Mettre la justice au cœur de l’action climatique

Les engagements des pays doivent être plus transparents et garantir les droits des communautés locales, indique un nouveau rapport.
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Femmes et enfants maasai au Kenya. Photo par Tim Cronin/CIFOR

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Au milieu des cicatrices laissées par la déforestation au sud-est du Brésil se trouve le territoire autochtone kayapó, un oasis de verdure en forme de cœur que les habitants défendent avec acharnement contre l’accaparement des terres par les exploitants agricoles, les éleveurs et les exploitants forestiers. Les envahisseurs ont fait quelques incursions depuis l’est mais 10 millions d’hectares de forêt primaire humide sont encore intacts, séquestrant le carbone depuis des milliers d’années et servant de rempart contre les feux.

Le territoire kayapó donne une véritable leçon aux responsables des politiques climatiques, affirment les panélistes qui ont discuté du nouveau rapport Land Gap le 11 novembre 2022 à l’occasion d’une  session parallèle, lors de la COP27 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à Sharm El-Sheikh (Égypte).

Le rapport tire la sonnette d’alarme quant au fait que les gouvernements misent trop sur la plantation d’arbres pour atténuer le changement climatique, alors même que la priorité devrait être donnée à la préservation des forêts existantes, à la restauration des écosystèmes dégradés et à la protection des droits des peuples qui assurent la gestion de ces terres de génération en génération.

« Les données montrent que les territoires forestiers détenus légalement par les communautés subissent une déforestation moins importante, séquestrent davantage de carbone, favorisent davantage la biodiversité et offrent plus de bénéfices aux populations, en comparaison avec les terres gérées par des organismes publics ou privés », a déclaré lors du débat Anne Larson, checheure principale au CIFOR-ICRAF.

Mais ces communautés pourraient être mises en danger par les pays qui s’engagent à compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en plantant des arbres, notamment les pays du Nord qui suggèrent de convertir plusieurs millions d’hectares de terres déboisées ou dégradées du Sud, en forêts et plantations d’arbres.

En additionnant les engagements de 166 pays et de l’Union européenne, les auteurs du rapport Land Gap ont calculé qu’il faudrait utiliser 1,2 milliard d’hectares de terres, soit une superficie supérieure à celle des États-Unis et quatre fois supérieure à celle de l’Inde. Une telle superficie de terre enlève tout réalisme à ces projets, affirment les scientifiques.

« Recouvrir la planète d’arbres imaginaires est absurde », a ajouté sans détour Virginia Young de l’Université de Griffith (Australie) lors du débat.

À cela viennent s’ajouter des problèmes liés aux droits fonciers et à la justice climatique.

« Les engagements, tels qu’ils sont aujourd’hui présentés, ne peuvent pas être respectés sans inclure les terres coutumières et les territoires des Peuples autochtones et des communautés locales », a poursuivi Anne Larson. « Nous avons besoin d’un gros changement de paradigme dans la façon dont nous cherchons à résoudre la crise climatique mondiale. Et ce nouveau paradigme doit non seulement être efficace dans la lutte contre les émissions de carbone, mais il doit également être juste si nous voulons transformer la façon dont nous vivons sur cette planète. Des solutions décousues comme la plantation d’arbres ne vont pas fonctionner, a fortiori pour les Peuples autochtones, les communautés locales et les exploitants agricoles qui vivent sur ces terres rurales. »

D’après Kimaren Riamit, fondateur et directeur de l’ONG Indigenous Livelihoods Enhancement Partners au Kenya et co-auteur du rapport Land Gap, les risques que représentent les solutions fondées sur la nature ne tenant pas compte des communautés locales, se rapprochent dangereusement.

« Ce n’est pas un hasard si la plus forte concentration de biodiversité se trouve sur les territoires des Peuples autochtones. C’est grâce à leur système de valeurs. Grâce à leurs connaissances traditionnelles et leur relation positive avec la nature », a dit Kimaren Riamit lors du débat. « Nous ne devons recommencer à déposséder les Peuples autochtones. Nous devons au contraire placer les droits humains au cœur des discussions et des décisions liées au changement climatique. »

Les inquiétudes en matière de justice climatique ont pris de l’ampleur lorsque le concept de « zéro émission nette » (la quantité de carbone émise dans l’atmosphère ne doit pas dépasser celle du carbone absorbé) a commencé à faire l’objet d’une attention croissante. Les engagements « zéro net » des pays suggèrent que le carbone peut être physiquement retiré de l’atmosphère avec le recours à des technologies non avérées, ou bien absorbé par le biais de solutions fondées sur les terres comme la plantation d’arbres ou la restauration écosystémique.

Or, le problème c’est que la plupart des engagements « zéro net » ne sont pas détaillés. Un pays pourrait donc continuer à utiliser davantage de combustibles fossiles tant qu’il s’est engagé à accroître ses solutions d’élimination du carbone, a déclaré Wim Carton de l’Université de Lund (Suède).

Dans un discours prononcé le 8 novembre 2022 lors de la COP27, le Secrétaire général de l’ONU António Guterres a alerté sur le fait que ces imprécisions créent « des failles suffisamment grandes pour y faire passer un camion roulant au diesel. » Le rapport Land Gap montre que « ce n’est pas juste une inquiétude qui se manifeste dans nos modèles, c’est un problème qui apparaît déjà dans les engagements des pays », a ajouté Wim Carton.

« Nous avons besoin que les engagements des gouvernements soient plus transparents, notamment en ce qui concerne l’utilisation des terres, ce sur quoi ils comptent en matière d’élimination du carbone fondée sur les terres, et quelle superficie de terre serait nécessaire », a décrit Kate Dooley, chargée de recherche à l’Université de Melbourne (Australie) et autrice principale du rapport. Elle a alerté quant au fait que les efforts déployés par certains pays pour rendre confidentiels les détails du système de compensation, ne feraient que compromettre davantage le principe de transparence.

Les paysages restaurés qui incluent des forêts et des exploitations agricoles peuvent constituer une solution durable, estime le rapport, tant qu’ils tiennent compte des valeurs sociales et écologiques, un principe connu sous le nom d’agroécologie, et si les plans incluent des objectifs spécifiques tout en garantissant les droits des communautés locales. Le Bélize, la Namibie, le Malawi et Myanmar font partie des pays dont les plans « zéro net » incluent des précisions sur la superficie de terre à restaurer par le biais de l’agroforesterie.

Toutefois la stratégie fondée sur la nature la plus importante consiste à garantir que le carbone séquestré dans les forêts primaires y reste bel et bien. Les forêts primaires « continuent de séquestrer le carbone, donc le mythe voulant que nous coupions des arbres pour séquestrer plus de carbone… N’est rien d’autre qu’un mythe », a dit Virginia Young.

À l’heure actuelle, les règles de comptabilisation du carbone ne reconnaissent pas la valeur de ce carbone séquestré, a-t-elle ajouté, même si certaines propositions ont été formulées pour modifier ces règles.

En ce qui concerne la restauration écosystémique, a-t-elle poursuivi, « la conclusion est on ne peut plus claire : la meilleure chose que l’on puisse faire est de permettre aux forêts naturelles secondaires de se régénérer. La majeure partie des forêts naturelles secondaires séquestrent actuellement 30 % à 70 % de carbone en moins que ce que leur capacité naturelle permet, ce qui signifie qu’elles ont le potentiel de séquestrer bien plus de carbone si elles sont correctement protégées. »

Les stratégies pour le climat fondées sur la nature doivent être conçues non seulement pour l’élimination et la séquestration du carbone, mais également pour favoriser la biodiversité et la bonne santé des écosystèmes, a indiqué Virginia Young qui plaide pour une approche plus holistique qui permettrait de créer une passerelle entre la Convention sur le climat et la Convention sur la diversité biologique.

Pour l’essentiel, a indiqué Anne Larson, toutes les propositions fondées sur la nature doivent prendre en considération les défenseurs traditionnels des terres et des forêts. « Aucune solution biophysique ne doit être appliquée sans s’assurer au préalable que les droits et les moyens de subsistance des Peuples autochtones et communautés locales sont garantis. », a-t-elle conclu.


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