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REDD+ : qu’en est-il des rémunérations et récompenses prévues pour les déforestations évitées en Afrique centrale ?

Étude du rôle de la communication dans la mise en œuvre des projets
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Vue aérienne d’une forêt au Cameroun. CIFOR/Mokhamad Edliadi

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Les forêts tropicales jouent un rôle central dans la lutte contre le réchauffement climatique en séquestrant d’immenses stocks de carbone. Mais chaque année, la déforestation, ou les activités agricoles qui dégradent les terres, relâchent environ un quart des gaz à effet de serre produits dans le monde.

La REDD+ (réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts) est une initiative politique conçue sous la forme d’un mécanisme incitatif dont l’objectif est de préserver les forêts et de juguler les émissions. La question de la REDD+, souvent désignée par le Cadre de Varsovie, a fait l’objet des premières discussions en 2005. Elle a été adoptée lors de la COP19 dans le cadre des négociations sur le climat en 2013, puis reconnue en 2015 par l’Accord de Paris.

La REDD+ avait été pensée au départ comme un moyen, pour les pays industrialisés, de rémunérer les propriétaires et les usagers des forêts des pays du Sud, sur des résultats tangibles de réduction d’émissions, et des efforts tournés vers la réalisation des objectifs climatiques mondiaux.

Cependant, le marché mondial du carbone fondé sur des régimes de conformité autour desquels devaient s’articuler les crédits financiers ne s’est pas concrétisé, faisant que les initiatives REDD+ sont aujourd’hui essentiellement financées par les donateurs. Ces programmes de paiements basés sur les résultats sont soutenus, entre autres, par l’Initiative Internationale pour le Climat et les Forêts (NICFI) mise en place par la Norvège, le programme REDD+ Early Movers lancé par l’Allemagne et le Fonds vert pour le climat, l’organisme de financement de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Si la REDD+ a depuis fait l’objet d’analyses sur de nombreux aspects, notamment sur son évolution au niveau des politiques nationales et infranationales en lien avec ces dynamiques, une récente étude menée conjointement par des scientifiques du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et de Le Mans Université en France s’est attachée à mieux comprendre les rémunérations et les récompenses prévues pour les déforestations évitées ou réduites, une fois les projets REDD+ mis en œuvre en Afrique centrale.

L’analyse de la communication par l’application d’un schéma narratif – spécifiquement adapté à l’analyse des techniques de narration utilisées pour expliquer et promouvoir les projets REDD+ par les normes de certification carbone – a révélé aux chercheurs que la schématisation poussée à l’extrême avait concouru à empêcher la réalisation des objectifs, entraîné des déceptions et finalement conduit à une perte de motivation.

Leurs résultats, publiés dans International Forestry Review, décrivent comment l’argumentaire a été relayé par cinq normes majeures de certification du carbone.

Ces normes carbones sont des labels qui certifient que les crédits carbone sont émis pour les projets respectant des critères socio-environnementaux viables.

Les labels examinés – parmi lesquels Gold StandardVerified Carbon StandardCarbon Community and Biodiversity StandardPlan Vivo et Social Carbon — avançaient la possibilité d’obtenir des aides financières et des récompenses en contrepartie d’un volume de déforestation limité.

« Nous souhaitions mettre en exergue et comprendre comment ces organismes de certification structuraient leur conception de la REDD+ par écrit pour encourager la mise en place de projets de réduction de la déforestation en Afrique centrale », explique Moïse Tsayem Demaz, professeur à Le Mans Université.

« Pour de nombreux pays de la région à forte couverture forestière, notamment le Cameroun, l’adhésion à la REDD+ constituait un moyen d’obtenir un avantage financier, pas uniquement destiné à la réduction de la déforestation, mais pouvant également stimuler le développement économique et social », ajoute-t-il.

Moïse Tsayem Demaze, Richard Sufo-Kankeu, maître de conférences à Le Mans Université, et Denis Sonwa, scientifique du CIFOR, ont voulu vérifier si les promesses de ces organismes de certifications avaient été tenues et si les paiements et récompenses avaient été attribués conformément au cadre des projets.

« Nous souhaitions surtout faire ressortir l’argumentaire de la REDD+ utilisé lors de la mise en œuvre de projets pilotes spécifiques en Afrique centrale », commente R. Sufo-Kankeu.

CADRE DU DÉBAT

L’argumentaire accompagnant la mise en œuvre était formulé d’après un « cadre narratif conceptuel » spécifique aux organismes de délivrance de labels carbone, et non pas aux entités internationales qui avaient défendu les programmes REDD+ avec l’objectif d’aider financièrement les pays en développement, ajoute-t-il.

Les techniques narratives utilisées par ces organismes insistent sur le suivi du recul de la déforestation et les réductions d’émissions de carbone qui en découlent. Ils insistent sur les résultats en termes de réduction des gaz à effet de serre, de paiements et de récompenses en lien avec les marchés du carbone.

En exploitant les principes du marketing, de la gestion commerciale et de la communication politique, ils réussissent à mobiliser leur public cible. Les scientifiques ont observé que ces techniques véhiculaient des valeurs positives, un sentiment d’urgence et la nécessité d’agir.

L’émergence de cette stratégie de communication remonte aux années 1990 et fut inspirée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, soutenu par les Nations unies, qui espérait faciliter ainsi la compréhension de sujets complexes et susciter l’action.

Ces pratiques ont, d’après les chercheurs, inspiré les techniques narratives utilisées par les labels des normes carbone pour lancer les premiers projets REDD+ en Afrique centrale. Ces schémas de certification des forêts et d’écolabel qui encourageaient la REDD+ donnaient dès le départ l’impression qu’il serait simple de la mettre en œuvre et d’en tirer des avantages financiers ou des paiements issus des crédits carbone.

Les chercheurs ont élaboré un cadre d’analyse des techniques narratives à l’aide duquel ils ont examiné les documents et recensé 11 projets REDD+, validés et certifiés, en République démocratique du Congo (RDC), République du Congo, Cameroun et Rwanda. Les scientifiques ont alors envoyé un questionnaire à 30 personnes situées dans tous les pays d’Afrique centrale, et ont reçu les réponses de 13 experts, tous venant du Cameroun et de RDC.

Les résultats de l’enquête ont révélé que la REDD+ était globalement perçue comme un moyen permettant à la fois de financer le secteur forestier et d’améliorer le niveau de vie des zones rurales.

« Les projets sélectionnés étaient des vitrines de la faisabilité de la REDD+ à un moment où elle n’était pas encore bien définie », indique D. Sonwa. « Notre analyse indique que la communication sur la REDD+ permettait d’insister sur ses mérites et de souligner sa faisabilité et les retombées positives potentielles. »

Pourtant, malgré la mise en œuvre des projets, aucun des experts ayant répondu à l’enquête n’a eu connaissance d’un projet conforme REDD+ en Afrique centrale ayant donné lieu à une compensation financière ou une récompense.

CE QUI N’A PAS ÉTÉ DIT

Les organismes ont trop schématisé la faisabilité de la REDD+, en indiquant par exemple que le « développement durable » serait un résultat, mais sans plus d’explication, et sans tenir compte de la difficulté d’y parvenir, en particulier dans les zones forestières, sources de revenus et de moyens de subsistance, soulignent les chercheurs.

Enfin, les chercheurs ont observé que les projets REDD+ se bornaient aux données du carbone et à la valeur financière des déforestations évitées, et n’accordaient qu’une attention limitée aux moyens et aux méthodes permettant de réduire effectivement la déforestation et d’améliorer les moyens de subsistance, ajoute M. Tsayem Demaze.

« Il apparaît que le concept de marché du carbone de la REDD+ a perdu de son intérêt dans la région, et l’enthousiasme pour la REDD+ a été en parti remplacé par des sentiments partagés entre espoir et déception », commente D. Sonwa.

Leurs conclusions mettent en évidence la nécessité de réduire l’écart entre les promesses et la réalité afin que la REDD+ produise des résultats tangibles à l’échelon local.

La question de ces espoirs déçus a été abordée dans l’ouvrage publié par le CIFOR en 2018, REDD+ : la transformation, révélant que les objectifs initiaux n’avaient pas été atteints en raison d’attentes peu réalistes.

« Si l’on fait le point », écrivent les auteurs, « bon nombre des espoirs nourris initialement pour la REDD+ étaient en fait idéalistes. »

Ces fortes attentes ont eu pour effet de mobiliser les financements et l’enthousiasme, afin d’augmenter les chances de réussite, mais ces attentes élevées, comme il est décrit dans l’ouvrage du CIFOR, ont aussi créé les conditions d’une déception de taille lorsque les résultats attendus ne se sont pas concrétisés.

« Si l’espoir est tempéré, les acteurs nationaux n’ont pas encore abandonné la possibilité de recevoir les financements internationaux des projets REDD+, d’autant plus que cet argent semble représenter une part de plus en plus significative de l’aide financière pour le développement », ajoute R. Sufo-Kankeu.

DES RESSOURCES ÉMERGENTES

Il se trouve, fait remarquer D. Sonwa, qu’une autre initiative de paiements basés sur les résultats monte actuellement en puissance dans au moins une région du continent. L’année dernière, l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI) a reçu plus de 300 millions USD d’engagement pour inciter à réduire les émissions de carbone.

Pour la première fois, un accord de 150 millions USD entre le Gabon et la Norvège dans le cadre du CAFI matérialise le premier paiement basé sur les résultats qu’un pays africain va recevoir dans un contrat de dix ans, pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre due à la déforestation et à la dégradation, et pour l’absorption du dioxyde de carbone par ses forêts naturelles, a déclaré la NICFI dans un communiqué.

Le partenariat a pour but d’inciter le Gabon à diminuer ses gaz à effet de serre par la mise en place d’un prix plancher du carbone à 10 USD par tonne certifiée.

« Cet engagement est le signe que le changement est en marche », fait remarquer D. Sonwa. « À mesure que la REDD+ évolue et que d’autres bailleurs de fonds s’impliquent, les pays africains continuent de mettre en œuvre des initiatives de conservation des forêts et de lutte contre le changement climatique pour tenter de bénéficier du soutien réservé aux mesures durables qui permettront, au final, de maintenir les forêts sur pied. »

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