Trouver un terrain d’entente pour la gestion des forêts communautaires au Pérou

Les chercheurs affirment qu’une approche systématique de la cartographie du consensus pourrait permettre de sortir les discussions politiques complexes de l’impasse
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Vue aérienne de la forêt amazonienne, près de Manaus, la capitale de l’État brésilien d’Amazonas. Brésil. Photo de Neil Palmer/CIAT. Neil Palmer/CIAT

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Le Pérou a reconnu le rôle des peuples autochtones de l’Amazonie dans la garantie de l’utilisation durable de l’un des biomes les plus riches en biodiversité au monde et dans la réalisation de ses plans climatiques et de conservation. Cependant, la gestion communautaire des forêts, ou GCF, a du mal à tenir ses promesses en matière d’amélioration de l’environnement et des moyens de subsistance. Au Pérou, comme dans de nombreux autres pays forestiers tropicaux, les communautés ont souvent du mal à se conformer aux réglementations forestières et sont contraintes de rejoindre le secteur informel, où dominent les relations commerciales injustes et les pratiques non durables.

De nombreux efforts ont été déployés pour promouvoir la GCF, mais le manque de coordination et de continuité entre les programmes a entravé les progrès. Les décideurs politiques nationaux, les techniciens des ONG, les militants des droits des peuples autochtones et les donateurs ont également différents points de vue sur ce que signifie la GCF et sur l’appui qu’ils fournissent.

« En général, les parties prenantes s’accordent sur le fait que la gestion communautaire des forêts est une bonne idée, mais elle est souvent entravée par des divergences de vues sur la manière dont elle devrait être mise en œuvre », a déclaré l’anthropologue social péruvien Juan Pablo Sarmiento Barletti. « Comprendre les différentes perspectives et identifier les points d’accord est crucial pour créer une GCF qui fonctionne à la fois pour les peuples et pour les forêts ».

Une nouvelle étude du Centre de recherche forestière internationale et du Centre International de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF) menée par Sarmiento Barletti a utilisé une approche systématique appelée la méthodologie Q pour identifier les différents points de vues des acteurs, mettant en lumière les zones de désaccord et, surtout, de consensus. Ce travail vise à leur fournir une base solide pour développer et mettre en œuvre des stratégies de GCF plus efficaces.

Au-delà des groupes de discussion

La méthodologie Q combine l’analyse statistique et les entretiens qualitatifs pour mettre en évidence les biais inconscients des participants et clarifier la gamme de perspectives sur un sujet spécifique. S’appuyant sur des applications précédentes de cette approche au Pérou, l’équipe de recherche a travaillé avec un échantillon de leaders autochtones, de décideurs politiques, de techniciens d’ONG, de professeurs d’université, d’étudiants en dernière année de foresterie et de représentants d’organisations donatrices.

Les scientifiques ont commencé par identifier cinq approches hypothétiques de la gestion communautaire des forêts dans la littérature spécialisée et ont élaboré un ensemble de 40 déclarations reflétant les différentes perspectives. Ensuite, ils ont demandé aux participants de noter les déclarations en fonction de leur degré d’accord ou de désaccord avec chacune d’entre elles. Enfin, les acteurs ont été interviewés pour comprendre la logique derrière leur classement. Une analyse statistique ultérieure a révélé l’existence de quatre principales perspectives sur la GCF.

Peter Cronkleton, scientifique principal au CIFOR-ICRAF et co-auteur de l’étude, a souligné l’importance de l’utilisation d’un processus aussi systématique : «Dans une discussion de groupe sur un sujet complexe, les individus peuvent croire que les autres partagent leurs définitions et leurs points de référence sans être conscients des différences de compréhension qu’ils peuvent avoir sur ce sujet », a-t-il déclaré. « L’approche que nous avons utilisée permet de mettre en mots ces perceptions individuelles, de les comparer et d’identifier les similitudes ou les différences ». La méthodologie Q crée un cadre de réflexion sur des aspects auxquels, les personnes elles-mêmes n’auraient peut-être pas pensé et les conduit à clarifier leurs priorités.

Priorités partagées

Le processus a révélé que les perceptions des participants concernant la GCF se répartissaient en quatre catégories : elle devrait soit équilibrer la conservation avec le soutien aux droits des communautés ; encourager le développement des capacités et des entreprises ; être une approche technique pour protéger les forêts dans les territoires des peuples autochtones ; ou être principalement orientée sur le soutien à l’autonomie des peuples autochtones à la base.

La même analyse a identifié des points de consensus entre ces groupes. Par exemple, ils ont convenu que la GCF devrait accorder une importance égale aux droits des communautés et aux objectifs de conservation, et que les profits ne devraient pas être l’indicateur principal du succès.

Ils ont également convenu que les peuples autochtones avaient besoin de soutien pour renforcer leurs capacités, en particulier pour empêcher les entreprises forestières de s’approprier la majeure partie des profits, tout en leur laissant les impacts légaux et environnementaux de l’exploitation forestière.

« Les domaines de consensus pourraient servir de point de départ pour élaborer des stratégies visant à relever les défis liés à l’exploitation forestière informelle et aux relations extractives injustes », indique l’étude. « Cela nécessiterait nécessairement de réorienter le rôle du gouvernement dans le soutien aux peuples autochtones pour développer des moyens de subsistance dignes et durables à partir de leurs forêts, grâce au renforcement des capacités et à un cadre réglementaire favorable ».

Les priorités communes identifiées par la recherche pourraient servir de point de départ pour la collaboration entre les acteurs qui promeuvent la GCF au Pérou, et constituer une base pour la réforme réglementaire, ont noté les chercheurs.

Perspectives différentes

L’étude identifie des points communs, tout en mettant en évidence les principales divergences d’opinion entre les groupes, qui doivent également être prises en compte, par exemple en ce qui concerne le rôle du gouvernement en tant qu’arbitre dans les transactions commerciales et dans l’octroi de permis d’exploitation industrielle dans les zones gérées par les communautés.

D’autres points de désaccord portent sur l’importance des plans techniques et des droits des communautés, la promotion des entreprises communales, la légitimité des normes et sanctions existantes, et l’utilisation de machines lourdes.

Alors que certaines perspectives considèrent la foresterie communautaire comme une démarche technique, d’autres mettent davantage l’accent sur les pratiques de gestion environnementale et de protection des peuples autochtones. De même, il existe une tension pour l’équilibre entre l’appui de leur droit à l’autodétermination et la nécessité de faire respecter la législation environnementale et de surveiller la vente de bois par le gouvernement.

« Le gouvernement doit être conscient qu’il y a peu de consensus sur ces questions, ce qui pourrait exacerber les conflits à l’avenir », ont souligné les auteurs, qui ont exhorté à un dialogue sur ces sujets pour éviter les litiges futurs et élaborer des politiques plus équitables.

La méthodologie Q peut faciliter le dialogue dans la foresterie communautaire et dans d’autres initiatives impliquant une diversité de parties prenantes, d’opinions et d’objectifs, ont déclaré les chercheurs. Partout où il y a une cacophonie de perspectives, elle peut apporter de l’ordre analytique dans la manière dont les gens perçoivent les questions en jeu et mettre en avant les priorités communes, aidant ainsi à sortir les discussions complexes de l’impasse et à les orienter vers la voie de la politique.

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Cette étude a été réalisée dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les politiques, les institutions et les marchés (PIM), dirigé par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). Elle a également été financée par l’Agence norvégienne de coopération au développement (NORAD).

Pour plus d’informations sur ce sujet, veuillez contacter Juan Pablo Sarmiento à J.Sarmiento@cifor-icraf.org ou Peter Cronkleton à  P.Cronkleton@cifor-icraf.org

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