L’exploitation artisanale du bois d’œuvre en RDC en général, et dans la province de la Tshopo en particulier est traditionnellement vue comme un secteur exclusivement masculin. Elle est l’une des grandes activités génératrices des revenus. Quoique moins visible, la femme est présente et joue un rôle important dans la chaine de l’exploitation artisanale. Selon l’étude « Le bois à l’ordre du jour » publié en 2012 par Tropenbos International RDCongo, l’exploitation artisanale de bois d’œuvre est dominée par les hommes, mais il y a aussi 36% de femmes. Depuis l’achat des arbres auprès des communautés jusqu’à la vente des planches ou des plaquettes sur le marché local dans la Tshopo, la femme remue la chaine faisant face à plusieurs défis.
Maria est l’une des rares exploitantes artisanales du bois d’œuvre de cette partie de la RDC, avec une expérience de 8 ans. Elle débute cette activité en 2011 lorsque son mari meurt, pour assurer la survie de sa famille. « Je me suis retrouvé sans ressources. J’ai vendu tous les biens pour constituer un capital de démarrage dans l’exploitation artisanale et la vente des bois d’afrormosia, de sapelli, d’iroko et de sipo, après avoir consulté un exploitant. Mes enfants ont chômé deux années», rapporte-t-elle avec amertume. « Mais grâce à cette activité, je paie les frais d’étude de mes enfants et les nourris», affirme Maria d’un bon sourire.
Ces espèces héliophiles exploitées par Maria ont une grande valeur commerciale, souligne le Dr Nils Bourland chercheur du Centre de recherche forestière international (CIFOR), travaillant sur la sylviculture et la gestion durable de Pericopsis Elata (afrormosia) dans le bassin du Congo dans le cadre du projet Formation, Recherche et environnements dans la Tshopo, FORETS en sigle. Il ajoute que ces essences sont menacées de disparition, car ne se régénérant pas facilement dans la forêt et que leur exploitation s’accroit significativement suite à la forte demande tant du marché local qu’international.
L’entrée de Maria dans ce secteur n’est pas différente de celle des autres femmes de sa province, encore moins de celle des autres provinces de la RDC où cette activité forestière est exercée. Elles s’y lancent à cause des contraintes sociales ou de survie souvent sans expérience dans la foresterie. Ce qui explique cette faible représentativité de femmes par rapport aux hommes. A l’instar de certains exploitants, la femme accuse aussi de manque de maîtrise des techniques d’exploitation et de méconnaissance de certains enjeux environnementaux, renchérit l’étude Le bois à l’ordre du jour. Les revenus générés par l’exploitation artisanale du bois d’œuvre intéressent aussi la femme de la Tshopo. La plus courageuse ose et remue toute la chaine marquant son existence à l’avant ou à l’arrière-plan de chaque étape.
DE L’OBTENTION DU PERMIS DE COUPE ARTISANALE À L’ACHEMINEMENT AU PREMIER POINT DE VENTE
La femme est presque invisible à l’avant-plan de la première étape de la chaine de production du bois d’œuvre qu’est la recherche des documents lui conférant la qualité d’exploitante artisanale. Et c’est conformément à l’arrêté ministériel n°84 portant conditions et règles d’exploitation de bois d’œuvre en RDC. Moins de dix femmes exploitantes artisanales réunissent les conditions exigées, affirme Simon Maponda président de l’association des exploitants artisanaux Ilexia-bois du marché de Kisangani. La femme est accompagnée par l’homme dans cette démarche à cause de son ignorance de ce secteur. Ensuite, elle se lance personnellement dans l’achat d’arbres auprès de la communauté. « Je n’ai pas besoin d’un homme car je rencontre seule les chefs de villages pour discuter et négocier du prix d’arbres à abattre dans leurs forêts »,mentionne Maria. « Quant à la descente sur le site de coupe dans la forêt, je délègue mon gérant. Je préfère lui léguer mon pouvoir car il connaît mieux les espèces d’arbres. Une autre raison est qu’en forêt il n’y pas de routes et il faut marcher plusieurs kilomètres pour trouver un arbre aux dimensions requises », précise-t-elle. Elle confie la gestion de ses fonds aux superviseurs qui assurent le suivi de travaux sur le site d’abattage. « Rarement, je prends le risque d’y aller pour me rassurer de l’effectivité des travaux, parce que les gérants abusent quelques fois. Mais c’est pénible », explique Maria. Cependant, la femme met à la disposition de son équipe les outils dont le principal matériel est la tronçonneuse mécanique.
L’abattage est fait par une équipe des machinistes, constituée de jeunes hommes sous la supervision du gérant de l’exploitante. Ce travail dur, requiert beaucoup de force physique et d’endurance parce que le matériel doit être utilisé avec habileté et tact. « Une femme ne peut pas travailler sur le site d’exploitation pour abattre un arbre, le découper ou transporter les planches. Sa constitution physique et physiologique ne le lui permet pas. Quand je découpe la grume, j’ai la sensation que le corps et tous ses organes bougent. Ce phénomène peut être nuisible pour la femme », estime un machiniste rencontré sur le site PK13, à 13km au nord de Kisangani.
Dans le transport, la femme est présente au deuxième plan, coordonnant de loin toutes les activités liées au déplacement des planches du site de l’abatage jusqu’au marché. Elle branle la chaine en mettant en œuvre ses ressources financières. Le gérant a la garantie que les planches sont emmenées par vélo ou sur les têtes des jeunes, au point d’acheminement le plus proche du site, la rivière ou la grande route. Sur la rivière, voie de transport le plus utilisé dans la Tshopo vu sa cartographie hydrographique, les planches sont chargées sur le radeau toujours par une équipe des jeunes hommes. Celle-ci les achemine jusqu’au beach où il sera encore déchargé par des jeunes, qui tirent l’essentiel de leurs revenus des activités de la charge et de la décharge. De là, le bois est vendu aux revendeuses qui le transforment souvent en plaquettes dans les scieries.