La restauration des paysages ne sera complètement effective que si elle livre des bénéfices sociaux parallèlement aux bénéfices écologiques.
Lors du récent Forum mondial sur les paysages (Global Landscapes Forum, GLF) qui s’est tenu à Accra au Ghana, les débats portant sur les politiques foncières et la restauration des paysages forestiers à Madagascar ont permis de mettre en lumière certains problèmes qui empêchent la réalisation des résultats visés sur le plan social et celui de la restauration écologique à l’échelle de la planète.
Le Défi de Bonn et les Décennies des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes et pour l’agriculture familiale constituent des initiatives de restauration mondiales d’une importance capitale. Elles sont conçues, organisées et financées par des instances de l’ONU, les principaux pays donateurs, des Organisations internationales non gouvernementales (ONG) et les gouvernements nationaux participants qui ont souscrit à leurs ambitieux objectifs de restauration des forêts, des terres agricoles et des écosystèmes dégradés.
Dans le cadre du Défi de Bonn, 28 pays d’Afrique adhérant au réseau AFR100 (Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains) se sont engagés à restaurer 113 millions d’hectares de forêts dégradées.
Lorsqu’on parle de « consulter » les parties prenantes locales, on pourrait croire qu’elles détiennent un certain pouvoir décisionnel, mais c’est loin d’être le cas.
Les experts s’accordent pour affirmer que les communautés doivent être consultées à chaque étape de la planification et de la mise en œuvre.
Mais trop souvent « les consultations » prennent la forme d’échanges sommaires avec les communautés et ce sont des entités externes qui prennent les décisions importantes relatives aux pratiques liées à l’utilisation des terres, au financement, à la conception des programmes, à la gouvernance locale, aux mesures incitatives, à la réglementation, aux résultats visés et à la répartition des avantages.
En réalité, les communautés n’ont aucun pouvoir réel de négociation, et même pas la possibilité de rejeter des propositions qu’elles considèrent irréalistes ou comme n’étant pas leur avantage. Cette absence de pouvoir chez les communautés n’est pas sans profondes conséquences.
Les membres des communautés agissent sur les paysages en décidant de l’occupation des sols : forêts, agriculture, habitations ou autres usages, et des modalités y afférentes. Positifs ou négatifs, les résultats des efforts de restauration se trouvent en grande partie dans leurs mains. Si les responsables de la planification dans les gouvernements et les ONG peuvent recommander ou même prescrire l’adoption de pratiques et de technologies nouvelles dans le domaine de l’utilisation des terres, censées favoriser la restauration et l’exploitation durable, ce sont les communautés qui, au final, décident ou non si les pratiques conseillées sont pragmatiques et réalistes.
Parce qu’ils vivent et travaillent au plus près des problèmes de gestion des ressources, les usagers des terres sont le plus en mesure de faire des choix éclairés sur la meilleure gestion des terres et sur leur exploitation la plus durable dans une optique de bénéfices environnementaux, économiques et sociaux. Les études scientifiques ont révélé que les pratiques imposées de l’extérieur manquent souvent de crédibilité sur le plan technique et possèdent rarement une légitimité politique.
Ce lien entre la réalisation effective de résultats positifs et une prise de décisions démocratique est souvent négligé dans les programmes de restauration des forêts.
Lorsqu’on parle de « consulter » les parties prenantes locales, on pourrait croire qu’elles détiennent un certain pouvoir décisionnel, mais c’est loin d’être le cas.
Les pouvoirs publics peuvent imaginer des mesures incitatives en faveur de la restauration, mais ce sont surtout les usagers des terres qui décident si ces mesures sont appropriées ou suffisantes pour motiver de nouvelles pratiques d’utilisation des terres.
Les pouvoirs publics peuvent tenter de décourager des pratiques destructives en la matière par la réglementation et la sanction. Cependant, si l’on compte trop sur l’élaboration de règles et sur leur application, cela peut s’avérer inutilement pesant et contraignant et n’incitera pas les communautés à s’impliquer dans un programme de restauration.
Les séquelles du passé
En concentrant la propriété des terres, des forêts et des pâturages dans les mains de l’État, le pouvoir colonial a sapé, ou à tout le moins fragilisé, la capacité des communautés à prendre des décisions collectives et démocratiques sur l’utilisation des terres au niveau local.
Si une réglementation judicieusement appliquée n’est pas inutile, les communautés devraient avoir la faculté d’adopter des pratiques de restauration en exerçant collectivement leur libre choix, grâce à des droits garantis sur leurs ressources locales, et notamment le droit de décider de la meilleure façon de les gérer.
D’après les recherches menées par le CIFOR, la sécurité foncière motive les communautés à s’investir dans la restauration.
Sur la majeure partie du continent africain, mais aussi dans des communautés autochtones d’Amérique latine et d’Asie, l’accès à la terre est garanti par le régime foncier coutumier au titre d’un droit social.
En d’autres termes, il existe une organisation des droits et de la gouvernance des ressources qui est reconnue au niveau local, mais trop souvent absente du droit écrit national.
Madagascar, qui vise à restaurer 4 millions d’hectares de forêts dégradées d’ici 2030, et d’autres États africains, cherchent à « moderniser » le régime de propriété en rattachant la délivrance de droits fonciers à une procédure officielle ou à des documents officiels, comme un titre de propriété.
La population locale qui est convaincue que ses droits coutumiers sont légitimes et garantis ne peut parfois pas faire valoir ces droits parce que, bien souvent, le régime foncier coutumier n’est pas reconnu par la loi.
Étude de cas à Madagascar
En dépit de directives selon lesquelles les plans de restauration à Madagascar témoignent de la participation active des communautés et de la variété des parties prenantes locales, il ressort de l’expérience et de travaux de recherche que les institutions et les pratiques de gestion des terres par les communautés malgaches sont invisibles pour les autorités officielles.
Quels sont les éléments à l’appui de cette invisibilité ?
- Une reconnaissance insuffisante dans la loi des organisations communautaires et des droits sur les ressources communautaires. Le droit civil malgache reconnaît en principe le droit des communautés à gérer leurs forêts. Cependant, les pouvoirs nécessaires aux communautés pour exercer leurs responsabilités de gestion ne sont ni définis ni accordés par la loi. En pratique, les représentants des communautés sont parfois consultés par les fonctionnaires sur des décisions concernant l’utilisation des terres, mais les organisations communautaires ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour gérer les initiatives locales en la matière et faire appliquer les décisions prises.
- Les projets ne font pas systématiquement appel aux représentants locaux légitimes. Les ONG locales affirment parfois qu’elles représentent légalement les communautés locales, ou qu’elles détiennent et exercent des droits au nom de celles-ci, affirmation que contesteraient lesdites communautés.
- L’importance accordée à la propriété individuelle et aux documents correspondants, comme les titres de propriété officiels, qui sont reconnus par la loi, alors que la plupart des forêts et des paysages ciblés par la restauration sont exploités et gérés de manière collective. La délivrance de titres de propriété à des personnes individuelles sur des terrains historiquement utilisés par la collectivité mine davantage les droits collectifs.
- L’infrastructure administrative et les ressources techniques nécessaires à la délivrance de titres de propriété et à d’autres formes de droits officiels en zone rurale sont très limitées. Dans leurs tentatives pour obtenir un titre de propriété, les populations pauvres sont en butte à des coûts élevés concernant le bornage et l’enregistrement et connaissent mal leurs droits et les procédures officielles. Par ailleurs, après la délivrance du premier titre de propriété, on observe que le détenteur ne fait pas enregistrer le transfert des droits à la suite d’une vente ou d’un héritage, parce qu’il pense que le droit coutumier garantit la sécurité foncière de façon adéquate ou considère que les coûts afférents ne sont pas abordables.
- Certaines personnes (souvent des immigrants) qui disposent de peu de droits en vertu de la coutume là où elles viennent d’arriver peuvent demander un titre de propriété officiel pour acquérir des droits impossibles à obtenir en fonction des règles coutumières locales. Ceci peut mettre à mal la faculté de la communauté à prendre des décisions collectives à propos de l’utilisation des terres et à les faire appliquer.
- Manque de motivation de la part de la population locale, qui jouit de droits coutumiers, pour demander des titres de propriété foncière par la voie officielle, parce qu’elle croit que ces droits sont garantis.
Niveler le terrain
En résumé, l’avenir de la restauration peut être bouché si l’on ne remédie pas à un mode de fonctionnement peu démocratique et à l’insécurité du régime foncier. Les pratiques de restauration qui débouchent sur des résultats environnementaux et sociaux positifs ont plus de chances d’être adoptées par les populations locales qui disposent du contrôle nécessaire sur les forêts et les arbres pour récolter les bénéfices de leurs investissements.
Il est impératif que l’appel lancé dans le cadre du Défi de Bonn pour faire participer les communautés locales à la planification et à la mise en œuvre de la restauration des paysages forestiers aille plus loin que la consultation et tienne compte de l’importance de la gouvernance communautaire et garantisse les droits de ces communautés sur les terres, les forêts et les arbres.
L’autodétermination des communautés et la reconnaissance par la loi de leurs droits sur les ressources sont des prérequis essentiels si l’on veut que celles-ci jouent un rôle actif dans la restauration. L’autodétermination est la condition préalable à la négociation d’un consensus sur les pratiques d’utilisation en vigueur dans les communautés. Et c’est grâce aux droits qu’il est possible d’agir et de multiplier les actions.
En l’absence de droits, les communautés locales ne sont pas assurées de récolter le fruit de leur travail et.
Les droits coutumiers peuvent être reconnus par la loi, et plusieurs pays d’Afrique ont d’ailleurs entrepris de réformer leur cadre juridique afin d’officialiser le régime foncier coutumier (Botswana, Kenya, Libéria et Soudan du Sud). Mais pas Madagascar.
Si ce pays, et d’autres, ne prennent pas de mesures pour élaborer et mettre en œuvre des lois qui accordent l’autodétermination aux communautés locales et protègent le régime foncier en reconnaissant, par exemple, les dispositions du droit coutumier en la matière, une restauration des paysages de grande envergure est tout à fait improbable.
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Cet article s’inspire des idées avancées lors de la séance interactive « Restoring Forests, Restoring Communities », qui s’est déroulée à Accra au Ghana, les 29 et 30 octobre 2019 lors du Forum mondial sur les paysages consacré à la restauration en Afrique. Steven Lawry, associé senior au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), était l’organisateur et le modérateur de la séance. Patrick Ranjatson, professeur de la Mention Foresterie et Environnement de l’École Supérieure des Sciences Agronomiques de Université d’Antananarivo (ESSA-Forêts), y a animé un débat sur la politique foncière et la restauration des paysages forestiers à Madagascar.
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Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH (GIZ) et les Programmes de recherche du CGIAR sur les politiques, les institutions et les marchés (PIM), dirigés par l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) ont financé les travaux de recherche réalisés à Madagascar en 2018-2019, sur lesquels s’appuie cet article. Des fonds provenant du programme PIM et du programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (FTA), qui est piloté par le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), ont permis l’organisation de la séance interactive du Forum mondial sur les paysages lors de laquelle ont été présentées ces études scientifiques. Les opinions exprimées ici n’engagent que leurs auteurs.
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