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L’intensification agricole a nourri le monde, mais sommes-nous pour autant en meilleure santé ?

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Changements dans les régimes alimentaires à Kapuas Hulu, Indonésie. CIFOR/Icaro Cooke Vieira

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Produire plus de nourriture sur moins de terres ? L’intensification agricole est en elle-même plutôt séduisante. Notre planète porte une population toujours plus nombreuse à nourrir, et les nouvelles possibilités de terres à cultiver sont rares, sauf à mettre sa biodiversité déclinante encore plus en péril.

Mais entre un apport suffisant en calories et un régime alimentaire nutritif, une différence de taille existe. La palette de micronutriments que nous devons ingérer pour nous maintenir en bonne santé est large, et l’un des moyens d’y parvenir est de consommer une grande variété d’aliments – ce que les nutritionnistes appellent « la diversité alimentaire ».

Les profonds bouleversements technologiques apportés par la « révolution verte » au cours des années 60 ont ouvert la voie à un système de monoculture incroyablement productif. Les variétés améliorées de blé, de riz et de maïs, réclamant l’utilisation d’engrais, de pesticides, d’engins mécaniques et d’irrigation, sont devenues la norme en agriculture. Les agriculteurs pouvaient alors produire suffisamment de céréales pour nourrir des milliards d’êtres humains.

L’impact est indéniable : entre 1960 et 2000, les rendements agricoles des pays en développement ont plus que doublé, entraînant un bond de leur croissance économique et le recul de la faim dans le monde.

Et dans cette course pour nourrir la planète, la diversité alimentaire a commencé à disparaître, rapidement.

L’intensification agricole a été largement saluée comme étant une étape clé de la transformation d’une économie agraire en une économie urbanisée, et un élément crucial permettant d’atteindre la sécurité alimentaire. Il s’agit là un argument puissant, séduisant par sa simplicité et défendu par de nombreux chercheurs, décideurs politiques et donateurs. Il est si omniprésent, souligne Amy Ickowitz, experte scientifique senior au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), que « très peu de personnes [dans ces cercles] se sont interrogées : « attendez un instant, que perdons-nous à intensifier ? ».

Dans un récent article publié dans Global Food Security, A. Ickowitz et ses co-auteurs soulèvent et décrivent un problème que l’intensification a été incapable de résoudre : la qualité de l’alimentation. La qualité nutritionnelle de notre alimentation n’a pas avancé au même rythme que la production folle de calories. Et dans bien des cas, elle s’est dégradée. Aujourd’hui dans le monde, deux milliards d’individus souffrent de carences en micronutriments, deux milliards d’adultes sont en surpoids ou obèses, et contrastent avec les 800 millions d’individus qui n’ont pas suffisamment à manger.

L’intensification n’est pas la cause principale, ni la seule, à l’origine de ces problèmes, déclare A. Ickowitz, mais elle peut jouer un rôle dans certains cas. En Indonésie, dans la province du Kalimantan occidental, son équipe de recherche a observé comment les légumes-feuilles disparaissent du régime alimentaire des agriculteurs qui se sont tournés vers la culture de l’huile de palme. À l’inverse, ceux qui ont maintenu leurs systèmes traditionnels de polyculture sur brûlis continuent de cultiver ou de récolter ces aliments.

« Est-ce parce que ces aliments ne sont pas présents sur les marchés, ou parce que ces agriculteurs ont simplement fait le choix de ne pas les acheter, nous n’en sommes pas encore certains », poursuit A. Ickowitz, « mais il s’agit d’un changement qui a de fortes répercussions sur la santé des gens, du fait que ces aliments constituent d’importantes sources de vitamines A, de fer et de fibres. »

Le meilleur scénario, pour les pays en développement, est de prendre les devants et d’éviter l’exemple des régimes occidentaux.

Amy Ickowitz

Les dommages que l’intensification a infligés à l’environnement font l’objet d’une attention croissante depuis plus d’une dizaine d’années. L’impact négatif des pesticides, des engrais, ainsi que les quantités d’eau énormes nécessaires à l’irrigation, sont largement dénoncés. Cette situation a suscité des appels en faveur d’une « intensification durable ». Si cette avancée est assurément positive, elle n’apporte pas de solution au problème que A. Ickowitz et ses collaborateurs cherchent à mettre en avant. « Même en intensifiant durablement d’un point de vue écologique », ajoute-t-elle, « si vous défrichez un champ “peu entretenu” de haricots, de légumes-feuilles verts, de légumes orange, de maïs et de melon pour le remplacer par de beaux rangs bien propres de maïs ou de riz cultivés selon une méthode durable, il peut encore y avoir des conséquences néfastes pour la santé. »

Alors, y a-t-il un meilleur moyen de nourrir le monde ? Il n’y a aucune réponse « bien propre et bien rangée », selon A. Ickowitz, du moins, pas dans l’immédiat. L’intensification pourrait bien encore être la solution la plus appropriée pour certains paysages et certaines populations : simplement, elle ne s’applique pas à tous, partout. « Ce que nous réclamons », dit-elle, « c’est de porter un regard, plus spécifique au contexte, sur ce qui pourrait fonctionner dans certains paysages, et qui ne le pourrait pas dans d’autres, avant de foncer tête baissée avec des mesures à taille unique”. »

De plus en plus de preuves viennent corroborer le fait que les paysages diversifiés, qui intègrent un large éventail de cultures, de biodiversité et d’espaces laissés à l’état sauvage, ainsi que des infrastructures donnant un accès au marché, pourraient très probablement assurer la sécurité alimentaire des ménages et une durabilité environnementale.

Ainsi, les auteurs appellent à une réorientation de l’investissement et de la recherche vers ces systèmes plus complexes, afin de dépasser la vision étriquée de la production intensive sur les cultures de base.

Comme par une ironie du destin, alors que les impacts du système alimentaire mondial sur l’alimentation, l’écologie et la société deviennent plus manifestes, de nombreux consommateurs dans les pays occidentaux ont déjà commencé à se tourner vers un régime plus diversifié, de saison et provenant de petits magasins locaux, très similaires à ceux que l’on trouve dans les pays les moins développés, où l’intensification agricole n’a pas encore fait son entrée.

« Nous encourageons donc fortement les pays tropicaux à ne pas reproduire toutes les erreurs et les coûts sanitaires que les pays riches supportent aujourd’hui », commente A. Ickowitz. À l’heure actuelle, les maladies cardiovasculaires et le diabète augmentent « très, très rapidement dans de nombreux pays tropicaux, dont l’Indonésie », ajoute-t-elle. « Le meilleur scénario, pour les pays en développement, est de prendre les devants et d’éviter l’exemple des régimes occidentaux. »

Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière Bureau des forêts et de la biodiversité de l'Agence des États-Unis pour le développement international
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