Beaucoup d’entre nous, souvent Occidentaux, partent du principe que la certification des droits fonciers, l’enregistrement ou la délivrance de titres de propriété sont importants pour tout type de propriété foncière ou de système de droits de propriété. Nous pensons que l’enregistrement formel des droits fonciers est essentiel pour garantir aux agriculteurs une sécurité du régime foncier, condition importante pour permettre le développement agricole.
La théorie économique et le bon sens indiquent que lorsqu’une famille investit dans sa propriété, elle a besoin de savoir qu’à l’avenir les sacrifices, les investissements en terme de travail, de capital et de matériaux dans ses terres, ainsi que les gains provenant de ces investissements lui bénéficieront. La relation entre la sécurité du régime foncier, la sécurité de la propriété et l’investissement est très simple : la théorie prédit des résultats positifs, souvent observés en pratique quand les populations bénéficient d’une sécurité foncière claire. Quels ont été les attentes et les effets réels de la certification des droits fonciers et de l'investissement dans la productivité ?
Cependant, dans de nombreux pays en voie de développement, bien souvent les types de certification formelle, de droits de propriété et de délivrance de titres de propriété que nous connaissons dans les pays riches n’existent pas. De nombreux agriculteurs cultivent sur des terres appartenant à l’Etat. Le cas de l’Afrique est particulier, car une grande partie de l’agriculture – jusqu’à 90 % – est réalisée sur des terres détenues en vertu de régimes fonciers coutumiers, dans lesquels les droits fonciers ne sont pas certifiés formellement. Sous le régime foncier coutumier, les personnes ont accès à la terre selon un droit social, accordé en vertu de leur appartenance à la communauté.
LA QUESTION
En 2013, le Département britannique pour le développement international (DFID) a donc demandé, à moi et à un groupe d’universitaires, de rassembler une équipe de chercheurs et d’étudiants diplômés pour faire une revue systématique des conséquences des efforts, visant à « formaliser » les droits fonciers par la certification ou la délivrance de titres de propriété, sur l’investissement et la productivité agricole dans le monde en voie de développement. L’hypothèse serait que là où la terre agricole n’était auparavant pas enregistrée, les niveaux d’investissement et de productivité augmenteraient nettement après la certification ou la délivrance de titres de propriété.
Une partie du discours sur le développement au cours des 30 à 40 dernières années consistait à dire que l’agriculture africaine n’évoluerait pas tant que les personnes ne bénéficiaient pas d’une sécurité foncière claire. L’hypothèse sous-jacente étant que celle-ci serait établie par la certification ou la délivrance de titres de propriété foncière, comme c’est le cas en Amérique latine et dans certaines régions asiatiques. Comme au cours des 30 à 40 dernières années il y a eu des efforts pour convertir les régimes fonciers non-formels en régimes fonciers officiels, sur la base certifications d’Etat, le DFID nous a demandé de nous interroger sur : quels ont été les attentes et les effets réels de la certification des droits fonciers et de l’investissement dans la productivité sur les revenus des agriculteurs et sur les flux de crédits ?
Seulement 20 études répondent aux normes rigoureuses de la conception de recherches empiriques
Tel a été l’objet de notre revue systématique. Nos critères d’inclusion ont été limités aux études fondées sur des essais aléatoires contrôlés. Il s’agit d’échantillons aléatoires de ménages agricoles dans une zone ayant reçu un traitement, par exemple sous forme d’une certification des droits fonciers, en comparaison avec une communauté n’ayant pas obtenu cette certification mais où nous avons pu contrôler tous les autres facteurs. Nous voulions examiner de manière empirique les effets de l’intervention de la certification sur l’investissement, sur la productivité agricole, sur les revenus de la famille de l’agriculteur ainsi que sur l’accès au crédit.
LES RÉSULTATS
Ceux qui ont déjà effectué une revue systématique connaissent l’ampleur de la tâche. Les étudiants diplômés ont examiné 25 000 documents à ce sujet et les ont réduits à un examen de 1 000 résumés, contenant 100 documents qui ont été examinés en détail. Seules 20 études répondaient à nos critères d’inclusion. Ceci pose une question d’envergure pour le monde du développement et pour la théorie économique : il existe toute une série de questions et seulement 20 études répondent aux normes rigoureuses de la conception de recherches empiriques.
Les 20 études portent sur neuf pays : cinq en Amérique latine, cinq en Asie et 10 en Afrique.
Dans les cas de l’Amérique latine et de l’Asie, suite à la reconnaissance des droits fonciers, obtenue généralement par la délivrance de titres de propriété, il y a des gains importants de productivité, entre 50 et 100 %, ainsi que des gains très positifs pour l’investissement et les revenus. Cependant, dans les cas observés en Afrique, les gains sont faibles ou modestes pour la productivité, entre zéro et 10 %, ainsi que pour l’investissement et les revenus suite à la certification (bien que dans la plupart des cas, les gains soient toujours positifs).
Autre constat important : dans l’ensemble il y peu, voire aucune conséquences sur les crédits. Nous avons pris soin d’observer très attentivement les différences des effets sur les hommes et les femmes, mais la plupart des études n’ont pas tenu compte des conséquences de la reconnaissance des droits fonciers sur les femmes, à l’exception de deux études quantitatives qui ont identifié des effets positifs (en Ethiopie et au Rwanda).
POURQUOI LES RÉSULTATS DIFFÈRENT-ILS ?
Alors la question suivante se pose : pourquoi des gains importants en Amérique latine et en Asie, et relativement faibles ou modestes en Afrique ? Nous avons trois hypothèses que nous examinerons dans des recherches complémentaires.
La première hypothèse est ce que nous appelons le rôle des institutions préexistantes de régime foncier coutumier, en particulier en Afrique. Les systèmes fonciers coutumiers donnent accès à la terre comme un droit social, en vertu de l’appartenance des personnes à une communauté. Un indicateur de la sécurité du régime foncier est que la terre peut souvent être héritée par d’autres membres de la famille, mais en règle générale elle ne peut pas être vendue. Le régime foncier coutumier offre souvent des niveaux élevés de sécurité foncière.
Les niveaux d’investissement public dans les zones rurales africaines sont, d’après nos hypothèses, beaucoup plus faibles qu’en Amérique latine et en Asie
En Afrique, les systèmes fonciers coutumiers fournissent généralement aux personnes pauvres un accès gratuit à la terre et, encore une fois, selon un droit social. Cette institution est omniprésente en Afrique. Ceux qui conçoivent les programmes de certification et de délivrance de titres de propriété sous-estiment probablement, selon nous, la sécurité du régime foncier des personnes détenant ces terres. Par conséquent, lorsque ces droits fonciers sont certifiés, le genre de gains de productivité ou de gains d’investissement attendus parce qu’on supposait une insécurité foncière préalable, n’ont pas lieu. Ces suppositions étaient donc erronées.
Un autre facteur est ce que nous appelons l’effet de richesse : les ressources et les revenus des ménages en Afrique sont beaucoup plus faibles parmi les agriculteurs pauvres en comparaison aux agriculteurs pauvres en Amérique latine et en Asie. Or, quand on entreprend quelque chose sur les terres, il ne s’agit pas seulement de la terre. Il faut tenir compte du travail, du capital, du fait d’avoir ou non suffisamment de revenu pour investir dans l’entreprise agricole. Les niveaux de revenus souvent faibles des agriculteurs africains limitent leur capacité à faire un meilleur usage de leurs terres. C’est la deuxième hypothèse.
La troisième hypothèse est ce que nous appelons les effets des investissements publics complémentaires. Les programmes pour garantir les droits fonciers sont au mieux traités comme un élément des programmes de réforme agraire. Pour une réforme efficace, il ne faut pas seulement garantir des droits fonciers aux personnes. Il faut également fournir un accès abordable aux intrants et aux marchés agricoles, des investissements dans l’infrastructure, des coopératives, de la formation agricole et ainsi de suite… C’est-à-dire des investissements permettant aux agriculteurs de tirer profit de leurs droits fonciers assurés. Les niveaux d’investissements publics dans les zones rurales en Afrique sont, d’après nos hypothèses, beaucoup plus faibles qu’en Amérique latine et en Asie.
Nous pensons notamment que, lorsqu’on parle de certification ou de formalisation des droits fonciers en Afrique, il faut vraiment aborder le sujet comme un ensemble d’investissements et il faut tenir compte de cet effet de richesse.
Notre projet est d’explorer plus profondément ce qui pourrait expliquer les conséquences moins importantes en Afrique. Nous pensons que les hypothèses que je viens d’énumérer constituent un bon point de départ.
Steven Lawry est directeur des recherches sur les forêts et la gouvernance au CIFOR. Pour plus d’informations sur les thèmes de cet article, veuillez le contacter à l’adresse s.lawry@cgiar.org.
Les recherches du CIFOR sur le droit foncier s’inscrivent dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
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