Pour garantir l’efficacité des efforts des pays en termes de réduction de leurs émissions au titre de l’Accord de Paris, les niveaux d’émissions de référence pour les forêts (NERF) doivent être aussi clairs et précis que possible. Il est particulièrement important que l’Indonésie évalue avec exactitude les niveaux d’émissions de référence pour ses forêts car il s’agit du pays qui abrite la grande majorité des écosystèmes de zones humides riches en carbone, dont 23 % des tourbières tropicales et plus d’un cinquième des mangroves mondiales.
En 2016, l’Indonésie a soumis à la Convention-Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) son premier rapport NERF. Il s’agissait là d’un effort louable dans ce nouveau domaine et les experts ont suggéré plusieurs pistes d’amélioration dont la prise en compte des émissions issues des feux de tourbe qui représentaient 27 % des émissions nationales en 2014, ainsi que les émissions issues de gaz à effet de serre (GES) autres que le CO2, à l’instar du méthane. Depuis, le pays a enregistré d’importants progrès dans l’évaluation et le suivi de ces émissions, notamment via l’utilisation de nouvelles techniques de production de données.
Le 13 juin 2022, le Centre de recherche forestière internationale–Centre International de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF) ainsi que la National Research and Innovation Agency (BRIN) d’Indonésie, ont coanimé un atelier national pour mettre en contact les décideurs politiques, les parties prenantes et la société civile avec les scientifiques. Le but était de les aider à mieux comprendre les processus de développement et d’amélioration des NERF en Indonésie, faciliter le partage de connaissances sur l’amélioration des NERF avec d’autres pays du Sud, notamment ceux qui possèdent des zones humides, ainsi qu’identifier les besoins pour l’amélioration ultérieure des NERF.
Daniel Murdiyarso, chercheur principal au CIFOR, a planté le décor en soulignant l’importance du leadership indonésien en matière de développement des NERF, précisant que « ces considérations techniques renforceront vraiment la crédibilité des NERF à l’avenir et sont le fruit d’une forte demande formulée par de nombreux autres pays. » Le Directeur général du CIFOR-ICRAF, Robert Nasi, a adopté une perspective plus large en indiquant que les principaux objectifs de l’organisation visent à lutter contre les crises mondiales liées à la dégradation des terres, la perte de la biodiversité, le changement climatique ainsi que la durabilité des systèmes alimentaires et des chaînes de valeur.
Iman Hidayat, directeur de recherche biologique et environnementale au sein de la BRIN, a ensuite parlé de l’impératif moral relatif aux actions à entreprendre pour atténuer le changement climatique. « Nous avons le devoir d’œuvrer pour léguer un monde accueillant aux générations futures », a-t-il déclaré, « donc nous devons atténuer les effets du changement climatique sur nos terres. » Il a ensuite dressé la liste des principaux points d’amélioration des NERF, notamment l’utilisation de multiples méthodologies permettant de mesurer les changements en matière de carbone forestier à divers niveaux, les améliorations concernant la précision et l’efficacité des travaux réalisés par la communauté scientifique impliquée dans le processus, ainsi qu’une participation multipartite pour veiller à une répartition équitable des mesures incitatives liées à la réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts.
Les autres orateurs ont discuté des principaux points et changements appliqués au deuxième rapport des NERF soumis par l’Indonésie. Arief Darmawan, un conférencier du Département de la foresterie à l’Université de Lampung, ayant participé à l’élaboration des deux premiers rapports des NERF du pays, a exposé plus en détail les changements en question. Dans le rapport de 2022, de nouveaux éléments ont été pris en compte dont : le renforcement des stocks de carbone forestier dans les sols organiques et minéraux ; la biomasse souterraine dont le carbone présent dans la litière et le sol des forêts de mangrove ; les émissions de gaz autres que le CO2 ; les émissions issues des feux de forêts ; ainsi qu’une évaluation plus approfondie des incertitudes. « La collaboration avec de nombreuses autres institutions a pris du temps, mais elle nous a également permis d’améliorer nos connaissances », estime-t-il. « D’importantes améliorations ont également été enregistrées lors de ce second essai grâce à la prise en compte de nouvelles données, à des technologies améliorées ainsi qu’à un plus grand champ d’activités. »
Kristell Hergoualc’h, chercheure senior au CIFOR, a ensuite partagé les détails de certaines de ces améliorations. Elle a notamment mentionné le fait que les nouveaux NERF intègrent dans les chiffres de la déforestation les changements relatifs au couvert forestier après la conversion des terres. Elle a également indiqué les domaines dans lesquels des travaux supplémentaires sont nécessaires, tels que la désagrégation des données sur les sols à divers niveaux de dégradation et de déforestation, la prise en compte d’activités comme la transition d’une forêt secondaire à une forêt primaire ainsi que la réduction des émissions issues de la réhumidification des tourbières.
Oswaldo Carrillon, statisticien indépendant au Mexique, a poursuivi en partageant des pistes de réflexion sur l’analyse des incertitudes dans l’élaboration des NERF, dont l’examen des méthodes et des hypothèses, la prévention contre les biais cognitifs, ainsi que la quantification et l’intégration des incertitudes dans les facteurs d’émission et données relatives aux activités. « Il existe de nouvelles méthodes avancées fondées sur l’échantillonnage qui permettent de réduire les incertitudes des données d’activité. D’autres méthodes innovantes tentent également de supprimer la corrélation entre les variables afin de réduire les incertitudes des facteurs d’émission », a-t-il indiqué. « Il y a aussi de nouveaux outils en cours de développement pour mettre en application ces méthodes avec plus de pertinence et d’exhaustivité. »
La deuxième réunion de l’atelier a permis de passer en revue les initiatives régionales. Djoko Hendratto, Président directeur de Indonesian Environmental Fund Management Agency, a abordé les mesures prises par le gouvernement afin de constituer un puits de carbone à absorption nette des émissions dans le secteur de la foresterie et de l’utilisation des terres à l’horizon 2030 (FOLU Net Sink 2030). Il a également évoqué l’aspect réglementaire et financier ainsi que le renforcement des capacités institutionnelles et humaines. Anna Tosiani, analyste de données au sein de la Direction pour l’Inventaire et le suivi des ressources forestières (Ministère de l’Environnement et des forêts), a présenté les rapports sur les NERF de l’Indonésie en soulignant les progrès réalisés pour l’élaboration du second rapport. Rudi Syaf, Directeur du Indonesian Conservation Community Warsi (WARSI), a ensuite partagé les multiples expériences et bonnes pratiques recensées en matière de conservation et de développement communautaire sur le terrain.
La troisième et dernière réunion de l’atelier a permis de réfléchir à des solutions pour prendre contact avec d’autres gouvernements et des membres de la société civile qui partagent des idées communes. Haruni Krisnawati, chercheure senior au BRIN et coordinatrice principale du International Tropical Peatland Center (ITPC), a présenté quelques-uns des efforts déployés par l’ITPC pour renforcer les liens entre les parties prenantes, accroître le partage des connaissances ainsi que pour amorcer le renforcement des capacités au sein des gouvernements, de la communauté scientifique et de la société civile au sujet de la science des tourbières tropicales. Parmi ces efforts se trouvent le développement d’une plateforme virtuelle de partage des connaissances, l’élaboration d’un répertoire d’experts et l’élargissement du réseau de défense des tourbières tropicales.
Michael Dougherty, Directeur de l’équipe de communication au CIFOR, a adopté une perspective une large en examinant plus généralement l’importance des plateformes de diffusion des connaissances en termes de création de contenu spécifique pour améliorer la compréhension et l’accessibilité des informations, ainsi qu’en œuvrant pour accélérer les progrès du CIFOR en la matière. « Ce qu’on obtient c’est une amélioration des performances d’une organisation, d’une initiative ou d’une activité : nous renforçons nos mécanismes de prise de décision, nous améliorons nos méthodes de résolution des problèmes et nous renforçons notre leadership dans le domaine en question », a-t-il constaté. « Avec ces plateformes nous avons la possibilité de réaliser de nombreux progrès en matière d’efficacité et de développement. »
Et c’est absolument indispensable pour lutter contre les crises auxquelles le monde est aujourd’hui confronté, a-t-il ajouté. « Ces plateformes ont un effet démultiplicateur et permettent vraiment de réaliser des changements à l’échelle mondiale. Prenez l’exemple de nos interventions aujourd’hui : il s’agit de problématiques globales auxquelles nous devons trouver des solutions globales. Pour faire de vrais changements à l’échelle mondiale, il est crucial de pouvoir mobiliser et promouvoir ce genre de réseaux. »
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