forestières indique : « Avec une utilisation correcte du harnais et de la corde de sécurité, le grimpeur devrait avoir les deux mains libres pour cueillir les fruits ».

Le cours a formé à l’utilisation des harnais, cordes, mousquetons et autres outils. Photo prise par Gilberte Koffi / CIFOR-ICRAF

Au-delà de la technique : une avancée pour la conservation

Les implications de cette formation vont bien au-delà des compétences techniques acquises. Les graines collectées sur des arbres géants réduisent la nécessité de prélever des plantules sauvages (sauvageons), une pratique courante dans les programmes de plantation ivoiriens pour les espèces rares.

« Les plantules sauvages doivent être laissées pour croître dans leur environnement naturel, » a déclaré Dr Jean Claude N’zi, Coordonnateur du projet Darwin. « Une surutilisation des plantules risque de provoquer une dépression génétique, car elles proviennent souvent d’un ou deux arbres mères seulement. » De même, un manuel de référence de BGCI précise : « Il convient de veiller à ne pas surexploiter les plantules sauvages, car cela nuirait à la régénération naturelle. »

De nombreuses espèces menacées de la Réserve Botanique de Divo, qui constituent le cœur du projet Darwin, nécessitent particulièrement l’escalade d’arbres de grande hauteur en raison de leur taille impressionnante. Des arbres comme Entandrophragma angolense (Tiama) peuvent atteindre 50 à 60 mètres de hauteur, le Tieghemella heckelii (Makoré) peut culminer jusqu’à 40 mètres avec un diamètre de 1,5 mètre et le Milicia regia (Iroko) peut s’élever jusqu’à 35 mètres avec un long fût sans branches.

Lors du forum de clôture du projet le 23 octobre 2024, les grimpeurs nouvellement certifiés ont reçu leurs diplômes. Kouassi Lucien, Directeur Général des Forêts et de la Faune, les a encouragés à transmettre leurs connaissances nouvellement acquises. « Partagez vos compétences. Créez un cercle vertueux pour la restauration des forêts ivoiriennes, » a-t-il déclaré.

Développer une « compétence » tant nécessaire

Alex Hudson, Responsable des projets de conservation végétale de BGCI pour l’Afrique, a souligné l’impact plus large de la formation. « L’amélioration des techniques d’escalade d’arbres permet de collecter des graines de qualité auprès d’une plus grande variété d’individus d’une espèce d’arbre, ce qui est essentiel pour la survie à long terme des arbres menacés » a-t-il déclaré.

La période dorée du renforcement des capacités en escalade d’arbres s’est étendue de 1987 à 2007, durant laquelle le Centre danois des semences forestières a aidé environ 15 pays du Sud à créer des centres de semences forestières. Mais avec la fin de ces projets, cette pratique a été progressivement abandonnée. « C’est pourquoi la majorité des grimpeurs d’arbres formés sont aujourd’hui âgés, » explique Walaita.

Interrogé sur la présence de grimpeurs d’arbres expérimentés, Fandey Mashimba, Directeur de la production de semences forestières de Tanzanie et particulièrement impliqué dans la préservation et la gestion de la diversité génétique des arbres tropicaux menacés, a répondu : « Nous avons des grimpeurs qui ont été formés à la fin des années 80 par les Danois. Ils sont désormais à la retraite, mais pourraient transmettre leur savoir aux autres. »

La course est lancée pour former de nouveaux grimpeurs d’arbres, car les initiatives visant à planter des arbres pour le carbone, la biodiversité et d’autres objectifs essentiels à la préservation de la planète et des populations prennent conscience qu’elles ne disposent pas des semences adéquates, encore moins de la qualité et de la diversité d’espèces nécessaires.

« Les contraintes liées à la disponibilité et à la qualité des semences forestières peuvent compromettre le succès des efforts de restauration des forêts et des paysages, ainsi que la fourniture des avantages qui y sont associés, tels que l’atténuation du changement climatique », ont déclaré des chercheurs dans une étude portant sur cette lacune préoccupante.

Le projet phare de semences du CIFOR-ICRAF, PATSPO en Éthiopie, prévoit de former des grimpeurs d’arbres, tandis que les grimpeurs de grande hauteur en Côte d’Ivoire sont déjà prêts à se lancer. « Je veux des graines de haute qualité provenant d’espèces de grande taille pour ma pépinière, » a affirmé Leto Antoine, opérateur de pépinière au CNRA.

« L’escalade d’arbres géants peut être une expérience pleine d’adrénaline, » a déclaré Sammy Carsan du CIFOR-ICRAF. « Impliquer les jeunes est important, surtout pour ces arbres extrêmement hauts. »

De plus, le spécialiste kényan en agroforesterie, actif dans de nombreux pays d’Afrique et au-delà, a souligné : « Mettre en relation les grimpeurs avec les commerçants de semences et les opérateurs de pépinières est essentiel, car cela permet de résoudre les problèmes liés à la pratique courante de la collecte de fruits tombés au sol, souvent infectés, ce qui conduit fréquemment à un mélange de plants de qualité variable dans les pépinières de restauration. »

Le projet « Renforcer la capacité de restauration des arbres menacés dans les paysages cacaoyers de Côte d’Ivoire » a été mis en œuvre de Mai 2023 à Octobre 2024 par CIFOR-ICRAF, en partenariat avec Botanic Gardens Conservation International (BGCI) et le Centre National de Floristique (CNF) de l’Université Félix Houphouët-Boigny.


Remerciements

Le projet « Renforcer la capacité de restauration des arbres menacés dans les paysages cacaoyers de Côte d’Ivoire » a été mis en œuvre de Mai 2023 à Octobre 2024 par CIFOR-ICRAF, en partenariat avec Botanic Gardens Conservation International (BGCI) et le Centre National de Floristique (CNF) de l’Université Félix Houphouët-Boigny.

 

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