En 2021, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) annonçait son intention de lever un moratoire de 20 ans sur les concessions forestières industrielles, déclenchant alors d’intenses débats publics autour de l’avenir de la seconde plus grande forêt tropicale du monde. Mais aucune donnée factuelle sur l’impact du système des concessions forestières, instauré au même moment que le moratoire après la deuxième guerre du Congo, ne venait étayer les discussions.
La question centrale était de savoir si l’octroi de droits à des exploitants forestiers industriels dans un cadre plus restrictif avait globalement une incidence sur la déforestation et la dégradation forestière, par rapport à des zones aux conditions similaires mais non attribuées.
À cette fin, les scientifiques du Centre de recherche forestière internationale et du Centre International de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF) ont mené une étude à l’échelle nationale pour comparer l’état des forêts humides tropicales à l’intérieur et à l’extérieur de 55 concessions forestières industrielles attribuées soit en 2011, soit en 2014.
« Nos résultats montrent que, à ce jour, l’octroi de concessions à des exploitants forestiers industriels n’a fait aucune différence, dans un sens ou dans l’autre, au niveau des taux de déforestation et de dégradation forestière en RDC », commente l’auteur principal Colas Chervier, chercheur en économie écologique au Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) détaché auprès du CIFOR-ICRAF, et qui a pointé le besoin de faire reposer les débats de politique publique sur des preuves scientifiques.
Pour mesurer l’impact des titres d’exploitation forestière, les scientifiques ont sélectionné des zones de contrôle situées en dehors des concessions et non assignées à d’autres catégories de régime foncier telles que l’exploitation minière ou la protection de la nature.
Ces terres boisées ont été choisies pour leurs similitudes en termes de facteurs de risque de déforestation et de dégradation, comme la distance qui les sépare des routes et des villages : « Cette condition est essentielle pour nous assurer de bien comparer des pommes avec des pommes », poursuit C. Chervier.
Des causes sous-jacentes
 L’objectif final de l’étude est d’informer les décideurs politiques dans quelle mesure, et dans quels contextes spécifiques, les concessions forestières industrielles peuvent endiguer la déforestation et la dégradation des forêts.
L’analyse indique que les forêts situées à proximité des installations humaines sont exposées au même risque de déforestation, qu’elles soient à l’extérieur des concessions ou à l’intérieur, y compris celles qui étaient les premières à avoir satisfait aux conditions d’octroi du système actuel. Cette constatation suggère que les exploitants industriels se sont montrés jusqu’ici incapables d’empêcher les agriculteurs, les exploitants et les mineurs informels d’empiéter sur leurs terrains.
D’après l’étude, « l’octroi de titres sans contreparties environnementales strictes n’a que peu d’effet sur la déforestation et la dégradation forestière ». « Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait qu’un nombre significatif de concessions en RDC ne seraient pas en activité, et que la production de celles en activité demeure en général faible. La présence limitée des concessions sur le terrain est susceptible d’engendrer une situation où la pression de la population locale atteint des niveaux équivalents dans les concessions et les zones de contrôle. »
En RDC, le secteur informel occupe une place considérable, l’exploitation forestière à destination des marchés d’exportation est chère et la gouvernance des forêts inefficace. Tous ces éléments constituent les causes sous-jacentes qui ont abouti à ces résultats.
Moins une concession est rentable (compte tenu des coûts de transport du bois jusqu’aux ports maritimes), moins elle aura tendance à investir pour empêcher l’empiètement sur ses terrains et les réseaux routiers connexes. Et ce risque est élevé en RDC, car les petites exploitations agricoles représentent 90 pour cent de la déforestation, et les exploitants forestiers artisanaux produisent jusqu’à quatre fois plus que les industriels.
Le rôle des pouvoirs publics congolais est d’agir sur la question des secteurs informels et de veiller à ce que toutes les concessions forestières industrielles appliquent les plans de gestion des forêts. En théorie, ces plans forment une protection qui soutient l’exploitation planifiée et la constitution de fonds de développement communautaires destinés à des objectifs environnementaux, sociaux et économiques.
Les prochaines étapes de la recherche
 Si cette étude révèle que les concessions forestières ne réduisent pas, ni n’augmentent significativement les pertes forestières, y compris dans les zones où la pression de la déforestation est forte, elle soulève néanmoins de nouvelles questions.
Par exemple, la question de savoir si l’obligation légale d’appliquer les plans de gestion des forêts sera imposée dans les prochaines années et à quel effet, et si les concessions viables économiquement seront capables de réduire l’empiètement et ce faisant, la déforestation et la dégradation forestière par des tiers.
Concernant la levée éventuelle du moratoire de la RDC sur les nouvelles concessions forestières, C. Chervier recommande la prudence : « Il nous faut agir avec circonspection, mener plus de recherches et adosser tout débat politique à des données scientifiques probantes », conclut-il.
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