Analyse

Et si les consommateurs camerounais voulaient aussi du bois légal?

Les demandes de bois légal sont encore faibles au Cameroun, mais cela peut changer dans les prochaines années
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Au Cameroun le bois d’origine légale ne représente qu’une petite proportion du volume vendu. CIFOR Photo/Ollivier Girard

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Les Camerounais sont encore peu intéressés par l’origine du bois qu’ils achètent, mais un nombre croissant de consommateurs est prêt à changer ses habitudes de consommation pour favoriser des produits légaux et durables. Telle est la conclusion principale d’une étude récente que j’ai menée avec d’autres scientifiques du Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR) et des partenaires, qui explore le marché domestique du bois au Cameroun.

UNE OPPORTUNITÉ À EXPLORER

On ne compte plus les organismes, les experts ou les ONG qui visent à promouvoir la durabilité et la légalité des produits tropicaux. Certains privilégient des approches gouvernementales qui promeuvent l’application des instruments juridiques et de politique publique, par exemple les Accords de partenariat volontaire (APV) du Plan d’action FLEGT de l’Union européenne. D’autres acteurs s’intéressent davantage aux initiatives privées de promotion de la production durable, notamment via des labels de certification de durabilité, ou des engagements privés à ne pas porter atteinte aux forêts.

Mais, qu’elles soient d’origine privée ou publique, toutes ces actions sont pensées pour répondre aux demandes provenant des pays développés. Cette focalisation repose sur la hypothèse fallacieuse que les acheteurs des pays émergents ou moins développés ne se soucient pas de la légalité ou de la durabilité des produits, mais seulement de leur prix.

La littérature scientifique partage malheureusement le même biais. Très peu de publications analysent la sensibilité des consommateurs du sud à la légalité ou la durabilité des produits forestiers. Cependant, c’est dans ces pays que va se jouer la bataille en faveur de la légalité et de la durabilité dans les décennies à venir.

COMPRENDRE LES MARCHÉS LOCAUX

Face à cette situation, au CIFOR nous avons fait des recherches sur les marchés domestiques de bois dans les pays du bassin du Congo. Les études ont trouvé que le commerce local est dominé par des pratiques informelles, qui permettent d’approvisionner à bas prix et en grande quantité les acheteurs de sciages dans les villes.

Au Cameroun les produits supposément d’origine légale (provenant directement et indirectement des scieries industrielles) ne représentent qu’entre 12 % et 18 % du volume vendu sur les marchés urbains. Cela s’explique par la rareté notable de consommateurs exigeant des sciages produits en respectant la légalité ou la durabilité.

De même, nous avons trouvé qu’aucune agence publique nationale ou internationale n’impose l’achat de bois d’origine légale dans ses appels d’offre. « En l’absence de telles demandes, il est difficile de convaincre les vendeurs de proposer de produits légaux, dont le coût de production et donc le prix final sont plus élevés que les sciages sauvages », explique Raphaël Tsanga, chercheur au CIFOR.

Cette situation n’est toutefois pas figée dans le marbre. Les recherches ont révélé qu’à moyen terme l’élévation des revenus des acheteurs et la variation du prix des sciages peuvent influencer les consommateurs, et favoriser une demande de produits d’origine légale ou durable.

CHANGER PROGRESSIVEMENT LES HABITUDES DE CONSOMMATION

Pour prévoir l’apparition de telles tendances, nous avons calculé ce que les économistes appellent l’élasticité-prix et l’élasticité-revenu des demandes des acheteurs privés de sciages dans les marchés urbains de Yaoundé. Cela consiste simplement à connaître comme les demandes des consommateurs évolueraient si les prix des sciages ou leurs revenus augmentaient. Les réponses obtenues auprès d’un échantillon de 440 acheteurs ouvrent des perspectives nouvelles pour promouvoir la légalité dans les marchés domestiques du bois au Cameroun.

Tout d’abord, les réponses montrent que tous les consommateurs ne sont pas insensibles à l’origine informelle des sciages qu’ils achètent. La moitié des acheteurs interrogés accepteraient de payer 10% plus cher pour acquérir des sciages d’origine légale. « Pour ces consommateurs, il existe un lien entre la légalité et la qualité des produits : acheter un sciage légal, cela veut dire qu’on s’adresse à un vendeur ou un menuisier professionnel, qui accorde de l’importance à la qualité de ses produits », clarifie Raphaël Tsanga.

Au-delà de l’acceptation à payer plus cher des sciages légaux, les acheteurs urbains sont attachés à l’utilisation du bois dans leur activité et pourraient supporter une hausse de 45% des prix actuels des sciages avant de les substituer par des produits alternatifs, comme l’aluminium, le fer, ou le plastique. Cette estimation varie en fonction des métiers, des produits et des essences d’arbre, mais elle indique que le surcoût associé à la légalisation des sciages aujourd’hui informels pourrait en grande partie être accepté par la plupart des consommateurs.

Enfin, entre 15% et 34% des clients ont dit qu’ils se tourneraient vers l’achat de sciages légaux si leur revenu augmentait entre 20% et 100% dans les cinq prochaines années.

La croissance économique attendue à moyen et long terme au Cameroun devrait donc faire émerger une classe de consommateurs dotés d’un niveau de revenu leur permettant d’acheter des produits d’origine légale et, plus globalement, de meilleure qualité.

DE LA RECHERCHE À L’ACTION

Alors, qu’est-ce-que le Cameroun peut faire pour accélérer ces tendances et faciliter l’émergence de demandes des sciages légaux ? Trois pistes sont aujourd’hui suivies :

Tout d’abord, il faudrait convaincre les organismes publics d’adopter des politiques publiques d’achat exigeant du bois d’origine légale. Le Ministère des Forêts et de la Faune développe en ce moment une telle stratégie.

Deuxièmement, il est nécessaire que les entreprises liées aux Bâtiment et Travaux Publics, qui achètent beaucoup de bois, soient sensibilisées à l’avantage de s’approvisionner en sciages légaux, notamment dans le cadre de leur stratégies de Responsabilité sociale et environnementale.

Troisièmement, sur la base des analyses détaillées déjà conduites, il faut lancer des campagnes de publicité ciblant des groupes spécifiques de consommateurs privés en utilisant les arguments propres à les convaincre d’acheter des sciages d’origine légale.

Ces trois axes de sensibilisation sont justement les composantes du projet « Essor des demandes publiques et privées en sciages d’origine légale » en cours de réalisation au Cameroun.

Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière FAO-EU FLEGT.
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