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Envers et contre tout : des spécimens de plants fragiles arrivent sains et saufs et prospèrent dans une station forestière

Une cargaison de jeunes plants dans une course contre la montre à Yangambi pour soutenir la nutrition dans la biosphère reculée
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Vue du fleuve Congo prise entre Kinshasa et Lukolela, République démocratique du Congo. Photo by Ollivier Girard/CIFOR-ICRAF

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Au moment où Samuel Muthemba atteignait la pépinière de Yangambi à 17 h 30, les deux colis de jeunes plants arbres fruitiers greffés à racines nues avaient voyagé pendant 27 heures. Sorties à 3 h 00 du matin le jour précédent d’une chambre froide du Centre de recherche forestière internationale et du Centre International de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF) de Nairobi, les plants avaient dû patienter sur le tarmac de Kinshasa où « la chaleur aurait pu avoir des conséquences fatales », commente le technicien botaniste. Brièvement rafraîchis grâce à la climatisation de la chambre d’hôtel de Sam dans la capitale de la République démocratique du Congo, elles ont ensuite été expédiées par voie aérienne, puis fluviale sur le fleuve Congo pour enfin atteindre leur destination finale : le centre de recherche de Yangambi, situé dans la Réserve de biosphère de Yangambi reconnue par l’UNESCO.

Transport d’une marchandise précieuse de jeunes plants voyageant à la proue du bateau du projet sur le fleuve Congo. Photo by Samuel Mutemba/CIFOR-ICRAF

Ce voyage épique représente la dernière phase d’un projet exigeant et ambitieux : Nutriscapes Yangambi, un projet qui cible la sécurité alimentaire, une meilleure nutrition et la résilience par l’apprentissage adaptatif et le soutien multi-niveaux des communautés locales du paysage de Yangambi. Financé par Good Energies d’octobre 2023 à septembre 2026, ce projet vise « des communautés mieux nourries, en meilleure santé et disposant d’aliments nutritifs plus variés, et une production agricole améliorée , qui réduira aussi la pression sur les forêts ».

Le transfert de ces jeunes plants de Nairobi à Yangambi, une station de recherche

Les employés de la pépinière déballent minutieusement les plants et commencent à les empoter. Photo : Samuel Muthemba/CIFOR-ICRAF

installée dans une biosphère de l’UNESCO au cœur du bassin du Congo représentait une avancée significative vers cet objectif. « Ce fut un véritable défi. Cela semblait impossible », se souvient S. Muthemba. « Mais l’impact des fruits, vous savez, est énorme. Cette avancée était décisive. »

Les arbres fruitiers font cruellement défaut dans ce paysage, situé à 100 km de la ville de Kisangani, mais isolé à cause de l’absence de routes. La consommation de fruits y est très faible ; le régime alimentaire quotidien est constitué de manioc écrasé avec des feuilles de manioc. La population locale fait face à de gros problèmes de santé, en particulier des retards de croissance qui touchent au moins 40 % des enfants. Par ailleurs, la forêt qui produit des espèces de fruits indigènes risque de disparaître.

L’arrivée des jeunes plants au centre de recherche marque une étape importante dans la résolution de ces problèmes. Sept employés de la pépinière étaient mobilisés pour empoter les plants aux racines nues, lesquelles avaient été soigneusement rincées à l’eau, à l’herbicide et au pesticide afin d’empêcher la transmission d’agents pathogènes du sol, dans le respect des normes de la Convention internationale pour la protection des végétaux. Mais la survie des plants restait néanmoins très incertaine.

À la tombée de la nuit, éclairés seulement des lumières des téléphones portables et des phares de la voiture du projet, les membres de l’équipe se sont rendu compte qu’ils avaient besoin d’aide. Maxwell Kubi, agroécologue expert rattaché au projet FORETS du CIFOR-ICRAF, a fait appel à des footballeurs qui jouaient non loin. Et contre toute attente, ils sont venus.

« Sans eux, cela aurait pris bien plus de temps », commente S. Muthemba. « Nous les avons répartis dans différents groupes pour déballer, empoter, étiqueter, délimiter et arroser les jeunes plants. Ils se sont mis à la tâche avec beaucoup de sérieux. Et une fois que nous avions terminé, ils ont entonné un chant de victoire. »

De jeunes joueurs de football se joignent à l’équipe et font toute la différence, pour ensuite célébrer un travail bien fait. Photos : Samuel Muthemba/CIFOR-ICRAF

Aujourd’hui, près de 100 % des 515 jeunes plants sont en pleine santé ; ils se composent d’une seule variété de tangerines, citrons, citrons verts, avocats, et de deux variétés d’oranges, mandarines, raisins et mangues.

Ce fabuleux voyage illustre les défis à surmonter pour améliorer la nutrition dans les zones isolées. « Le meilleur moyen consiste à introduire des arbres fruitiers améliorés exotiques et indigènes dans les exploitations agricoles », explique le généticien et sélectionneur de semences Prasad Hendre. « D’ici trois à quatre ans, chacun de ces plants deviendra un arbre capable de produire 40 à 50 greffons par saison, des tiges qui pourront être greffés sur des porte-greffes d’arbres fruitiers locaux robustes et adaptés. »

« Plus de 20 000 nouveaux arbres fruitiers hautement productifs verront le jour chaque année », poursuit P. Hendre responsable de la banque de gènes du CIFOR-ICRAF. « Nous pratiquons ici la multiplication végétative. Nous sommes en train de créer des blocs mère. Nous ne voulons pas de semences provenant de vergers. Nous voulons des boutures. »

Par la suite, poursuit-il, « nous les distribuerons à de petits exploitants et nous établirons des blocs d’arbres mère. En l’espace de trois à cinq ans, ces arbres donneront des fruits dans  les exploitations et nous pourrons observer les effets sur le terrain d’ici huit à dix ans. »

Il s’agit d’un processus lent, et donc ces jeunes plants sont loin de constituer un remède miracle, mais ils jouent néanmoins un rôle déterminant. La plupart des arbres fruitiers présents à Yangambi ne sont pas « améliorés », explique S. Muthemba. « Ce sont des arbres immenses qui ne produisent que quelques fruits de petite taille, et selon des cycles de fructification imprévisibles. »

Cette intervention n’est qu’un exemple au sein d’une stratégie plus grande d’amélioration de la production de fruits. De jeunes plants fruitiers indigènes sont également importées dans le cadre du projet. Elles seront installées dans des vergers destinés à la reproduction, dans le but de les améliorer. Ces plants proviennent du Cameroun voisin, où CIFOR-ICRAF travaille depuis longtemps sur des variétés d’espèces fruitières natives pourvues de caractéristiques souhaitées par les communautés. L’un des premiers candidats sera le safou (Dacryodes edulis), un fruit à forte teneur en vitamine C et à la chair mauve très prisée.

« La domestication participative d’arbres fruitiers et à fruits à coque existe en Afrique de l’Ouest et Afrique centrale depuis 1998 », d’après le livre de référence Indigenous fruit trees in the tropics (2008). « Certaines espèces clés ont été répertoriées conjointement par les scientifiques et les agriculteurs dans le but de développer des cultivars adaptés à différents systèmes de culture, où ils contribueront à la diversité et la durabilité du système agricole, et renforceront la santé environnementale. »

Concernant l’importance de tester de multiples variétés, P. Hendre et S. Muthemba indiquent que le projet prend en compte le futur climat, ainsi que certaines caractéristiques et propriétés commercialisables, telles que la durée de conservation, qui sera importante si les fruits sont finalement commercialisés.

Samuel Muthemba, Prasad Hendre et des plants de Citrus sinensis, une variété d’oranges, en pleine santé. Photos : Cathy Watson et Samuel Muthemba/CIFOR-ICRAF

Ce travail spécifique est hautement technique, dans le cadre d’un projet qui tient compte de l’entrecroisement des défis et qui invite les parties prenantes à s’intéresser à ces aspects complexes et à mieux comprendre les communautés. Différents volets de travail incluent l’établissement de stratégies de communication sociale et comportementale ; la collecte de données sur la production, la consommation alimentaire et d’eau, la santé, le genre et les activités forestières ; ainsi que la visualisation des liens qui unissent les systèmes alimentaires, la nutrition, les dynamiques de genre et les facteurs environnementaux.

Des enquêtes sont menées à l’heure actuelle par les scientifiques pour élaborer des calendriers alimentaires en fonction des saisons ; inventorier l’utilisation de la viande sauvage et les dimensions socioculturelles de la nourriture ; évaluer les régimes alimentaires à l’aide d’un rappel toutes les 24 heures ; mesurer l’IMC et la circonférence de la partie supérieure du bras des enfants et des soignants pour renseigner les retards de croissance et l’émaciation.

Avec seulement deux ans devant nous, le temps du projet est compté. Toutefois, pour Stepha McMullin, pionnière des Portefeuilles d’arbres fruitiers conçus pour fournir des micronutriments tout au long de l’année et remédier aux carences saisonnières, et pour Amy Ickowitz, qui quantifie la contribution directe des forêts aux régimes alimentaires, la réussite de cet envoi par avion marque une étape importante et doit être célébrée.

« Un socle solide est maintenant posé pour développer un système de semences d’arbres fruitiers pérenne qui aidera les communautés à produire et consommer une plus grande diversité de fruits de meilleure qualité, lesquels sont essentiels dans des régimes alimentaires équilibrés et pour des enfants bien nourris », concluent les scientifiques du CIFOR-ICRAF en charge de Nutriscapes Yangambi.

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