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Les engagements climatiques misent-ils trop sur la plantation d’arbres ?

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Plantation d’Acacia à Yangambi, République démocratique du Congo (RDC). Photo par Axel Fassio/CIFOR-ICRAF.

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D’après un nouveau rapport, nombreux sont les pays à s’être engagés à planter plusieurs millions d’hectares d’arbres pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Or ces efforts, tels qu’ils sont aujourd’hui présentés, n’auront que peu voire pas du tout d’effet sur l’atténuation du changement climatique. Ils pourraient même mettre en danger la production alimentaire mondiale ainsi que les droits des Peuples autochtones et des communautés locales.

Ces engagements climatiques tirent leur origine du concept de « zéro émission nette » suivant lequel l’humanité ne rejette pas plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère que ce que la planète est capable d’absorber. L’objectif de zéro émission nette peut être atteint par la réduction des émissions ou l’augmentation de l’absorption du CO2. De nombreux pays industrialisés se sont donc engagés à planter des arbres ou restaurer des forêts pour compenser leurs émissions.

Même si le calcul semble simple en théorie, la nature est en réalité plus complexe.

« Nous ne disons pas que les solutions fondées sur la nature sont mauvaises », affirme Anne Larson, chercheure senior au CIFOR-ICRAF qui a dirigé un panel de discussion sur le rapport Land Gap le 11 novembre 2022 à la COP27 sur le climat au Caire (Égypte). « Planter des arbres est une bonne chose, mais ce doit être le bon arbre, au bon endroit et pour les bonnes raisons. Ces décisions ne peuvent être pas être prises sans la participation des communautés locales. »

Lorsque les scientifiques ont calculé la superficie de terre nécessaire pour respecter les engagements en matière de reboisement, de plantation d’arbres à grande échelle et de restauration des écosystèmes dégradés, le total s’est élevé à près de 1,2 milliard d’hectares. Cela représente une superficie supérieure à celle des États-Unis et quatre fois la taille de l’Inde, et équivaut actuellement à la superficie de terres affectées à la production alimentaire mondiale, souligne le rapport.

Et cela pose plusieurs problèmes.

Le premier d’entre eux concerne la comptabilisation du carbone pour respecter les engagements « zéro émission nette » à l’horizon 2050.

En théorie, il semble plus facile pour les pays industrialisés de planter des forêts plutôt que de réduire leurs émissions, mais les forêts poussent lentement et les émissions doivent être rapidement réduites pour maintenir la hausse de la température moyenne de la planète en dessous des 2°C d’ici le milieu du siècle.

« La plantation d’arbres ne se substitue pas à la réduction des émissions », indique Kate Dooley, chargée de recherche à l’Université de Melbourne (Australie) et autrice principale du rapport. « Les émissions de carbone issues des combustibles fossiles ne sont pas neutralisées par leur absorption par les arbres et les écosystèmes. Il s’agit de processus fondamentalement différents en termes de stabilité des stocks de carbone. Tout comme on ne peut pas compenser la perte d’une forêt en plantant des arbres, de même on ne peut pas planter des arbres pour compenser la combustion d’énergies fossiles. »

Même si certains pays donnent des précisions quant à leurs engagements axés sur la restauration des forêts ou des paysages, beaucoup restent vagues c’est pourquoi les pays doivent être plus transparents en matière de comptabilisation de leur carbone, ajoute Kate Dooley.

« De nombreuses études indiquent qu’il faut plus de transparence dans les buts et objectifs du zéro émission nette », précise-t-elle. « Le « Net Zéro » en lui seul ne signifie rien, il doit être assorti d’une transparence en ce qui concerne les actions menées. »

Cette transparence doit aussi s’étendre aux endroits où seront plantés les arbres en question, soulignent les auteurs du rapport. La plupart des pays industrialisés à fortes émissions se trouvent dans l’hémisphère nord, tandis que bon nombre de pays visés par la plantation d’arbres font partie de l’hémisphère sud.

Le problème, indique Anne Larson, est que la majeure partie des terres qui devraient être utilisées sont déjà occupées ou exploitées par des Peuples autochtones ou des communautés locales dont des petits exploitants agricoles et des éleveurs nomades. La demande de terres pour compenser les émissions de carbone compromet encore davantage les droits fonciers et la sécurité alimentaire des populations déjà vulnérables.

« Il n’y a pas beaucoup d’endroits sur terre où personne ne vit », dit-elle. « On ne peut pas respecter tous ces engagements liés aux terres sans toucher à celles des Peuples autochtones et des communautés locales. Au cours de l’Histoire, les Peuples autochtones et les communautés locales ont été marginalisés. Leurs terres ont été confisquées à travers des expropriations de toutes sortes. Sans une protection de leurs droits fonciers, qu’est-ce qui serait différent aujourd’hui ? Il faut que nous changions radicalement notre façon d’interagir avec ces communautés. »

Plusieurs études ont montré que lorsque les droits fonciers des Peuples autochtones et des communautés locales sont garantis, leurs forêts sont aussi bien voire mieux protégées que celles qui sont gérées par l’État. Leurs terres favorisent la biodiversité et fournissent des moyens de subsistance aux habitants. Même si ces peuples jouissent de l’usage coutumier de près de la moitié des terres de la planète, leurs droits fonciers ne sont garantis qu’à hauteur de 20 % environ.

Cela signifie souvent que les communautés concernées n’apparaissent pas sur les cartes officielles et que leurs terres apparaissent comme inoccupées, alors qu’elles ont en réalité fait vivre des communautés entières depuis plusieurs générations. Les engagements qui incluent la conversion de terres en forêts sont susceptibles d’exercer une pression encore plus importante sur ces communautés, et accroître les risques de conflits liés aux ressources, prévient l’étude.

Il est crucial, rappelle Anne Larson, que les communautés locales et les Peuples autochtones ne soient pas perçus comme de simples « bénéficiaires » de projets conçus par des experts externes, mais qu’ils aient un pouvoir de décision dès les premières ébauches du projet.

Même la restauration des écosystèmes peut compromettre les droits des communautés locales et limiter l’accès à certaines ressources si elle n’est pas bien réalisée ajoute -t-elle. La solution consiste à leur octroyer des droits fonciers complets et fiables – mais c’est une lutte qui doit être menée encore et encore car les intérêts extérieurs viennent empiéter sur ceux des communautés.

D’après Kimaren Riamit, fondateur et directeur de l’ONG Indigenous Livelihoods Enhancement Partners au Kenya et co-auteur du rapport, les éleveurs nomades traditionnels en Afrique font partie des groupes les plus vulnérables. Ces éleveurs ont leurs propres méthodes traditionnelles pour la gestion et le partage des écosystèmes des terres arides, mais étant donné qu’ils ne disposent généralement pas de droits fonciers officiels, des personnes extérieures ont progressivement empiété sur leurs territoires. Il y a maintenant un risque croissant liés aux projets d’énergie éolienne et solaire ainsi que des programmes de restauration des paysages et de séquestration du carbone.

Les scientifiques affirment que la bonne nouvelle est que certains pays déploient déjà des efforts dans la bonne direction.

Près de la moitié de la superficie des terres incluse dans les engagements climatiques calculés dans l’étude est destinée à la restauration des terres et écosystèmes dégradés, ce qui permet aux populations de continuer à les utiliser. Cela montre que les gouvernements prennent davantage conscience de l’importance de la restauration, pas uniquement pour l’atténuation du changement climatique, mais également pour la protection de la biodiversité et les moyens de subsistance.

« Les terres nous nourrissent, elles sont liées à nos droits humains, nos moyens de subsistance », affirme Kate Dooley. Il faudrait mettre l’accent sur la restauration des terres à usages multiples « où les forêts, l’agriculture et les peuples cohabitent. C’est la priorité absolue  à cause de l’importance cruciale des terres pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance. »

Les pays moins industrialisés où l’agriculture est la principale source d’émissions de carbone pourraient tirer parti de l’agroforesterie qui associe les forêts et les cultures pour la production, ainsi que de l’agroécologie. Dans cette approche holistique de l’agriculture, les principes du bien-être social et écologique s’associent pour améliorer la biodiversité et promouvoir les droits humains, résument les auteurs du rapport.

En levant le voile sur l’énorme quantité de terres incluses dans les engagements climatiques, « nous ne disons pas que c’est bon ou mauvais. Ce que nous disons, c’est qu’il s’agit là de vraies terres avec des personnes qui y vivent, de la nourriture qui y est produite, et que cela représente une énorme superficie dédiée à la compensation des émissions de CO2 par les pays qui se sont engagés », constate Kate Dooley.

« Si les terres contribuent à la réalisation des objectifs pour le climat, alors les pays doivent réfléchir très attentivement à leur approche », ajoute-t-elle. « Quel est le plan de gestion des terres ?  Comment les droits vont-ils être reconnus ? Comment les décisions seront-elles prises ? Des approches globales et consultatives de la gestion des terres seront nécessaires pour le faire de manière bénéfique.”


Consultez le rapport Land Gap à l’adresse suivante : https://www.landgap.org/

Écoutez le débat du 11 novembre 2022 en cliquant ici : https://www.cifor-icraf.org/event/cifor-icraf-at-unfccc-cop27/24002/the-land-gap-report/

 

 

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