Une visite dans une maison en Afrique subsaharienne, de la Namibie au Niger, révélera probablement un trait commun : un foyer ouvert, ou un fourneau, installé au milieu des activités familiales, avec des femmes préparant le repas dans la cuisine ou dans un espace extérieur abrité. D’un bout à l’autre du continent, ces familles utilisent le bois énergie pour la cuisson de leurs aliments et de l’eau, sous la forme de bois de chauffage ou de charbon de bois, lequel est de plus en plus utilisé
Une grande partie de la population ne dispose pas d’un accès fiable à l’électricité, ou à des alternatives abordables ; le bois énergie reste donc la principale source d’énergie des ménages de la région. Il représente actuellement 60 pour cent de la demande totale en énergie en Afrique subsaharienne. Au Cameroun, en République démocratique du Congo (RDC), au Kenya et en Zambie, quatre pays qui accueillent le projet GML (Govening Multifunctional Landscapes) mené par le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), 70 à 90 pour cent des ménages, ainsi que de nombreuses petites entreprises, dépendent du bois énergie.
L’initiative GML, financée par l’Union européenne, vise à accroître les connaissances, à proposer des pistes et à créer des réseaux pour favoriser des chaînes de valeur du bois énergie plus durables.
Entre les politiques énergétiques et forestières
En dépit de son importance, le bois énergie est le grand absent des priorités énergétiques du continent. Si des formes d’énergie alternatives sont actuellement en cours de développement, notamment d’autres sources de biomasse, l’hydroélectricité et le solaire, aucun investissement significatif n’est réalisé pour améliorer les chaînes d’approvisionnement du bois énergie.
Tiré de tout un éventail de ressources issues des arbres, le bois énergie compte pour plus de la moitié dans l’exploitation du bois dans les pays d’Afrique. Bien que la majorité des pays disposent de cadres juridiques et de systèmes de permis régulant son exploitation commerciale en vertu du droit forestier, ils sont peu appliqués. Cela signifie que la production et le commerce de bois énergie restent des activités informelles, sujettes à l’illégalité, la corruption et à des pratiques non durables.
La plantation d’arbres et les initiatives d’amélioration de la carbonisation et de la cuisson demeurent marginales, et la plupart des pays ne sont pas dotés de politiques dédiées.
Ma collègue Phosiso Sola du Centre International pour la Recherche en Agroforesterie a observé que :
« Des dispositions politiques afférant au bois énergie au Kenya sont présentes dans plusieurs secteurs, dont l’agriculture, l’énergie, l’environnement et la foresterie. Toutefois, ces missions et responsabilités ont été transférées de l’échelon national à l’échelon du comté. Bien qu’il s’agisse d’une opportunité pour adapter le développement localement et accélérer la mise en Å“uvre de mesures nécessaires, cette démarche se heurte à des problèmes de capacité, indispensable pour orienter, contrôler et soutenir la production, la transformation et le commerce durables de bois énergie. »
Les ministères en charge des forêts s’intéressent plutôt à l’exploitation du bois, de l’abattage au bois d’Å“uvre de grande valeur destiné à l’export, capable de remplir les coffres de l’État avec des devises fortes.
Par le passé, les efforts déployés pour gérer la production de bois énergie se sont souvent révélés trop isolés ou négligeables pour avoir un impact significatif en faveur d’un approvisionnement durable. L’exploitation du bois énergie est traditionnellement intégrée aux moteurs de la déforestation, mais elle peut également s’apparenter à un produit dérivé de la culture sur brûlis, de l’abattage commercial ou d’une exploitation forestière située sur des terrains privés.
Combattre les chaînes de valeur non durables
La question de la dégradation et de la surexploitation des forêts dans les chaînes d’approvisionnement des villes d’Afrique devient préoccupante, et cela d’autant plus que ces espaces jouent un rôle crucial dans la production alimentaire et la fourniture de services écosystémiques pour les populations urbaines de plus en plus nombreuses. Malgré l’existence de quelques programmes aboutis en agroforesterie produisant du bois énergie durable, les pratiques traditionnelles – et moins coûteuses – sont toujours privilégiées sur l’ensemble des chaînes de valeur.
Le commerce du bois énergie sur les marchés urbains est organisé de façon informelle et assez efficace par les producteurs ruraux eux-mêmes et par des réseaux d’intermédiaires et de vendeurs en ville. Dans les zones rurales, la vente de charbon de bois représente une source indispensable de liquidités, et parfois l’unique revenu en dehors de l’agriculture de subsistance. De ce fait, ce commerce aux caractéristiques informelles et autorégulées n’est pas suffisamment encadré, ni relié à des mesures incitatives pour contrer les impacts négatifs de la surexploitation des arbres et des terres sur l’environnement.
Le charbon de bois est produit dans des meules traditionnelles, qui pourraient être efficaces en théorie. Un producteur doit pouvoir tirer un kilo de charbon de bois à partir de cinq kilos de bois sec, avec les incitations adéquates et une formation aux bonnes pratiques, comme le séchage approprié du bois et l’entretien régulier de la meule.
Dans la pratique cependant, la production de charbon de bois est parfois réalisée dans des conditions totalement inefficaces produisant beaucoup du gaspillage, puisque chaque kilo de charbon nécessite jusqu’à dix kilos de bois. Dans bien des cas, cela s’explique par un manque de compétences, ou parce que le travail doit se faire à la hâte en raison des « pratiques cachées » résultant d’un statut personnel illégal ou de conditions de travail répondant à un besoin d’argent immédiat.
Côté utilisateur, le bois de chauffage, ou le charbon de bois, est souvent brûlé dans des fourneaux simples et inefficaces, aux incidences préjudiciables pour la santé. De nouveaux modèles de fourneaux améliorés, accompagnés de mécanismes de financement des coûts initiaux, pourraient favoriser une cuisson plus propre, générer des économies pour le ménage et réduire les émissions de fumées et de gaz à effet de serre.
Les liens entre le bois énergie et la restauration
Les possibilités « inexploitées » du bois énergie sont progressivement reconnues pour son caractère potentiellement renouvelable et les options possibles d’atténuation face au changement climatique. Les politiques d’efficacité énergétique devraient être associées à des mesures visant à restaurer et mieux gérer les chaînes d’approvisionnement du bois énergie.
Les initiatives de restauration des paysages forestiers ainsi que les engagements nationaux pris par les pays africains pour restaurer les terres boisées peuvent facilement se superposer aux efforts de production de bois énergie. Dans certains cas, la surexploitation du bois de chauffage peut directement menacer les efforts de restauration. Des solutions doivent être envisagées pour répondre simultanément à ces différents besoins.
Par exemple, le partenaire du CIFOR, Cameroon Ecology, cible les paysages de mangrove au Cameroun. Cet organisme collabore avec des productrices de poisson fumé – principales utilisatrices du bois de la mangrove sur les espaces littoraux – pour tester des techniques de récolte visant à la fois à améliorer les capacités de régénération des mangroves et à réduire la consommation globale de bois par de meilleurs systèmes de fumage du poisson.
Les habitants des espaces nécessitant le plus une restauration des paysages forestiers seront plus enclins à participer aux efforts de restauration s’ils ressentent la pression sur les ressources en arbres, à revendiquer la propriété des terres et à exercer leurs droits pour récolter tous les bénéfices à long terme provenant de la plantation d’arbres. Les sources proches de bois de chauffage à usage domestique, la production de charbon de bois et les pratiques pouvant être intégrées ou bénéficier aux activités agricoles représentent des mesures incitatives clés d’implication des communautés dans la gestion des forêts et les efforts de restauration.
Le bois énergie restera essentiel pour la préparation des repas. Il peut être intégré à des stratégies d’énergie renouvelables abordables. L’utilisation de fourneaux améliorés peut contribuer à réduire la pollution de l’air due aux fumées et les problèmes de santé qui en découlent. Ils peuvent faire baisser les dépenses des ménages en bois de chauffage et en charbon de bois.
Du point de vue de l’approvisionnement, ces solutions de gestion des arbres et des forêts, les pistes de transformation efficientes et les solutions de cuisson améliorée pour la préparation des repas, participent également à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à la réalisation des objectifs d’atténuation face au changement climatique inclus dans les stratégies nationales de REDD+ (Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts) et les Contributions déterminées au niveau national.
Pour que ces solutions aboutissent, les pays doivent tendre vers une gouvernance intégrée du bois énergie, tenant compte du contexte local et de ses acteurs, de structures responsables décentralisées, et pouvant s’appuyer sur les éléments efficaces des systèmes de production et marchés informels actuels, tout en intégrant des mécanismes incitatifs pour des pratiques plus durables.
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