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De la viande de brousse pour aujourd’hui et demain

Une gestion plus durable de la faune tropicale est possible
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Viande de brousse dans un marché à Yangambi, en République démocratique du Congo. Les principaux animaux chassés dans cette zone sont les phacochères, les singes et les rats de Gambie. Axel Fassio/CIFOR

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Dans le monde entier, la viande des animaux sauvages est appréciée pour diverses raisons. Elle constitue la principale source de protéines dans les communautés rurales éloignées de tout, qui se rabattent aussi sur cette viande en cas de difficultés économiques comme de mauvaises récoltes. Mais c’est également un mets de choix très prisé des citadins, et même une denrée de luxe qui fait l’objet d’un trafic vers les marchés internationaux et, enfin, un facteur de poids dans l’appauvrissement de la biodiversité.

Face à la croissance démographique et à l’essor de la demande, la question est de trouver des stratégies de gestion durable qui soient satisfaisantes à la fois pour les populations et pour la faune sauvage. En réponse à un appel lancé par le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (CDB), les chercheurs du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et de ses partenaires ont étudié les connaissances disponibles sur l’utilisation de la viande de brousse dans les régions tropicales et subtropicales. Ils en ont dégagé des stratégies clés en vue d’améliorer sa durabilité. Et cette étude a débouché sur une publication commune CDB-CIFOR.

Les animaux sauvages chassés pour leur viande vont des petites chenilles aux grands éléphants. Cependant, dans la plupart des habitats tropicaux et subtropicaux, ce sont les mammifères sauvages qui représentent la majeure partie de la viande de brousse consommée. Dans les forêts du bassin du Congo, par exemple, plus de 10 millions de tonnes de viande de mammifères sauvages sont extraits tous les ans, révèle l’un des coauteurs, le Professeur John Fa, associé senior et coordinateur de l’Initiative de recherche sur la viande de brousse au CIFOR.

Les populations autochtones chassent traditionnellement pour se nourrir à l’aide d’outils fabriqués à la main, comme des sarbacanes, mais la demande de viande de brousse dans les centres urbains, ainsi que l’arrivée des armes à feu, a conduit à une surexploitation de nombreuses espèces qui vivent en forêt.

La disparition de la faune sauvage dans les régions boisées tropicales et subtropicales menace non seulement l’intégrité des forêts elles-mêmes, mais, ce qui est tout aussi grave, elle met aussi en danger les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de certaines populations rurales très vulnérables qui dépendent de la viande de brousse.

« L’approvisionnement de ces marchés qui se développent est favorisé par les progrès des technologies de chasse, ainsi que par un accès plus facile à un habitat auparavant impénétrable, dont profitent les chasseurs professionnels, par l’amélioration des moyens de transport et de l’accès aux marchés », observent les chercheurs. Dans certaines zones, l’amélioration de l’accès aux marchés est liée au développement de l’agriculture et des industries extractives : exploitation forestière, minière et pétrolière.

CHANGER D’ÉCHELLE POUR UN PLUS GRAND RAYON D’ACTION

Les auteurs de ce rapport présentent des arguments à l’appui d’une gestion plus durable de la faune sauvage tropicale, qui est possible. Cependant, transformer cette idée en réalité n’est pas tâche aisée et il faudra changer les mentalités et les comportements, affirme l’une des auteures et associée du CIFOR, Lauren Coad.

La première étape est d’adopter une approche plus holistique de ce problème qui touche divers secteurs, avec des acteurs en jeu à divers niveaux, et qui repose sur des motivations extrêmement différentes.

« La viande de brousse est un problème transsectoriel qui englobe entre autres l’économie, la santé, les infrastructures et l’agriculture, et doit par conséquent être prise en compte dans l’aménagement du territoire et la planification des ressources nationales », affirme L. Coad. Cela exige un effort de collaboration entre les ministères qui s’occupent des forêts et de l’agriculture, mais aussi des affaires sociales, de la pêche, des mines et des infrastructures.

Dans le même esprit, les chercheurs signalent qu’il est nécessaire « d’arrêter les petites interventions isolées dotées d’un financement à court terme pour imaginer des actions orchestrées dans un schéma d’ensemble sur une vaste zone, pour cibler à la fois la gestion de l’approvisionnement rural et la réduction de la demande urbaine, dans l’optique de la durabilité à long terme des projets ».

La gestion durable ne pourra être réalisée qu’en agissant tout au long de la chaîne de valeur, des communautés de chasseurs au niveau local aux consommateurs urbains et à l’ensemble de la société civile, indique ce rapport.

L’autre point important est l’approche de ce problème. Pour les auteurs, il ne s’agit pas de s’attaquer soit à la menace des moyens de subsistance, de la sécurité alimentaire et des valeurs culturelles, soit à la menace de la biodiversité, mais plutôt de fusionner ces deux points de vue pour assurer la qualité de vie des humains et la sauvegarde de la faune sauvage.

« Il est possible de parvenir à la chasse durable des espèces qui se reproduisent rapidement, en complétant si nécessaire ce régime par de la viande d’animaux d’élevage, tout en protégeant les animaux menacés », font savoir les chercheurs. « Les démarches qui ne privilégient que des buts écologiques ou socioéconomiques courent le risque d’échouer à long terme ».

UNE MEILLEURE GOUVERNANCE

Les stratégies d’une gestion efficace doivent garantir la pérennité de l’approvisionnement en viande de brousse tout en réduisant la demande excessive, particulièrement dans les centres urbains. Elles doivent s’accompagner de réglementations adéquates et de moyens et de ressources pour les appliquer.

Dans de nombreux pays, les réglementations sur la chasse sont sujettes à diverses interprétations et sont déconnectées du contexte et des besoins au niveau local, ce qui fait qu’il est difficile pour les communautés de pratiquer une chasse durable et de vendre la viande de brousse légalement, rapporte l’étude.

Les communautés autochtones et locales disposant rarement de droits fonciers et de droits de gestion, il leur est d’autant plus difficile d’assurer l’intendance du paysage.

La première étape essentielle est la révision, dans les pays, des lois sur la chasse, des régimes fonciers et des modes de gouvernance avec un grand nombre d’acteurs, notamment les représentants des communautés locales, en ayant pour objectif la gestion durable plutôt qu’uniquement la conservation de la faune sauvage.

Par exemple, les États et les agences de développement doivent travailler sur des alternatives viables d’approvisionnement alimentaire pour les nouvelles zones urbanisées, déclarent les chercheurs. Il s’agit souvent de villes provinciales qui se développent près des lieux où l’on trouve de la viande de brousse, mais où l’élevage du bétail démarre à peine et ne répond pas à la demande en protéines animales.

Si l’on veut élaborer des politiques plus adaptées et les appliquer, il faudra une volonté politique, des ressources financières et du personnel bien formé, mais aussi davantage de données et des données de meilleure qualité. C’est la raison pour laquelle cette étude demande une réorientation des recherches, afin de passer de la description de l’utilisation actuelle [de la viande de brousse] à des travaux qui permettent d’améliorer les pratiques de gestion.

Cela implique de mieux connaître la réponse des consommateurs urbains à l’évolution des prix et de la disponibilité de la viande de brousse et de ses substituts, comme l’impact des campagnes destinées à faire changer le comportement des consommateurs et à tester des modèles en vue de fixer des quotas durables pour la chasse des espèces résilientes.

Cette étude est le recueil le plus complet de connaissances qui existent sur le sujet à ce jour et elle propose des lignes directrices claires sur les moyens qui permettraient la durabilité du secteur de la viande de brousse à long terme.

« Comme ce document est disponible gratuitement, nous espérons que cette étude deviendra une référence pour de nombreux gestionnaires de faune et de nombreux États qui gèrent leurs ressources naturelles », indique J. Fa. Avec de la volonté politique, des ressources adéquates et des conseils techniques avisés, les pays peuvent prendre des mesures pour garantir la pérennité de la viande de brousse – et de la faune sauvage – de demain.

Ce rapport a été préparé en réponse à un appel de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et a également été soutenu par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). 

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