Entrevue

Q+R : Les banques de semences, indispensables pour l’adaptation au changement climatique

La conservation de la diversité génétique en vedette au GLF de Nairobi
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A Kenyan farmer plants a seed. Photo by Patrick Shepherd/CIFOR-ICRAF.

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Les effets du changement climatique mettent en péril les cultures d’aujourd’hui. Il est vital de conserver différentes variétés végétales pour permettre aux sélectionneurs de créer des plantes à la fois plus tolérantes aux inondations et aux températures élevées, et capables de résister aux sécheresses, aux nuisibles et aux maladies.

À l’heure où les pays font leur possible pour respecter leurs engagements de restaurer de vastes étendues de paysages forestiers dégradés, de nombreux autres défis se posent en termes de collecte, stockage et distribution de semences d’arbres issues d’essences sauvages avec suffisamment de diversité génétique.

La semaine dernière, un appel à une action urgente était lancé à l’occasion de la conférence du Forum mondial sur les Paysages GLF Nairobi 2023 : Une nouvelle vision pour la Terre, afin de mieux préparer les populations et les paysages de notre planète aux effets du changement climatique. Dès le premier jour, au cours d’un événement parallèle organisé conjointement par CIFOR-ICRAF et Crop Trust, des experts de la conservation des ressources génétiques des plantes cultivées et des arbres ont souligné le caractère primordial des banques de semences qui préservent la diversité génétique et veillent à la disponibilité des semences.

Dans son discours d’ouverture, Éliane Ubalijoro, présidente directrice générale du CIFOR-ICRAF, a appelé à une transformation dans le but de stabiliser notre climat et d’apporter suffisamment d’aliments nutritifs à une population mondiale croissante. « On ne doit pas sous-estimer l’importance des banques de semences dans la réalisation de cet objectif », a-t-elle indiqué. « Elles préservent la diversité des graines du monde, y compris celles de nos cultures et de nos arbres nourriciers, et elles partagent cette diversité avec des scientifiques et des agriculteurs pour rendre les systèmes alimentaires de notre planète les plus résilients possible. »

Pour conclure la session, Stefan Schmitz, directeur de Crop Trust, a déclaré que « par principe, le plus important, c’est la diversité. Elle est indispensable à la transformation de nos systèmes agroalimentaires, en particulier par l’utilisation d’espèces sous-utilisées ou dont on s’est intéressé. Il y a encore tant à faire, et tellement de diversité à préserver avant qu’elle soit perdue à jamais. »

Pour Nouvelles des forêts, nous avons interrogé les intervenants sur leurs travaux de recherche, leur passion pour la diversité, et leur opinion sur les banques de gènes en Afrique.

Nouvelles des forêts : En quoi est-il important de conserver et d’exploiter la diversité des cultures et des arbres ?

Sunday Aladele, directeur de recherche et ex-directeur général de la banque de gènes du Nigéria, le National Centre for Genetic Resources and Biotechnology (NACGRAB) : La diversité dans les cultures offre plusieurs options. Elle fournit la matière première qui porte les gènes nécessaires aux sélectionneurs pour développer de nouvelles variétés végétales dotées de caractères résilients au changement climatique. Elle offre également de meilleurs moyens de subsistance aux agriculteurs, aux consommateurs et aux secteurs économiques confrontés aux défis des aléas climatiques.

Ramni Jamnadass, experte scientifique principale et directrice de recherche au CIFOR-ICRAF : Au niveau des systèmes agroalimentaires, les forêts et agroforêts ont besoin d’une grande diversité en termes d’espèces et de génétique pour être résilientes et en bonne santé. La diversité des essences d’arbres offre toute une variété d’aliments, de structures d’habitats, de fonctions écologiques, et aussi de la stabilité face aux stress environnementaux.

Chrispus Oduori, scientifique et directeur de recherche à l’Organisation kényane de recherche sur l’agriculture et l’élevage (Kenya Agricultural & Livestock Research Organisation – KALRO), située au Kibos Centre : La diversité dans les cultures rend possible le processus de « pré-sélection ». Il s’agit en fait de développer de nouveaux matériels génétiques par le croisement d’espèces cultivées avec des plantes sauvages ou inadaptées, apparentées à des plantes cultivées, afin d’introduire dans les programmes d’amélioration variétale de nouveaux caractères utiles.

Asmund Asdal, Coordinateur de la Chambre forte mondiale des semences du Svalbard au Centre nordique de ressources génétiques (Nordic Genetic Resource Centre – NordGen) : Les banques de gènes conservent et mettent ces précieuses ressources à la disposition des sélectionneurs et des scientifiques. La chambre forte mondiale des semences du Svalbard offre un niveau de sécurité supplémentaire puisqu’elle conserve les semences en double et les ressources génétiques dans des conditions optimales et en sécurité.

Nouvelles des forêts : Quels problèmes rencontrez-vous dans la gestion des banques de semences en Afrique ?

Aladele : Les difficultés de la plupart de nos banques de semences sont d’ordre financier : peu de dotations budgétaires de la part des gouvernements, des infrastructures médiocres et des politiques incohérentes. Pour composer avec cela, nous devons travailler intelligemment et avec prudence. Nous devons maintenir les collections à une taille très limitée et gérable, et veiller à les régénérer lentement, à intervalles réguliers, en fonction des demandes, de la distribution et des évaluations de viabilité.

Nouvelles des forêts : Quelle est votre source d’inspiration personnelle dans votre travail de préservation de la biodiversité des cultures ?

Oduori : J’ai grandi avec ma grand-mère, une agricultrice passionnée qui cultivait de nombreuses variétés agricoles. Elle intercalait les cultures de millet africain et de sésame. Quand je suis devenu adulte, la production de millet a décliné et le sésame a disparu. Tout comme les cailles, qui sont une spécialité gastronomique à l’ouest du Kenya. Il s’est avéré que les cailles mangeaient ces cultures et n’ont pas survécu à leur disparition. Cette expérience a éveillé en moi le désir de travailler à l’amélioration du millet.

Asdal : C’est une grande satisfaction pour moi de prendre part à un effort mondial si important pour l’avenir. Ma plus grande source d’inspiration est le contact, et la collaboration, avec toutes ces personnes douées et enthousiastes qui travaillent dans les banques de gènes autour du monde.

Nouvelles des forêts : Comment ces collections sont-elles utilisées pour améliorer les moyens de subsistance des communautés ?

Jamnadass : Les forêts riches d’une grande variété d’arbres sont capables de produire de la nourriture en abondance, de pourvoir aux besoins d’une faune sauvage complexe, d’enrichir les processus écologiques et de résister aux épidémies. La diversité génétique présente au sein de chaque essence d’arbre est gage d’adaptation, de potentiel évolutif et de santé lorsque les conditions changent. La variabilité génétique et des caractères permet aux arbres de s’adapter aux évolutions du climat, de résister aux nuisibles et de tirer avantage des ressources disponibles.

Aladele : Dans le cadre du projet Seeds for Resilience (des semences pour améliorer la résilience), les semences sont directement données aux agriculteurs. Ils font parfois de bonnes trouvailles. Par exemple, un groupe d’agriculteurs de l’État de Kano au nord du Nigéria a découvert une variété de sorgho qui mûrit deux fois plus vite : deux mois au lieu de quatre. Cela signifie que cette culture peut « battre » la saison sèche de vitesse.

Nouvelles des forêts : En quoi la coopération internationale aide-t-elle les détenteurs de collections autour du monde à préserver leurs semences dans la chambre forte mondiale de graines du Svalbard ?

Asdal : Aucun pays, aucune région, ne peut atteindre l’autosuffisance en matière de ressource génétique des plantes.

Heureusement, la conservation et l’utilisation de ces ressources ont été organisées, au fil des ans, grâce à un effort international commun. La coopération et les programmes de financements internationaux garantissent aussi que les ressources précieuses qui appartiennent à des pays situés dans des régions du monde moins développées sont conservées, sauvegardées et mises à la disposition de la science et de l’amélioration variétale pour tous les pays…et pour l’humanité.

 

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