Deux cents millions d’hectares et soixante millions de personnes : voici l’étendue et la capacité nourricière des forêts du Bassin du Congo . Il s’agit de la deuxième plus grande superficie de forêt tropicale au monde.
Pourtant, cette vaste zone riche en ressources a souvent été très sensible aux conflits, maintes fois en raison de la mauvaise gestion forestière et des activités illégales.
Le problème est particulièrement grave dans les concessions d’Afrique centrale, où l’exploitation industrielle du bois a souvent été considérée comme ayant des conséquences négatives sur l’agriculture, la chasse et l’exploitation forestière artisanale.
Permettre à une concession forestière d’être utilisée de multiples façons peut-il réduire ou même résoudre les conflits ? Cela peut-il permettre à tous d’utiliser les forêts légalement et paisiblement ?
Selon une nouvelle étude, fournir aux usagers de la forêt des incitations claires à travailler ensemble pourrait réduire les conflits et améliorer la gestion des concessions forestières d’Afrique centrale.
Nous devons prendre en compte les conflits entre les acteurs et mettre un peu de côté les débats sur les biens publics internationaux
Une gestion des forêts qui favorise des usages multiples (par exemple, pour le bois, les jardins, la viande de brousse, les aliments sauvages, le tourisme ou en faveur de l’environnement) est perçue par les militants comme un moyen plus juste et équilibré de l’utilisation des ressources parmi plusieurs usagers.
Cette forme de gestion a été intégrée aux lois forestières des pays du Bassin du Congo au milieu des années 1990, principalement à travers la gestion des concessions forestières.
Il y a eu deux obstacles principaux : la faible inclusion des acteurs locaux et le manque d’incitations financières pour que les divers groupes participent.
CONFLITS, DÉBATS ET FORÊTS
Guillaume Lescuyer, scientifique du Centre de recherche agronomique pour le développement (CIRAD) détaché auprès duCentre de recherche forestière internationale (CIFOR) et l’un des auteurs du rapport, souligne l’importance d’aborder les deux questions.
« Nous devons prendre en compte les conflits entre les acteurs et mettre un peu de côté les débats sur les biens publics internationaux, tels que la protection de la biodiversité ou le stockage du carbone », stipule-t-il.
« Afin de convaincre les parties prenantes de changer leurs comportements, nous devons par ailleurs composer avec les coûts et les avantages financiers. »
Dans le cadre de l’étude, les auteurs ont évalué six concessions forestières au Cameroun, au Gabon et en République démocratique du Congo.
Cinq à sept villages ont été étudiés autour de chaque concession. Puis, sur plus d’un an, dix à vingt pourcent des ménages de ces villages ont été retenus pour constituer un échantillonnage, c’est-à-dire 308 ménages au total.
Les chercheurs ont également interrogé les principaux acteurs se situant en dehors de la zone d’échantillonnage : les compagnies forestières et les représentants gouvernementaux.
L’agriculture, l’exploitation forestière artisanale (à la tronçonneuse) et la chasse ont été identifiées comme les principales sources de conflits avec les exploitations forestières industrielles.
Après avoir mis le doigt sur ces dernières, les chercheurs ont examiné les moyens de résoudre les différends.
La dernière étape était cruciale puisqu’elle donnait aux intervenants une idée claire des coûts et des bénéfices associés à la mise en œuvre d’un système à usages multiples.
« Nous devons évaluer les coûts et bénéfices monétaires », déclare M. Lescuyer. « Un des problèmes actuels est qu’il n’existe pas d’incitation financière efficace pour établir une gestion des forêts à usages multiples. »
COMPROMIS RÉALISTES
En fournissant une évaluation claire des finances, dans ce cas sur une période de quinze ans, les différentes parties prenantes peuvent évaluer avec précision le coût des compromis par rapport à leurs revenus.
L’ensemble des acteurs des six concessions forestières étudiées ont souligné l’importance des « compromis réalistes » afin de mettre en œuvre une gestion forestière à usages multiples au sein des concessions forestières. Des compromis réalistes ont déjà émergé.
Les compagnies forestières pourraient financer le développement local d’activités comme l’agroforesterie ou l’élevage. M. Lescuyer affirme que cela coûterait de l’argent aux entreprises, toutefois, la réduction des impôts serait un moyen de compensation.
En fin de compte, les concessions ne devraient pas uniquement être dédiées à l’exploitation du bois
Puisque la population locale profiterait de ces nouvelles activités, elle serait tenue de réduire certaines activités illégales au sein des concessions forestières.
« L’État accepterait de réduire les taxes forestières pour les compagnies d’exploitation forestière en échange d’un nouveau développement socio-économique par le soutien aux activités locales », déclare M. Lescuyer.
Selon les auteurs, le fait que les communautés locales, les entreprises d’exploitation forestière et les gouvernements pourraient arriver à un consensus soulève des questions sur le modèle existant des concessions forestières en Afrique centrale.
Dans trois régions de l’étude de cas, la promotion de la gestion des forêts à usages multiples a nécessité un apport extérieur aux concessions, tel qu’un soutien aux initiatives relatives à l’agroforesterie et aux plantations.
Cela montre l’importance de prendre en compte les facteurs externes pouvant influencer sur le changement au sein des concessions, par exemple le prix des matières premières ou l’amélioration du réseau routier.
Selon M. Lescuyer, les conclusions de l’étude sont applicables aux concessions forestières à travers le Bassin du Congo. Il espère que les gouvernements et les compagnies d’exploitation forestière en prennent note.
« En fin de compte, les concessions ne devraient pas uniquement être dédiées à l’exploitation du bois », souligne M. Lescuyer. « Elles devraient être considérées comme faisant partie d’un plus vaste ‘paysage pour le développement durable’. »
Pour plus d’informations sur la gestion des forêts à usages multiples dans le Bassin du Congo, veuillez contacter Guillaume Lescuyer : g.lescuyer@cgiar.org
Ces recherches ont été menées dans le cadre du projet ‘Beyond Timber’ – Biodiversity International avec un soutien financier du Fonds forestier du bassin du Congo et du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie
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