Conservation et développement : les financements sont-ils attribués à ceux qui en ont le plus besoin ?
Au cours de ces dernières décennies, nous avons vu une hausse du nombre des initiatives visant à conjuguer à l’échelle du paysage les objectifs de la conservation avec ceux du développement. Puisqu’elles drainent de plus en plus de ressources, il serait intéressant de connaître les facteurs qui pèsent sur les décisions de financement.
Par exemple, les bénéficiaires de l’aide sont-ils ceux qui en ont le plus besoin pour la conservation de la biodiversité et/ou le développement économique ? Ou les considérations politico-économiques et de gouvernance prévalent-elles dans les décisions ? Compte tenu du manque de données et des maigres connaissances dont nous disposons, nous avons décidé d’enquêter sur le sujet. Une enquête aux résultats inattendus. Les initiatives pour le paysage Le principe sur lequel reposent ces initiatives est que le « paysage » constitue une échelle appropriée pour identifier des solutions durables qui tiennent compte de priorités parfois divergentes puisqu’on y observe une diversité de population et de centres d’intérêt et qu’on y retrouve les grands enjeux de la société et de l’écologie. Grâce à l’aide accrue des bailleurs de fonds, des gouvernements et de la communauté scientifique, les ressources (financières et techniques) affectées à ces initiatives ont augmenté au cours des 20 aux 30 dernières années, ce qui laisse penser que le financement de ces projets et leur mise en œuvre est un phénomène répandu dans le monde. On ne connaît cependant pas l’ampleur des financements qui parviennent aux projets conjoints de conservation et de développement ni l’identité des territoires géographiques bénéficiaires. Pour remédier à ce déficit de connaissances, nous avons analysé les projets réalisés entre 1995 et 2013 qui ont été financés par la Banque mondiale et le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM). Nous voulions estimer le montant et l’objet de ces financements, savoir si les projets soutenus étaient ceux qui en avaient le plus besoin sur le plan de l’environnement et du développement et, enfin, connaître les facteurs pris en compte lors de l’attribution de l’aide. Nous avons constaté que l’aide financière de la Banque mondiale et du FEM pour les projets conjoints de conservation et de développement a été répartie entre 75 pays tropicaux et subtropicaux. Au cours de ces 19 années, cette aide s’est élevée à 16,5 milliards USD, ce qui représente une moyenne d’environ 870 millions USD par an. Cependant, sur la période étudiée, le montant et la fréquence du financement étaient très variables en fonction des pays. Sur ces 75 pays, le Mexique, le Brésil et l’Inde ont reçu la majorité de cette aide financière tandis que Djibouti, la Côte d’Ivoire et les Comores font partie des moins bien lotis. À l’échelle régionale, l’Amérique latine et les Caraïbes présentaient le plus grand nombre de projets financés (148) et étaient de loin les bénéficiaires les plus importants, avec plus de la moitié du montant total de l’aide, soit plus de 8,5 milliards USD. Riche biodiversité et faible développement économique Pour explorer ces tendances de financement et essayer de comprendre les facteurs qui pèsent dans les décisions, nous avons défini le profil des pays pour découvrir leur situation en matière d’environnement et de développement. Nous avons recensé les indices de développement humain (IDH) et les données relatives l’abondance des espèces pour les mettre en perspective afin de faire ressortir les zones tropicales présentant une riche biodiversité et un faible développement économique (high biodiversity and low economic development ou HBLD en anglais). Nous avons ensuite superposé sur ces informations les données de l’aide financière afin de disposer d’une représentation visuelle pour évaluer si les fonds sont affectés aux zones les plus prioritaires du point de vue de l’environnement et du développement. Puis nous avons procédé à une modélisation pour tenter de cerner si une biodiversité abondante et une situation de faible développement (HBLD) étaient des indicateurs d’aide financière. Globalement, notre analyse a montré que si les pays HBLD recevaient une aide financière générale (35 bénéficiaires sur 39 pays), il n’existait pas de différence significative entre ces pays HBLD et les autres en matière d’aide reçue par habitant ou en fonction de la superficie. En résumé, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, une riche biodiversité et une situation de faible développement économique n’étaient pas des indicateurs de financement. Il n’y avait pas non plus de lien entre la situation de développement d’un pays et les fonds reçus, que la mesure soit établie en fonction du nombre d’habitants ou de la superficie. Encore plus surprenant, tout en tenant compte de la superficie, ainsi que des facteurs de gouvernance et d’inégalité, nous avons découvert que, sur le plan de la biodiversité, les pays moins bien dotés bénéficiaient de plus de financement par habitant que ceux où elle est abondante. L’état de la biodiversité n’était donc pas un paramètre déterminant des décisions de financement prises par les bailleurs de fonds. Pour chaque pays, nous avons aussi évalué la relation entre le nombre d’espèces menacées (grâce aux données de la Liste rouge des espèces menacées de l’UICN) et l’attribution d’une aide financière. De même, aucun lien n’a pu être mis en évidence. Cela veut dire que les pays comptant des espèces rares et en danger n’ont reçu aucun financement supplémentaire au titre de la conservation et/ou du développement économique par rapport aux autres pays en général. La gouvernance et la stabilité politique, paramètres de poids dans les décisions de financement Nous intéressant ensuite à la gouvernance, nous avons découvert que les pays affichant une cote satisfaisante, c’est-à-dire ceux ayant une réputation d’efficience avec peu de corruption, recevaient davantage de financement en fonction de la superficie, ce qui laisse penser que la stabilité politique pourrait entrer en ligne de compte lors de l’attribution des fonds. Il se peut aussi que l’attribution de l’aide ait été alignée récemment, au moins en partie, sur d’autres objectifs de conservation, comme le potentiel d’atténuation du changement climatique. Par exemple, les capacités énormes de piégeage et de stockage du carbone des forêts tropicales humides d’Amérique centrale et du Sud, d’Afrique de l’Ouest et du Sud-Est asiatique expliquent sans doute en partie leur attrait pour les bailleurs de fonds, tandis que certaines régions sèches du monde font figure de parents pauvres, peut-être en raison de l’absence d’avantages sur le plan de l’atténuation du changement climatique, même si elles subissent les effets des transformations environnementales à cause de la modification du climat. Conclusion En résumé, nous avons constaté que ni la biodiversité ni l’indice de développement humain ne semblaient être pris en compte dans l’attribution de l’aide financière. En revanche, notre analyse a mis en évidence que la gouvernance et les facteurs politico-économiques, qui correspondent à l’inégalité dans nos modèles, pèsent davantage dans les décisions. Il faut signaler qu’il n’a pas été aisé d’obtenir les données nécessaires à la réalisation de cette étude ; de toute évidence, il serait utile de s’employer à élaborer des indices fiables de biodiversité à l’échelon national et infranational pour les mettre à la disposition du public. De même, une réflexion serait bienvenue sur les modalités de définition, de mesure et de comparaison des progrès au niveau des pays, et cette analyse devrait tenir compte de variables (autres que le PIB) qui contribuent à la santé économique, sociale, politique et environnementale d’un pays. Enfin, d’autres travaux de recherche pourront s’appuyer sur notre étude en examinant la performance et le rapport coût-efficacité des projets conjoints de conservation et de développement pour mieux comprendre les critères et les raisons du choix des zones prioritaires, et enfin la finalité visée. |
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